• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2. MARGINALIDAD, UNDERCLASS, EXCLUSION

2.7 La marginalité définie comme exclusion en France

2.7.1 L’inclusion à la marge : une forme d’exclusion

À côté des approches «castellienne» de l’exclusion en France, d’autres approches mettent l’accent sur les politiques étatiques d’inclusion, de reconnaissance et d’attribution de certains droits à des populations défavorisées. Les déterminants de la marginalisation, dans ce sens, sont plus externes et s’expliquent à travers les rapports de l’État avec ces populations. Nous avons regroupé dans cette perspective plusieurs auteurs, entre autres, Aumercier, (2003), Bourdieu (2003) et Marie (1976).

Se référant à la situation des sans-abri à Paris, Aumercier utilise le concept «

enfermer dehors » pour décrire les rapports entre ces personnes et le « Samu social »14

dont la mission consiste à opérer des interventions d’urgence auprès de cette population. Selon l’auteure, la façon dont le « Samu social » traite les individus qui appellent pour trouver un abri d’urgence s’apparente à une sorte «d’hygiène sociale» au sens où les services de la voirie collectent les déchets pour maintenir la ville propre. Le sujet, écrit l’auteure, est enfermé dans son refus ; on ne lui reconnaît pas sa capacité subjective de définir ses propres besoins et de les exprimer. Il subit, dit-elle, « une inclusion forcée comme un individu drapé dans son refus, dans son dédain, dans sa belle marginalité ou dans l’une des multiples identités nationales, ethniques ou religieuses disponibles sur le marché » (Aumercier, 2004 : 125,127). Toutefois, reconnaît l’auteure, ces individus ont développé des mécanismes de lutte pour s’affirmer et faire reconnaître leurs besoins, en ne renonçant pas à leurs habitudes et préférences, « quitte à exaspérer chacun suivant sa fonction respective dans sa conception figée de ce à quoi il est convenu d’avoir droit » (Aumercier, 2004).

14 Le Samu social est « un dispositif de sauvetage qui dans des grandes villes du monde a pour objet d’intervenir en

urgence auprès des personnes en danger, trop faibles ou trop désocialisées pour exprimer d’elles-mêmes leurs besoins afin de leur offrir aide-réconfort-assistance » (Aumercier 2004 :120)

Ces expériences attestent de la volonté des autorités publiques dans certains pays industrialisés d’inclure à la marge des populations. Marie, au milieu des années 70, se référant à la situation des pauvres dans les pays industrialisés, avait déjà parlé de la mise sur pied par l’État de structures de gestion de la marginalité (Marie, 1976). L’auteur fait notamment allusion à la situation des immigrants dans les banlieues parisiennes. Il relève trois types de marquage possibles dans les rapports des dirigeants avec les populations. Premièrement, on met en place des organisations qui doivent gérer la marginalisation. Deuxièmement, on peut garder les populations dans un espace clos perçu non pas comme un territoire délimité par des barbelés mais plutôt comme un ensemble de signes et de marques qui fixent les frontières d’un territoire. Troisièmement, deux conséquences peuvent se dégager de cette situation: la déviation par rapport à la norme, c’est-à-dire les habitants des banlieues, au lieu de se soumettre aux lois en vigueur, entrent en rébellion; ou bien l’insuffisance de la politique gouvernementale à contenir le mécontentement de la population des banlieues.

C’est dans le cadre des luttes pour l’appropriation de l’espace que Bourdieu situe le rôle de l’État. Selon l’auteur, ces luttes peuvent prendre des formes plus collectives, soit dans le cadre de l’élaboration des politiques du logement sur le plan national, soit au niveau local par rapport à la construction et à l’attribution des logements sociaux, soit en ce qui concerne les choix en matière d’équipements publics (Bourdieu, 1993). Selon l’auteur, l’État détient dans ce sens, un immense pouvoir sur l’espace à travers la capacité qu’il a de faire du sol une marchandise, de construire du logement et aussi, pour une grande part, de créer du travail et de construire des établissements scolaires. Dans la perspective de Bourdieu, dans la mesure où les autorités étatiques favorisent la construction de groupes homogènes à base spatiale, cette politique est pour une grande part responsable de ce que l’on peut observer directement dans les grands ensembles dégradés ou les cités désertés par l’État (Bourdieu 2003 :262).

