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La réalité génétique, fondement initial

46. Le « donné naturel » de la filiation. La réalité génétique est ce qu’un auteur a nommé le « donné naturel du droit de la filiation »1. Elle constitue le fondement initial de la filiation parce qu’elle en est la source physique naturelle. En effet, la filiation juridique traduit, souvent, un lien génétique entre un parent et son enfant. Alors, la filiation génétique correspond à la filiation charnelle, c’est-à-dire celle dans laquelle le lien de droit recouvre un lien de fait, dans laquelle le droit « habille » la nature2. La filiation n’est ainsi entendue que comme la conséquence de l’engendrement3.

47. Une intuition devenue certitude. Parce qu’elle est un lien physique objectif, la réa- lité génétique apparaît, généralement, comme fondatrice de la « véritable » filiation. Cette première impression a été renforcée par les progrès de la science qui ont permis d’obtenir une preuve exacte et certaine du lien de filiation génétique. L’ADN est devenu le moyen de preuve parfait du lien de filiation établi sur la seule réalité génétique. La preuve de la filiation étant alors facile à apporter, le raccourci a été de penser que la filiation « véritable » était la filiation génétique.

Les progrès en matière de procréation médicalement assistée ont également participé à cette perception. Ainsi, la procréation médicalement assistée endogène permet de surmonter des difficultés physiques à procréer et garantit l’engendrement d’un enfant avec ses propres

1. J. VIDAL, « La place de la vérité biologique dans le droit de la filiation » in Mélanges dédiés à Gabriel Marty, Université de Toulouse, 1978, p. 1113.

2. J. FOYER, « La notion de filiation en droit » in Vérité scientifique, vérité psychique et droit de la filiation, sous la dir. de L. KHAÏAT, Érès, 1995, p. 21, spéc. p. 22.

3. P. MURAT, « Prolégomènes à une hypothétique restructuration du droit des filiations » in Mélanges en l’honneur du Professeur Jean Hauser, LexisNexis - Dalloz, 2012, spéc. p. 409 : « Dans notre système, l’engen- drement constitue le critère ordinaire du rattachement par la filiation d’un enfant à un ou des adultes. Le lien de causalité entre l’engendrement et les charges ou places familiales qui en découlent est fondé sur l’idée que le concepteur d’un enfant est normalement attaché à ce dernier et sera le mieux à même de remplir les fonctions de la filiation. »

la notion de filiation en droit comparé

gamètes. C’est encore ce rattachement génétique qui est recherché dans la procréation médi- calement assistée exogène où l’enfant partagera au moins une partie du patrimoine génétique parental. S’il ne le partage pas, en cas de recours au don d’embryon, il en aura au moins l’apparence, laquelle n’a de valeur que par sa référence à la filiation génétique1.

48. Une pression de la réalité génétique face au pluralisme familial. La réalité génétique exerce une pression sur la notion de filiation pour en devenir le seul fondement valable car relevant de l’évidence. Le droit a cédé en grande partie à cette pression afin de rendre la filiation plus sûre, croyant que la « vérité » génétique ne pouvait mentir. Le droit s’assurait de la bonne exécution des effets, notamment patrimoniaux, de cette filiation « certaine ». Pour autant, le droit laisse une place à d’autres fondements : le vécu familial et la volonté, qui peuvent s’y combiner ou s’y substituer. Le droit n’impose pas un modèle exclusivement fondé sur la génétique et il tient compte ainsi de la diversité des situations familiales de fait, c’est-à- dire du pluralisme familial2.

49. Réalité ou vérité ? Les doctrines française et anglaise ont toutes deux tendance à considérer que l’expertise génétique révèle la « vérité » de la filiation3. Autrement dit, la fi- liation génétique ainsi décelée serait la « vraie ». Cela signifierait-il que les filiations privées du soutien de l’analyse génétique seraient « fausses » ? Cette dialectique du « vrai » et du « faux », de la « vérité » et du « mensonge » nous semble inappropriée en la matière. En effet, dans la mesure où il y a plusieurs fondements à la filiation qui se combinent entre eux, il n’y a pas de vraie ou fausse filiation mais une filiation fondée sur un lien génétique présumé ou vérifié, et/ou fondée sur une déclaration de volonté, et/ou sur un vécu familial. Toutes sont

1. La filiation reposera alors sur la volonté de se rattacher l’enfant, v. infra, page 170.

2. Expression initiée par J. CARBONNIERdans Essais sur les lois et illustrée par la formule désormais clas- sique « A chacun sa famille, à chacun son droit » (J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois, 1995, p. 181.). V. aussi J.-J. LEMOULAND, « Le pluralisme en droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ? », D. 1997, chron. p. 133. F. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, « À propos du pluralisme des couples et des familles », LPA 28 avr. 1999, p. 29. Réflexions sur le pluralisme familial, sous la dir. de O. ROY, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2011. et Y. LEQUETTE, « Quelques remarques sur le pluralisme en droit de la famille » in Mélanges en l’honneur du Professeur Gérard Champenois, Defrénois - LexisNexis, 2012, p. 523.

