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La révélation d’un lien préexistant

§ 2 Des fonctions identiques

A. La révélation d’un lien préexistant

229. L’expression de la volonté visant à lier son auteur à un enfant a pour objet de révéler un lien préexistant de fait et d’opérer sa transformation en lien de droit. Ce lien préexistant, qui vise à être consacré juridiquement, n’est autre que celui, de nature génétique, par lequel l’auteur de la reconnaissance ou de la déclaration de filiation se pense être lié à l’enfant. Parce qu’il n’y a pas de contrôle de l’exactitude génétique de la manifestation de volonté, il

procéderait à une reconnaissance et le père en serait avisé suivant l’article 57-1 du Code civil. Il s’agit là d’un cas assez rare puisqu’il faut que la mère refuse l’inscription de son nom dans l’acte de naissance puis décide finalement de se rattacher l’enfant.

1. Le projet doctrinal de Code européen de la Famille (Model Family Code, From a global perspective, sous la dir. de I. SCHWENZERet M. DIMSEY, Intersentia, 2006.) envisage ainsi dans son article 3.5 intitulé « Filiation intentionnelle » une filiation « non-maternelle », c’est-à-dire une filiation à l’égard de l’autre parent que la mère, et non pas seulement du père, en tenant compte ainsi de la filiation à l’égard de couples homosexuels. Cet article dispose : « Le parent légal est la personne qui, avec le consentement de la mère qui a donné naissance à l’enfant, assume intentionnellement la filiation de l’enfant ». Cette disposition nous donne, à titre indicatif, une tendance de ce que pourrait être l’harmonisation européenne à ce sujet, articulée autour de l’intention d’être le parent de l’enfant.

la notion de filiation en droit comparé

est possible qu’une personne décide de reconnaître ou de déclarer l’enfant comme le sien, sachant pertinemment qu’aucun lien physique ne sous-tend cet acte. La reconnaissance ou la déclaration peut alors reposer sur sa seule volonté ou encore sur vécu familial préexistant, mais ce n’est, en principe pas ce type de lien qui a vocation à être révélé par ce biais.

Faisant état de la réalité préexistante, l’acte par lequel la volonté parentale est exprimée présente ainsi une nature déclarative.

230. Un acte principalement déclaratif. La reconnaissance est une « manifestation de volonté par laquelle une personne accepte de tenir pour établie une situation préexistante de fait (lien de filiation) ou de droit (obligation)1». À la lecture de cette définition, il est clair qu’il s’agit d’un acte déclaratif en ce qu’il ne fait que révéler une situation préexistante. La filiation, lien de fait demeuré abstrait, innommé, devient grâce à la manifestation de volonté un lien de droit, concret et nommé. L’acte de reconnaissance transfigure le lien de fait en lien de droit ; elle permet ainsi à la filiation de produire pleinement ses effets juridiques. C’est ici que réside la véritable force créatrice de la volonté.

En droit anglais, la manifestation de volonté du parent s’inscrit dans le cadre de l’enregis- trement de la naissance de l’enfant. La mère déclare l’enfant sous son nom et établit ainsi sa maternité. Aucun acte distinct n’est exigé, aucune solennité particulière n’est requise pour la validité de cette déclaration. Il n’en est pas exactement de même pour la filiation paternelle hors mariage, comme nous l’avons présenté précédemment, puisque la déclaration de pater- nité antérieure à la déclaration de maternité devra être confirmée par la mère lors de sa propre déclaration2.

Ce dispositif n’ajoute pas une solennité particulière à la déclaration. Elle reste une étape nécessaire à l’enregistrement de l’enfant et demeure un acte principalement déclaratif en ce qu’elle révèle un lien de filiation préexistant, transcrit sur le register.

231. La rétroactivité de l’acte, conséquence de sa nature déclarative. La reconnaissance produit ses effets dès la date de naissance de l’enfant. Elle est donc rétroactive et ce régime s’explique par sa nature déclarative3. La reconnaissance constate un lien de filiation préexis-

1. G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2005, v. « Reconnaissance ». 2. V. supra, page 125.

3. Cass. 1reciv., 29 juin 1977, Bull. civ. I, 305 ; D. 1977, IR 436, obs. D. HUET-WEILLER; Cass. 1reciv.,

17 juil. 1980, Bull. civ. I, 224 ; D. 1981, IR 298, obs. D. HUET-WEILLER; Cass. 1reciv., 12 déc. 2000, Bull. civ.