À côté des approches d’Aumercier, de Marie et de Bourdieu concernant l’exclusion de certaines catégories de population en France, Paugam, dans une perspective plus large, parle de «rapports sociaux à la pauvreté» par rapport à l’exclusion. Il développe une approche selon laquelle il y aurait plusieurs types de rapports sociaux à la pauvreté. Il en distingue trois: « pauvreté intégrée», «pauvreté marginale» et «pauvreté disqualifiante». Même s’il ne met pas l’accent sur la marginalité, dans ce qu’il appelle la pauvreté marginale, il livre certaines

caractéristiques des marginaux dans des pays post-industrialisés notamment en France et en Angleterre.

La pauvreté intégrée, selon Paugam, est un «type de rapport social à la pauvreté» attribuable aux sociétés pré-industrialisées ou sous-développées où les populations ne constituent pas un groupe social spécifique et ne sont pas non plus stigmatisées. Ces gens sont plutôt insérés dans des réseaux sociaux organisés autour de la famille, du quartier et du village (Paugam, 1996 :394). Dans une perspective plutôt généralisante de ce type de rapport, l’auteur inclut, entre autres, les sociétés méditerranéennes de l’Europe où, selon lui, il devient difficile d’élaborer des politiques sociales différentes du fait même de ce type de rapport social à la pauvreté.

Par rapport à la «pauvreté disqualifiante», il l’associe à la «question sociale de l’exclusion» au lieu de la circonscrire dans celle de la pauvreté telle que définie en général. Sont impliqués dans ce type de rapport à la pauvreté des gens qui ont perdu leur place sur le marché de l’emploi. Ils se glissent dans le chômage et leur nombre grossit de plus en plus. Selon Paugam, de plus en plus de personnes font face à des situations de précarité en rapport avec l’emploi. Ces situations peuvent être cumulées à plusieurs handicaps comme, par exemple, la faiblesse du revenu, la médiocrité des conditions de logement et de santé, la fragilité de la sociabilité familiale et des réseaux sociaux (Paugam, 1996). La France et la Grande Bretagne sont plus proches, dit-il, de ce troisième type de rapport à la pauvreté

Dans le type de «rapport social à pauvreté» dénommé « pauvreté marginale», Paugam distingue deux catégories sociales : une petite frange de la population constituée au niveau de la conscience collective « d’inadaptés de la civilisation moderne, ceux qui n’ont pas pu suivre le mythe de la croissance et se conformer aux normes imposées par le développement industriel et, ces gens qui se définissent par leur position dans le monde du travail, c’est-à-dire les ouvriers qu’on ne définit pas spécifiquement comme étant des pauvres à l’instar des sous-prolétaires et qui ne font pas non plus l’objet d’un traitement spécifique (Paugam : 396). Dans la perspective de l’auteur, des ouvriers des usines constituent une catégorie résiduelle de la population qui n’est pas capable de mettre en cause le fonctionnement du système économique et social dans son ensemble. Ce sont des gens vivant en marge du système économique. Ils font l’objet d’un traitement social spécifique à cause des multiples handicaps qu’on peut compter chez eux. Ces populations sont stigmatisées et n’arrivent pas à se débarrasser de la tutelle que les professionnels du social exercent sur elles. L’intervention sociale

dont elles font l’objet ne fait que renforcer chez elles le sentiment d’être les populations marginalisées (Paugam, 1996)

