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II. Le développement du potentiel d’innovation

3. La recherche industrielle

La recherche industrielle tient une place importante dans l’organisation de la recherche scientifique et technique des pays Membres. Près de 60 % du total des dépenses de R-D sont effectuées par le secteur manufacturier. Dans certains pays, une part significative du financement est assurée par l’Etat ; dans d’autres pays, l’industrie privée finance la plus large partie des dépenses de R-D sur ses propres ressources. Dans tous les pays Membres, la recherche exécutée dans le secteur des entreprises a augmenté entre 1975 et 1977 en termes de dépenses et parfois également de chercheurs, bien que la progression des dépenses ait été, dans la plupart des pays, plus rapide que celle du nombre des chercheurs. En pourcentage de la DIRD (dépense intérieure brute de Recherche et Dévelop­ pement), la recherche industrielle a donc progressé dans la majorité des pays Membres, mais sans que cette progression vienne compenser certaines des ten­ dances relevées plus haut, en particulier la lenteur de l’accroissement des débou­ chés pour le personnel scientifique et technique formé par l’enseignement supérieur, et le vieillissement progressif de la communauté scientifique dans son ensemble. Dans ce secteur, la question du coût de l’équipement a un peu moins d’acuité que dans les deux autres. Les gouvernements sont confrontés par contre à d’autres problèmes spécifiques très importants :

a) Objectif à court terme et risques réduits

Des études américaines ont montré qu’au cours de la seconde partie des années 70, la recherche industrielle a évolué dans le sens d’une préférence accordée aux programmes à court terme et d’une diminution de la part des dépenses portant sur les recherches à long terme ayant un caractère exploratoire ou tou­ chant les connaissances fondamentales. Bien que des enquêtes récentes paraissent indiquer une certaine amélioration de la situation de ce point de vue, elles s’accordent pour constater que, dans beaucoup d’industries et de firmes, l’horizon temporel de la recherche industrielle s’est nettement rétréci sous l’effet de la crise. Parallèlement, la propension à prendre des risques s’est réduite sous l’impact, d’une part, de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt et, d’autre part, des réglementations gouvernementales accrues. L’importance de ces questions pour les politiques de l’innovation sera soulignée dans le chapitre suivant.

D’autres études ont mis l’accent sur le rôle accru dévolu aux départements financiers au sein de la direction des grandes entreprises, ainsi que sur certains changements intervenus dans la gestion de l’innovation technologique et dans l’organisation même de la R-D au sein des grands groupes. On assisterait en effet tout d’abord à une évolution de l’organisation de la recherche à l’intérieur des entreprises, l’accent passant des laboratoires centraux de recherche à des labora­ toires « divisionnaires » de développement ; on constaterait, en second lieu, que le recours croissant à des méthodes formalisées et quantitatives de sélection des projets de R-D tendrait souvent à favoriser les projets à plus court terme.

b) Grandes et petites entreprises

Dans tous les pays Membres pour lesquels on dispose de statistiques, on constate un degré élevé de concentration de la R-D industrielle. Aux Etats-Unis, la NSF a montré qu’en 1976 comme en 1978, 20 entreprises ont assuré 53 %

des dépenses globales de R-D, et 4 entreprises 20 % du total à elles seules. Dans la plupart des branches industrielles, plus de la moitié des dépenses sont assurées par les quatre plus grandes firmes de la branche. Ainsi que le note la NSF : « à ce degré de concentration les activités de R-D d’une seule entreprise peuvent avoir un effet significatif sur l’effort global de R-D industrielle »9. Cette situation n’est pas propre aux Etats-Unis. Des taux de concentration semblables existent dans l’ensemble des plus importants pays Membres en matière de R-D industrielle.

C’est par rapport à cette situation qu’il faut situer la préoccupation de nombreux pays Membres de combattre les tendances à l’oligopolisation croissante de l’économie et de trouver l’équilibre le plus juste entre la concentration et la concurrence. On s’efforce en particulier d’améliorer les capacités d’innovation des petites entreprises et, dans la plupart des pays Membres, depuis sept ou huit ans, sont élaborés et mis en œuvre des programmes conçus à cette fin, en particulier pour les petites entreprises à « haute technologie ».

Les petites entreprises et les inventeurs individuels ont pris une part prépon­ dérante dans les inventions qui ont nourri l’expansion des sociétés industrielles. Les unes et les autres continuent d’y jouer un rôle et on comprend que les gouver­ nements se préoccupent de les y aider. Depuis la fin de la deuxième guerre mon­ diale cependant, les conditions de l’invention et de l’innovation se sont considé­ rablement transformées, et avec elles le partage au sein du tissu industriel des entreprises de différentes dimensions, avec des pouvoirs industriel et financier très inégaux.