I, 318 ; D. 2001, p. 1496, note GARÉ; D. 2002, somm. p. 1879, obs. AUTEM; JCP 2001, II, 10478, note CASEY; Defrénois2001, p. 604, obs. MASSIP; Dr. Fam 2001, 32, note BEIGNIER; LPA 13 avr. 2001, note CORNUT; RTD. civ.2001, p. 120, obs. HAUSER; RTD. civ. 2001, p. 425, obs. VAREILLE; Cass. 1reciv., 3 déc. 2008 ; D.

2009, p. 105, note J. HAUSER.

§ 2. Des fonctions identiques

tant dont les effets remontent à la naissance de l’enfant1. Ce n’est donc pas la reconnaissance qui rétroagit mais la filiation préexistante qui aurait dû produire ses effets dans le passé2. La filiation juridique, établie par la reconnaissance, se fond avec la filiation de fait préexis- tante dès le point de départ de celle-ci, la naissance. La reconnaissance, sous ce rapport, est déclarative et non constitutive de droits. De même, la filiation établie grâce à la déclaration auprès du registrar produit ses effets à compter de la naissance de l’enfant, non à compter de la date de la déclaration. Cette rétroactivité révèle encore davantage la nature déclarative de la reconnaissance et de la déclaration.

232. Un mode de preuve de la filiation, à l’appui de la qualification d’acte déclaratif. Un autre aspect renforce la qualification d’acte déclaratif, il s’agit de l’utilisation de l’expression de la volonté comme preuve de la filiation. La volonté est généralement appréhendée comme un mode de preuve de la filiation génétique. Elle est, en effet, souvent associée à l’aveu d’un fait juridique : la paternité ou la maternité3. L’aveu peut être défini comme une déclaration par laquelle une personne tient pour vrai un fait qui peut produire contre elle des conséquences juridiques4, ou encore comme la « reconnaissance par un plaideur de l’exactitude d’un fait al- légué contre lui, qui constitue un mode de preuve du fait avoué5». En l’occurrence, l’auteur de la reconnaissance déclare sa paternité6ou sa maternité auprès de l’officier d’état civil ou d’un notaire, déclaration qui va engendrer des droits et des devoirs à l’égard de l’enfant désigné. L’association de la reconnaissance à l’aveu met en relief la nature éminemment déclarative de

1. Et même à la conception de celui-ci (J. HAUSERet D. HUET-WEILLER, Traité de droit civil. La Famille, Fondation et vie de la famille, sous la dir. de J. GHESTIN, 2eéd., Paris : LGDJ, 1993, no745), dans le cas de la

reconnaissance prénatale. Pourtant, elle ne peut avoir d’effets si l’enfant ne naît pas vivant et viable. C’est donc la naissance qui est le véritable fait générateur de la filiation.

2. J. CARBONNIER, Droit civil, La famille, t. I, Quadriges, Paris : PUF, 1999, p. 1042.

3. A. COLIN, « De la protection de la descendance légitime au point de vue de la preuve de la filiation », RTD. civ.1902, p. 257 ; P. MALAURIEet H. FULCHIRON, La Famille, 3eéd., Paris : Defrénois, 2011, p. 469 ; D. FENOUILLET, « La filiation plénière, un modèle en quête d’identité » in L’avenir du droit. Mélanges en hommage à François Terré, Paris : Dalloz, PUF, Éditions du Juris-Classeur, 1999, p. 509, spéc. p. 522.

4. S. GUINCHARDet G. MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques, 17eéd., Dalloz, 2010.

5. G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2005, Cette définition, très procédurale, est intéressante en ce qu’elle utilise le terme de « reconnaissance » pour définir l’aveu. Cela laisse entendre que les deux termes sont synonymes. L’aveu est une reconnaissance, et la reconnaissance un aveu.

6. J. CARBONNIER, Droit civil, La famille, t. I, Quadriges, Paris : PUF, 1999, Il semble, pour le Doyen Carbonnier, que « de la part de l’homme, ce ne puisse être que l’aveu d’avoir eu des rapports sexuels avec la mère à l’époque de la conception, l’aveu d’une faute que l’aveu lui-même tente de réparer, la faute ayant consisté à livrer l’enfant à un état incertain. » L’incertitude de cet état vient de ce qu’il n’a pas de paternité présumée, ce qui serait le cas s’il était né en mariage. Avoir soumis l’enfant à cet état est-il pour autant une « faute » ? Rien n’est moins sûr dans la mesure où l’enfant n’est pas privé de moyens d’action pour établir sa filiation paternelle, ou encore, à travers l’action à fins de subsides, d’obtenir des aliments sans qu’aucun lien de filiation ne soit établi. L’incertitude n’est pas irréversible. Admettre qu’il y aurait une « faute » dans le fait d’engendrer un enfant hors mariage réintroduirait un jugement de valeur, une hiérarchie entre les filiations, chose que l’ordonnance du 4 juillet 2005 s’est efforcée de gommer. L’aveu, qui est fait dans la reconnaissance de paternité, n’est que celui du fait d’être père de l’enfant, sans aucune culpabilité tacite.

la notion de filiation en droit comparé

celle-ci.