3. En France : J. VIDAL, « La place de la vérité biologique dans le droit de la filiation » in Mélanges dédiés à Gabriel Marty, Université de Toulouse, 1978, p. 1113. G. CORNU, « La filiation », Arch. philo. dr. 1975, XX, p. 29. C. LABRUSSE-RIOU, « Rapport français » in "La vérité et le droit". Travaux de l’Association Henri Capitant. Tome XXXVIII, Economica, 1987, p. 103. B. GENINET, « L’identification entre la filiation à établir et la vérité biologique », LPA 11 avr. 2001, 72, p. 4 sq. D. THOUVENIN, « Les filiations ne sont ni vraies ni fausses mais dépendent du choix des parents », LPA 3 mai 1995, 50, p. 93. M. J. GÉBLER, Le droit français de la filiation et la vérité, 1970, LGDJ.

En Angleterre : N. V. LOWE et G. DOUGLAS, Bromley’s family law, 10eéd., Oxford : Oxford University Press, 2007. M. RICHARDS, « Genes, Genealogies and Paternity : Making Babies in the Twenty-first Century » in Freedom and Responsibility in Reproductive Choice, sous la dir. de J. SPENCER et A. du BOIS-PEDAIN, Oxford : Hart Publishing, 2006, p. 53. J. HERRING, Family Law, 4eéd., Pearson Longman - LexisNexis, 2009. T. CALLUS, « La filiation en droit anglais », Recherches familiales 2010, p. 59.

Chapitre 1. La réalité génétique, fondement initial

de « vraies » filiations ; toutes révèlent une vérité : physique, affective ou sociale. Ces trois vérités peuvent chacune se suffire à elle-même pour fonder un lien de filiation ou bien se cumuler. C’est pourquoi le terme de « vérité » nous semble trop restrictif : il laisse entendre la prédominance du lien génétique face aux liens d’autres natures. Or, le droit n’impose pas une vérification systématique de l’exactitude génétique de la filiation à établir lors de l’éta- blissement de la filiation. C’est bien que la filiation n’est pas envisagée juridiquement comme fondée uniquement sur la génétique.

Cette confusion terminologique vient de ce que la preuve génétique a laissé penser que la filiation pouvait être connue de façon certaine. La certitude qui est née de ce mode de preuve s’est transformée en « vérité ». Puisque la filiation était certaine, elle ne pouvait être que « vraie ». Mais les autres fondements de la filiation étaient alors oubliés, ou tout au moins dépréciés.

Aussi, la filiation génétique ne peut-elle pas être considérée comme la « vraie » filiation mais seulement comme une filiation génétiquement prouvée. Elle est un lien que l’exper- tise génétique a établi ou confirmé et que le droit va pouvoir transcrire ou maintenir comme lien juridique de filiation. Cette filiation ressort d’un constat scientifique, d’une réalité. Nous préférerons donc employer le terme de « réalité » à celui de « vérité ». Cette précision termi- nologique rend mieux compte de la diversité et de la complexité de la notion de filiation.

50. Génétique ou biologique ? Il nous a également semblé plus pertinent de parler de « réalité génétique » plutôt que de « réalité biologique ». En effet, le lien entre le parent et l’enfant qui est retenu pour fonder la filiation est génétique, c’est-à-dire que les deux personnes ont des gènes en commun. Le terme de « biologique », qui est employé le plus souvent, est plus large ; il apparaît inadapté maintenant qu’il est possible de dissocier le patrimoine génétique de la gestation et donc de l’accouchement. En effet, la filiation génétique, reposant sur les gènes communs, peut désormais différer de la filiation biologique, reposant sur un lien physique et non plus nécessairement génétique. Le meilleur exemple de cette dissociation est la mère porteuse qui peut être biologiquement la mère d’un enfant parce qu’elle l’aura porté tout au long de la grossesse tout n’en étant pas la mère génétique si elle ne partage avec lui aucun gène. Reste alors la question de savoir qui le droit désigne comme mère juridique. L’évolution du biologique vers le génétique est ainsi source de nouvelles interrogations relatives à la notion de filiation.

51. La réalité génétique a longtemps été abritée derrière des modes d’établissement de la filiation qui n’en garantissait pas l’exactitude mais la vraisemblance (Section I) jusqu’à ce que l’expertise génétique, preuve absolue, donne l’illusion que la filiation pouvait être « certaine ». Malgré l’engouement pour la réalité génétique en raison de la facilité qu’elle offrait à résoudre

la notion de filiation en droit comparé

les conflits de filiation, le droit ne choisit pas d’en faire un fondement exclusif (Section II).

Section I

D’une présomption à un fondement

privilégié

52. De la vraisemblance à l’exactitude. S’inscrivant dans la tradition du droit canonique, la présomption de paternité désigne le mari de la mère comme le père de l’enfant. La filiation se fonde alors sur une réalité génétique vraisemblable (§ 1.) car, du fait du respect du devoir conjugal de fidélité, la mère ne peut engendrer un enfant qu’issu des gamètes de son mari. Cette vraisemblance garantit la structure familiale car elle s’inscrit dans l’institution fondatrice qu’est le mariage ; la vraisemblance garantit également la stabilité de la filiation de l’enfant en ce qu’elle peut contribuer à empêcher sa remise en cause. Néanmoins, en raison du déclin de l’institution matrimoniale durant le dernier demi-siècle, la présomption de paternité s’est affaiblie et ce d’autant plus face à l’expansion corrélative de l’expertise génétique, preuve d’une filiation « exacte », qui peut la renverser (§ 2.)1.

§ 1.

La présomption de paternité, un lien génétique