9. Science Indicators - 1976, NSF, Washington, D.C., 1977, pp. 103-104 et 1978, NSF, Washington, D.C., 1979, p. 82.

La situation varie considérablement d’industrie à industrie. Dans certaines branches, il est encore possible pour des petites et moyennes entreprises de faire face à la concurrence par une recherche systématique de créneaux, soit en réponse à des changements techniques radicaux introduits par les grandes firmes (ainsi pour les instruments de mesure), soit en exploitant les percées prometteuses de centres de recherche privés, universitaires ou publics.

Dans la catégorie des industries en émergence, caractérisées par l’application immédiate de découvertes pour des productions tout à fait nouvelles mais très incertaines, les petites entreprises tirent parti de leur souplesse et de leur rapidité d’intervention (parfois avec le soutien plus ou moins actif des grands groupes) comme des explorateurs avancés aux frontières du développement technologique. L’expérience montre cependant que ces petites entreprises se créent souvent à partir de retombées (« spin-off ») de plus grandes (ainsi dans l’électronique des années 50 et 60), ou vivent des contrats qu’elles passent avec les grands groupes dont elles sont parfois les filiales (ainsi, de nos jours, l’ingéniérie génétique).

Dans d’autres industries enfin, une part non négligeable de l’activité indus­ trielle est assurée dans le cadre de relations de sous-traitance, depuis des pro­ ductions de masse (automobiles) jusqu’à la réalisation de grands projets (nucléaires par exemple) : grandes firmes et PME s’y partagent respectivement des tâches de conception et d’exécution sous l’autorité des premières. Les politiques gouver­ nementales d’aide à l’innovation dans les petites entreprises paraissent devoir tenir compte de ces différents cas de figure pour atteindre leur pleine efficacité.

c) Problèmes spécifiques posés par les entreprises multinationales

L’essor des entreprises multinationales (EMN), leur déploiement mondial et leur impact sur toutes les sphères d’activité économique constituent l’un des développements économiques et sociaux les plus significatifs de la dernière décennie. Il y a un lien étroit entre le rôle croissant de ces entreprises et certaines tendances de l’évolution de l’économie mondiale, notamment le caractère inter­ national de la science et d’une grande partie de la technologie, et surtout le caractère international toujours plus marqué de la production industrielle, de la distribution et des marchés. Dans de nombreuses industries, les EMN sont les principaux producteurs d’une partie importante, ou très importante, des techno­ logies nouvelles offertes sur le marché, ainsi que d’une fraction des connaissances scientifiques fondamentales à partir desquelles celles-ci sont développées. Il y a là l’esquisse d’un « potentiel scientifique et technique à l’échelle mondiale » qui est la source d’un grand nombre d’innovations techniques importantes.

Dans l’immédiat cependant, les modalités spécifiques de déploiement inter­ national des activités scientifiques et techniques poursuivies par les entreprises multinationales peuvent poser un certain nombre de problèmes aux gouvernements soucieux de préserver et de développer le potentiel d’innovation de leurs pays. Des études montrent en effet que toute la recherche fondamentale et la partie la plus importante de la recherche appliquée des EMN sont implantées dans le pays d’origine (éventuellement dans un ou, plus exceptionnellement, dans deux autres pays hautement industrialisés choisis pour leur marché, d’un niveau de développement comparable, et pour leur communauté scientifique importante). Dans l’ensemble des autres pays hôtes, les activités de R-D des EMN ont presque toutes sans exception un champ d’application beaucoup plus limité : elles se réduisent le plus souvent à des travaux de soutien et à un minimum de recherche appliquée dont l’objet est surtout d’adapter les produits aux besoins locaux ou de satisfaire aux législations et aux réglementations nationales. Leur contribution au potentiel d’innovation national est donc très limitée.

Font exception à cette règle quelques entreprises, appartenant toutes à l’élec­ tronique et à l’informatique, qui ont une assise scientifique et technique mondiale. Celles-ci déploient leurs activités de recherche en direction des pays pourvus de communautés scientifiques importantes et d’une infrastructure scientifique d’un niveau élevé. Ce déploiement assure à ces entreprises l’accès aux communautés scientifiques nationales et leur permet de centraliser à une échelle mondiale les résultats de la recherche fondamentale. Dans de nombreuses autres industries en revanche, la création de services de R-D à l’étranger ne s’inscrit généralement pas dans le déroulement normal de l’activité des EMN.

Ce phénomène de « multinationalisation » de la recherche s’étend d’ailleurs aujourd’hui aux petits et moyens pays qui ont été eux-mêmes le foyer d’origine d’une ou plusieurs EMN. En effet, les grandes entreprises de ces pays tendent de plus en plus à transférer leurs activités de recherche à l’étranger, la proximité de marchés importants et le niveau scientifique élevé des pays d’accueil expliquant ces politiques de délocalisation. Un nombre grandissant de gouvernements peuvent se trouver ainsi confrontés au problème de la répartition inégale des potentiels d’innovation au plan international.