En droit anglais, la déclaration de l’enfant dans le register est également considérée comme une preuve. Elle est tout d’abord une preuve de la naissance1. Mais elle est également une preuve de la filiation, comme la combinaison des sections 2 et 34 du Births and Deaths Re- gistration Act 1953le laisse entendre. En effet, la première disposition exige que l’enfant soit déclaré dans le délai de 42 jours de la naissance par les parents qui signeront le registre, la se- conde reconnaît à l’acte une valeur probante2. L’acte, preuve de la naissance, doit être établi sur la base d’informations données par les parents. Traditionnellement, la mère est la femme qui a accouché3, en déclarant l’enfant, la mère reconnaît en avoir accouché et donc en être la mère. Elle révèle à la fois des informations sur la naissance mais également sur la filiation. L’acte de naissance est donc bien une preuve de la maternité. En est-il de même pour la pa- ternité ? La déclaration de maternité entraîne le jeu de la présomption de paternité à l’égard du mari de la mère. Pour le père non marié, il n’existe pas une telle présomption. Pourtant, l’indication de son nom dans l’acte de naissance est un indice de paternité ; ce qui fait dire à certains auteurs qu’elle est constitutive d’une présomption de paternité hors mariage4.

Le législateur anglais avait conçu un système de paternité confirmée5. La validation ma- ternelle de la déclaration de paternité renforçait la présomption de paternité hors mariage. Elle la faisait même changer de nature : la présomption, confirmée, se muait en un aveu conjoint de filiation. Cela était révélateur de l’objectif poursuivi : la déclaration conjointe de filiation ou la filiation consensuelle6. Ainsi, si la déclaration de paternité semblait un acte moins engageant

1. Births and Deaths Registration Act 1953, Section 34 qui s’intitule « Entry in register as evidence of birth or death».

2. Il s’agit d’une disposition à interpréter a contrario. La sous-section (3) de la section (34) envisage en effet que l’enregistrement de la naissance n’est pas une preuve de celle-ci si elle n’a pas été faite dans les 42 jours de la naissance. Il en est donc la preuve si elle est faite dans le délai imparti. Il est prévu deux cas de « rattrapage » : lorsque la déclaration intervient moins d’un an après la naissance, la double signature du superintendent registrar et du registrar, la valident, tout comme l’intervention du Registrar General ; lorsque la déclaration est postérieure à douze mois après la naissance, le Registrar General devra établir l’acte.

3. Ampthill Peerage Case [1977] AC 547 (HL).

4. T. CALLUS, « La filiation en droit anglais », Recherches familiales 2010, p. 59, spéc. p. 61. « D’autres présomptions ont été consacrées par le législateur. Par exemple, à partir de l’inscription des actes civils, est père celui qui est nommé comme tel dans l’acte de naissance ». L’auteur tire ce principe de l’interprétation de la section 34 (2) du Births and Deaths Registration Act 1953. Cela n’est pas si évident. Comme il a été expliqué précédemment, la section 34 (2) envisage l’acte de naissance comme une preuve de la naissance, voire de la filia- tion. Mais s’agit-il d’une véritable présomption de paternité hors mariage ? En droit anglais, la présomption est définie comme une supposition dont la loi autorise ou exige qu’elle soit réalisée :« Presumption : A supposition that the law allows or requires to be made »(J. LAWet E. A. MARTIN, Oxford Dictionary of Law, 7eéd., Oxford University Press, 2009). L’inscription du nom du prétendu père dans l’acte de naissance laisse supposer qu’il est le véritable père, supposition que la section 34 du Births and Deaths Registration Act 1953 permet. Ainsi, une présomption de paternité hors mariage semble pouvoir être dégagée en droit anglais.

