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La recherche de la légitimité, finalité de la présomption de paternité

§ 1 La présomption de paternité, un lien génétique vraisemblable

A. La recherche de la légitimité, finalité de la présomption de paternité

55. La présomption de paternité a pour origine le droit canonique (1.) qui avait pour ob- jectif de favoriser l’institution du mariage ainsi que la famille légitime issue de cette union. Progressivement, elle s’est détachée de ce fondement historique en raison de la contractuali- sation du mariage. Il en résulte que cette présomption présente une diversité de fondements (2.).

1. Le droit canonique, à l’origine de la règle Pater est quem nuptiae demonstrant

56. Pater est quem nuptiae demonstrant, l’adage commun. L’adage Pater est quem nuptiae demonstrant se rencontre tant en droit français qu’en droit anglais. L’histoire du droit permet d’expliquer cette identité de règle3.

1. Article 312 du Code civil et Banbury Peerage Case (1811) 1 Sim & St 153 HL. 2. Re Heath [1945] Ch 417 (UKHL).

3. A. LEFEBVRE-TEILLARD, « Pater is est quem nuptiae demonstrant : Jalons pour une histoire de la pré- somption de paternité », Rev. Hist. droit sept. 1991, 69, p. 331, L’auteur expose comment cette simple suggestion formulée par Paul (D. II, 4,5) au sujet d’une question de procédure fort limitée, l’in ius vocatio, a pu devenir l’expression d’une présomption qui domine le droit de la filiation depuis des siècles. Pourtant, il existe au Di- geste(D. I, 6,6) un texte très important d’Ulpien qui concerne directement la filiation. Il débute par une formule très générale : « Filium eum definimus qui ex et uxore eius nascitur » qui aurait très bien pu convenir en lieu et place de notre adage. Mais la référence à l’adage de Paul a été finalement retenue car il n’y avait pas d’exception venant en atténuer directement la portée. Le choix de cette formule plus pertinente s’inscrivait dans une poli- tique de l’Église cherchant à favoriser la filiation légitime, à donner la primauté au mariage et lutter contre le concubinage. Elle s’est maintenue car l’État s’est substitué à l’Église dans la poursuite de cette même finalité. L’intérêt de l’État était, en effet, de favoriser la famille traditionnelle car celle-ci en constituait son fondement le

la notion de filiation en droit comparé

57. Cet adage se retrouve également en droit anglais1. Il provient du même principe de droit canonique formulé par Paul et reprise par Huguccio. Plus récemment, le Lord Chancel- lor’s Department, équivalent de notre Ministère de la justice, a même suggéré en 1999 que la présomption Pater est quem prenne la forme d’une disposition légale, ce qui, dans un pays où la jurisprudence tient lieu de loi, témoigne de l’importance de celle-ci. Et même si cela n’a pas été suivi d’effets, la règle demeure capitale dans l’établissement de la filiation paternelle.

2. Une présomption aux fondements divers

58. La présomption de paternité s’appuie donc sur le lien matrimonial existant entre les parents. Mais il faut constater qu’elle n’a pas de fondement unique, plusieurs hypothèses, parfois complémentaires, ont d’ailleurs été formulées par la doctrine.

59. Le devoir matrimonial de fidélité. En premier lieu, le mariage implique le respect d’un devoir de fidélité entre les époux en droit français2 comme en droit anglais3, l’enfant né dans le mariage ne devrait donc être que celui des deux époux. C’est ainsi que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari »4. Cependant, cette explication ne saurait rendre compte de l’ensemble du droit positif puisque l’enfant conçu avant le mariage mais né pendant celui-ci va aussi bénéficier de la présomption , alors même que sa conception a eu lieu à un moment où il n’y avait pas encore d’obligation de fidélité5. L’enfant est considéré comme légitime ab ovo, autrement dit dès l’origine ; s’opère alors une sorte de rétroactivité de la présomption de paternité à la date de conception de l’enfant. Par ailleurs, s’il s’agissait d’un fondement unique, la présomption devrait être écartée en cas d’adultère. Or, ni en droit français, ni en droit anglais, la présomption n’est écartée automatiquement dans ces circons- tances. La filiation paternelle alors établie peut faire l’objet d’une action en contestation mais est présumée légitime jusqu’à la preuve du contraire. En France, dans le droit antérieur à 2005, l’adultère n’était d’ailleurs même pas une cause de désaveu ; le père ne pouvait s’exonérer de

plus légitime, sa première cellule sociale solide. C’est la raison pour laquelle ce même adage a trouvé toute sa place dans le Code civil dès 1804.

1. Banbury Peerage Case (1811) 1 Sim & St 153 HL. 2. Article 212 du Code civil.

3. « [. . .] the essence of the contract [of marriage is] an agreement between a man and a woman [. . .] to love one another as husband and wife, to the exclusion of all others» d’après le juge MUNBYdans Re E (An Alleged Patient)et Re Sheffield City Council v. E and S, (2004) EWHC 2808 (Fam), (2005) 1 FLR 965.

4. Article 312 du Code civil ; Ampthill Perrage Case (1977) AC 547-577 : selon Lord Simon, « Fatherhood » [. . .] is a presumption.