Les catégories sociales marginalisées ou exclues peuvent être perçues comme des étrangers ou des intrus chaque fois qu’elles désirent intégrer les groupes dominants dans leur territoire ou accéder à leurs intérêts. C’est dans ce sens que Simmel, traitant de sur l’étranger, affirme que lorsque celui-ci vient d’un pays, d’une ville ou d’un territoire quelconque, il perd ses caractéristiques individuelles au profit de son origine étrangère qu’il partage avec d’autres individus de sa catégorie (Simmel, 1984). Selon Simmel « l’étranger est un élément du groupe lui-même tout comme le pauvre et les divers « ennemis de l’intérieur. Il est un élément dont la position interne et l’appartenance impliquent tout à la fois l’extériorité et l’opposition» (Simmel, 1984 : 54). Dans la logique de Simmel, donc, le marginal ou bien l’exclu est un étranger défini à partir de ses rapports avec d’autres groupes sociaux. Celui-ci est à la fois proche et distant, c’est- à-dire par sa proximité, il fait des expériences et entretient des relations avec des proches, possède des caractéristiques plus générales avec les autres. Néanmoins, il est distant d’eux parce que son «rapport avec eux est fondé sur une communauté de différences spécifiques et non sur des traits purement généraux (Simmel 1984 : 56) Au Québec, McAll (1996) qualifie de «nouvel espace de marginalité» la situation des requérants du statut de réfugié. L’auteur oriente la recherche sur la trajectoire des requérants en termes de logement, de leur expérience de travail et de l’apprentissage de la langue française. Ces personnes, selon McAll, subissent « une immersion soudaine et sans préparation dans un univers social et linguistique tout à fait étranger » (McAll 1996 : 17). Comme les auteurs précédents, il les classe aussi dans la catégorie des personnes qui dépendent de l’aide sociale, et pour lui, ce sont les rapports sociaux inégalitaires qui produisent des populations marginalisées. Dans son optique, au Québec, ces populations seraient constituées de gens, entre autres, des immigrants et des pauvres qui sont sur l’aide sur l’aide sociale. Le chèque d’assistance sociale contribue davantage, selon lui, à maintenir les gens dans la marginalisation. En somme, pour ces auteurs Bourdieu (1993), Merrien (1997), Paugam (1996), McAll (1996) les populations marginalisées sont constituées de « démunis » notamment des gens qui dépendent de l’aide sociale pour leur subsistance.

C’est dans la même perspective que Wacquant, traitant des populations démunies dans les banlieues françaises et dans des ghettos à Chicago, parle de marginalité avancée (Wacquant, 2006). L’aide sociale, dit-il, ne permet pas à ses bénéficiaires de satisfaire leurs besoins, ils sont obligés de recourir à des stratégies

informelles de subsistance. Il a démontré que la marginalité dans les sociétés post- industrialisées prenait de nouvelles formes mettant ainsi sous nos yeux une bipolarisation des sociétés américaine et française ainsi conçue : «haute société/dark ghetto»; «opulence/indigence»; «bourgeoisie cosmopolite/parias urbains»

Dans un autre registre mais toujours en lien avec le déni de reconnaissance, Jaccoud, traitant de l’intégration des Inuit au Nouveau-Québec, soutient que l’État dispose de multiples espaces pour classer les groupes sociaux. Selon elle, l’État encourage la constitution de groupes sociaux homogènes sur des territoires donnés de telle sorte qu’il existe des zones qui sont réduites à la marge, abandonnées à leur sort et d’autres qui sont considérées comme des zones résidentielles ou des quartiers huppés. Elle met en question l’inclusion des Inuit à l’État-nation canadien. L’État canadien a fait une « inclusion à la marge » des Inuit à l’État-nation, c’est-à-dire, il a reconnu à ces peuples autochtones leur appartenance à l’État fédéral tout en les gardant dans leur réserve. Ainsi, ceux-ci deviennent marginaux par leur inclusion même à l’État-nation, la politique de l’État se traduisant par une marginalisation de l’intégration des Inuit à travers le système pénal canadien (Jaccoud 1992 : 36, 37).

Outline

Documents relatifs