5. Births and Deaths Registration Act 1953, Section 10 (1) (c) (ii).

6. En effet, dans le cas où les parents ne déclareraient pas conjointement l’enfant (Section 10 (1) (a)), la déclaration peut être faite par la mère qui doit produire un document dans lequel elle reconnaît que l’homme

§ 2. Des fonctions identiques

que la reconnaissance de droit français en raison d’une volonté peut-être moins manifeste, la validation maternelle requise lui conférait une dynamique différente, celle de la parenté conjointement assumée.

Cette dynamique a été poursuivie dans la réforme de 20091 puisqu’à travers l’obligation d’information, la mère initie la filiation paternelle. Ce système favorise la déclaration conjointe de filiation, même différée dans le temps2. S’il existait une présomption de paternité hors mariage, elle n’existe plus aujourd’hui que dans la situation où le père déclare l’enfant avant la mère. Cette déclaration devra alors être confirmée par la mère3. Là encore, la présomption individuelle se transforme en aveu conjoint de la filiation.

233. La reconnaissance et la déclaration de filiation sont toutes deux des actes déclaratifs en ce qu’ils révèlent l’existence d’un lien préalable. Pourtant, le droit peut prévoir qu’il y soit fait recours alors même que ce lien est déjà révélé de façon à renforcer le lien juridique contre d’éventuelles contestations.

On peut donner comme exemple l’ouverture de la reconnaissance au mari de la mère pour rétablir sa filiation à l’égard de l’enfant né de son épouse lorsque la présomption de paternité a été écartée. En effet, l’article 315 in fine du Code civil ouvre la reconnaissance au mari comme mode de rétablissement de la présomption de paternité4, c’est-à-dire en vertu de l’article 313 du Code civil. Le lien de filiation établi par la présomption de paternité écarté, un nouveau lien peut alors être établi. Le recours à la reconnaissance va permettre cet établissement à l’égard de celui-là même qui était bénéficiaire de la présomption de paternité écartée. Bien que surprenante, ce recours à la reconnaissance révèle la grande force de la volonté comme fondement de la filiation puisqu’elle permet même de pallier la défaillance d’un lien préexis- tant juridiquement.

L’acte de volonté va alors révéler le lien préexistant mais écarté en raison de sa défaillance

qu’elle désigne est le père et un autre dans lequel celui-ci reconnaît lui-même être le père (Section 10 (1) (b)). Il s’agit alors d’une déclaration initiée par la mère mais complétée par une manifestation de volonté du père. La déclaration peut être faite à l’initiative du prétendu père qui doit produire un document dans laquelle il reconnaît être le père de l’enfant et un autre dans lequel la mère certifie qu’il est bien le père de l’enfant (Section 10 (1) (c)). Initiée par le père, la déclaration est confirmée par la mère. Dans ces trois cas non judiciaires (par opposition aux alinéas (d) à (g)), les deux parents sont impliqués dans la déclaration de paternité hors mariage, l’objectif est donc bien la déclaration conjointe de parenté, ou un équivalent dont la réalisation est différée dans le temps.

1. Welfare Reform Act (c. 24) 2009, Schedule 6, Part I, Section 4. 2. V. supra, page 125.

3. Births and Deaths Registration Act 1953, Section 2D (1) (b) et (2) (b). issue du Welfare Reform Act (c. 24) 2009.

4. Circulaire noCIV/13/06 de présentation de l’ordonnance no759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme

de la filiation., Bulletin officiel du Ministère de la Justice 30 juin 2006, la loi du 16 janvier 2009 n’a fait que transcrire ce que la circulaire énonçait : « lorsque la présomption de paternité a été écartée, la filiation n’est donc pas établie à l’égard du mari par l’effet de la loi, ce qui lui permet de reconnaître l’enfant dans les mêmes conditions que le père non marié » (II. 2.1.1.a in fine).

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et lui redonner une existence juridique. Il ne s’agit pas seulement d’un lien génétique pré- existant mais aussi d’un lien qui s’est ancré dans le vécu familial car le mari de la mère peut avoir élevé l’enfant comme le sien. Il pourrait alors envisager de rétablir la filiation grâce à la preuve de la possession d’état mais il aura plus vite fait d’assurer le rétablissement par une reconnaissance que par une action en rétablissement, habituellement envisagée. De la sorte, la volonté opère une révélation d’un lien préexistant juridiquement et en opère la restauration.

234. L’expression de la volonté parentale a pour objet la révélation d’un lien préexistant et il convient de déclarer l’existence d’un tel lien afin de le consacrer juridiquement. Cependant, cette consécration ne ressort pas de la seule déclaration mais bien également de l’engagement parental qui l’accompagne.