5. C’est le cas notamment de « l’enfant des fiancés » qui a donné lieu à la célèbre jurisprudence Degas (Civ. 8 janv. 1930, DP 1930.1.51.) selon laquelle l’enfant conçu avant le mariage mais né dans le mariage n’est pas seulement légitimé par le mariage des parents mais bien légitime dès sa conception. C’est d’ailleurs cette solution qui a été retenue par l’ordonnance de 2005 et qui a été consacrée à l’article 312 du Code civil.

§ 1. La présomption de paternité, un lien génétique vraisemblable

sa paternité par ce moyen, il lui fallait recourir à l’action en contestation. Le fondement de la présomption est donc plus complexe que l’on ne pourrait le penser.

60. Le devoir matrimonial de communauté de vie. En second lieu, la présomption de paternité pourrait se fonder sur le devoir de communauté de vie des époux1, impliquant une communauté de toit et de lit2. Les enfants nés dans le cadre du mariage seraient rattachés au mari de la mère en vertu de cette communauté de lit. Mais là aussi, les objections faites au devoir de fidélité peuvent s’appliquer, et cela, surtout à l’époque contemporaine où le devoir de communauté de vie s’est fortement assoupli et où l’on ne sanctionne plus nécessairement l’absence de cohabitation3. Ce ne peut donc être l’unique fondement de la présomption de paternité.

61. Des fondements complémentaires. Si chacun des devoirs de fidélité et de commu- nauté de vie n’est pas le fondement unique de la présomption de paternité, ils participent tous deux à la justifier. En effet, l’engagement réciproque des époux de vivre ensemble et, a fortiori, d’être fidèle l’un envers l’autre « garantit » que le mari sera le père des enfants de la mère. Ces devoirs ne fondent pas exclusivement la présomption mais l’expliquent grandement.

62. Une « reconnaissance » a priori des enfants nés du mariage. Il faut également rappeler qu’Ambroise COLIN avait proposé de fonder la présomption sur la reconnaissance anticipée des enfants de la femme, aveu a priori qui serait fait par le mari au moment du mariage4. C’est la raison pour laquelle la reconnaissance ne semblerait pas avoir de place dans le ma- riage. Cette analyse a été fortement contestée5car il paraissait incorrect d’étendre à la filiation légitime la reconnaissance telle qu’on l’entendait dans la filiation naturelle. La paternité en mariage ne repose pas sur la volonté du mari, qui, à la différence du Pater familias romain, n’a pas la liberté d’accepter ou de refuser les enfants nés de sa femme ; elle s’impose à lui et la contestation de paternité du mari, reste enfermée dans de strictes conditions6. Cette théorie, parce qu’elle s’appuie sur la reconnaissance, inconnue en tant que telle en droit anglais, ne

1. En droit français : article 212 du Code civil ; en droit anglais : « the essence of the contract [of marriage is] an agreement between a man and a woman to live together»d’après le juge Munby dansRe E (An Alleged Patient)et Re Sheffield City Council v. E and S, (2004) EWHC 2808 (Fam), (2005) 1 FLR 965.

2. PLANIOLet RIPERT, Traité de droit civil, sous la dir. de A. ROUAST, t. 2, no770.

3. L’article 108 du Code civil autorise en effet les époux à avoir des résidences séparées, notamment pour des raisons professionnelles. La communauté de vie se traduira alors par le choix, opéré d’un commun accord, de la résidence de la famille. En outre, depuis la loi du 26 mai 2004 réformant le divorce, le juge peut dispenser l’un des époux lorsque « les violences exercées par un époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants » (art. 220-1, al. 3).

4. A. COLIN, « De la protection de la descendance légitime au point de vue de la preuve de la filiation », RTD. civ.1902, p. 257.

5. P. MALAURIEet H. FULCHIRON, La Famille, 3eéd., Paris : Defrénois, 2011. 6. Ibid.

la notion de filiation en droit comparé

semble pas pouvoir être transposable outre-manche.

63. Une présomption combinant intérêt de l’État et intérêt de l’enfant. La présomption de paternité se fondait initialement à la fois sur l’intérêt de l’État de privilégier la famille légitime comme première sphère sociale solide, et sur l’intérêt de l’enfant d’être rattaché à cette sphère. Aujourd’hui, l’intérêt de l’État s’est restreint au profit de l’intérêt de l’enfant qu’il incluait autrefois. Ce dernier n’est plus d’appartenir à une famille mais que sa filiation corresponde à une réalité, biologique ou sociologique. Pourtant, la présomption de paternité demeure le mode d’établissement de la filiation en mariage. La raison en est que son véritable fondement est le mariage en lui-même, institution qui engage les deux époux à résider en- semble en principe et à être fidèle l’un envers l’autre. L’exclusivité des relations entre époux qui en résulte justifie la présomption de paternité. Tant que le mariage subsiste, la présomption subsistera ; si le premier est affaibli, la seconde le sera également. À l’inverse, l’affaiblisse- ment de la présomption de paternité est un des moyens pour vider le mariage de son contenu et lui faire perdre son sens.