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Dans ma recherche doctorale, j’avais investi plutôt les processus de formation (par leur pratique) en

lien avec les créations chorégraphiques (par leur perception ou la pratique d’éléments de leur répertoire). J’adoptais donc cette double posture de la stagiaire-chercheure dont le deuxième terme pouvait passer en certains lieux inaperçu pour ne pas déranger. En cette époque récente où les artistes nous sollicitent pour collaborer à différents projets, je pense ici combien l’écart est grand au regard des conditions dans lesquelles je commençais mes recherches. Dans les années 80-90, comparant ce que les chercheurs en cinéma, en histoire de l’art, en musique ou en théâtre pouvaient organiser, dire, faire ou analyser sur des œuvres contemporaines, il me semblait que le chercheur en danse était alors une figure encore bien trop « étrange » pour les milieux chorégraphiques et institutionnels de la culture et où la question « mais pour quoi ? » ne cessait malgré tout de se poser. C’est aussi que la transmission en danse relevait alors généralement et

véritablement du compagnonnage, d’une certaine culture du secret de fabrication, de la dette et du pouvoir du maître qui ne s’accordait pas franchement avec mes ouvertures réflexives. Lorsqu’en 1989, je demandais, pourtant très délicatement à Michel Hallet-Eghayan, alors que j’avais passé trois années, assidue, dans son école à Lyon, de pouvoir assister à un processus de création d’une de ses pièces (dont je suis désolée de ne me souvenir du nom), il me dit : « C’est impossible. C’est comme si tu me demandais d’être là alors que je fais l’amour ». Certes, il y va dans tout processus de création dans le spectacle vivant d’une certaine intimité ; certes aussi, « faire de la recherche » n’est pas franchement « faire l’amour », mais tout de même « danser » non plus. J’en sortais relativement échaudée et adoptais ensuite des sortes de stratégie de « mouche » dans tous les cours, stages, ateliers que je prenais, ou bien ne me déclarais aux artistes ou pédagogues qu’en perception de leurs dispositions à la réflexion, possiblement critique, comme à la possible publication de ces réflexions (il y en avait heureusement. Dominique Bagouet fut un de ceux-ci quoique son décès nous arrêtâmes).

Nous touchons là l’importante question de la relation avec les artistes quand le chercheur travaille sur les créations artistiques contemporaines.

À la suite de ma thèse, j’engageais des recherches « en » milieux de « création » chorégraphique.

En collaboration avec les artistes, j’ai suivi les processus de création de 9 de Loïc Touzé (session de 5 jours au début, au milieu et à la fin du processus) durant l’année 2006-2007 ; de Basso Ostinato de Caterina Sagna (une semaine à la fin du processus) en 2006 ; du Parlement des invisibles d’Anne Collod (une semaine à la fin du processus au CCN de Montpellier) en 2014 ; de Conférence dansée (2017) de Lulla Chourlin et Sarat Amarasingam (4 sessions de 5 jours au début, au milieu et à la fin du processus) durant l’année 2017.

Quoique je n’ai pas pu, de mon point de vue, ressaisir toute la richesse des recherches menées sur le processus de création de 9 de Loïc Touzé149, des récoltes documentaires (notamment des « partitions »

(verbales) construites par les danseuses, des nombreuses notes prises au cours de trois sessions de 4-5 jours d’observation et d’accompagnement), je rendais compte de la méthodologie de recherche mise en place esquissée avec la théorie de l’acteur-réseau de B. Latour, à travers une communication pour le colloque de CORD en 2006 et un article pour ses actes. [Art. 7, p. 91-98, Analyser les processus de création en danse

contemporaine - Étude de cas : le processus de création de 9 de Loïc Touzé 150].

En nous immisçant dans un processus de création qui reste avant tout tourné vers cette finalité de la production d’une pièce chorégraphique, il y va d’abord d’un accord avec le.la chorégraphe et aussi des interprètes à ce que la « recherche » qui se donne, quoiqu’il en soit d’abord par ma présence, ait lieu. Or, il est tout à fait clair que les conditions de possibilité d’existence de cette recherche tiennent au fait même que le.la chorégraphe s’y engage aussi en « artiste-chercheur ». Il importe de souligner, que m’adressant à l’artiste chorégraphique qui avait codirigé les Laboratoires d’Aubervilliers, et dont les procédures de création basées avant tout sur des protocoles d’explorations et d’expérimentations, s’entendent, en milieux artistiques, comme relevant de « laboratoires de recherches », ma démarche trouvait avec celle de l’artiste une congruence. Poser une énigme au milieu (« 9 » ici mais qui, quelques jours de la première, n’avait pas de titre), « dégager les concepts d’une danse » et ici tel que je le formulais au milieu : cette question du ou des « concepts opérateurs » agissant justement « au milieu » du processus de création de 9 (conceptualisation qui importait à l’artiste en importance des consignes, des mots comme des partitions pour expérimenter, préciser et danser encore autrement) ; suivre une « logique du processus » plutôt que du résultat (du point de vue de l’artiste, expérimenter et expérimenter encore sans penser à « faire une pièce » et la « monter » en une semaine seulement avant la première en s’y sentant forcé de la « faire ») sont certainement des éléments de convergence qui ont permis que cette collaboration qu’on a nommée « accompagnement » soit possible.

149 Ma fille déclarant en 2007 un cancer au terme duquel je l’ai accompagnée pendant une longue année de traitements intensifs. 150 Art. 7, « Analyser les processus de création en danse contemporaine - Étude de cas : le processus de création de 9 de Loïc

Touzé », Actes du Congrès International Repenser la théorie et la pratique en danse organisé par la Society of Dance History Scholars (SDHS), le Congress on Research in Dance (CORD) et le Centre National de la Danse (CND Pantin), Society of Dance History Scholars, Birmingham (USA), 2008, p. 267-272 in Volet 4-Publications 2000-2019, op.cit., Art 7, p. 91-98.

Ainsi, répondant de mon point de vue à la question du ou des « concepts opérateurs » agissant justement « au milieu » du processus de création, je faisais de « la recherche » un des concepts opérateurs de

9 comme énoncé dans l’article écrit à ce sujet. Mais, en résultats, nous aurions pu en énoncer d’autres :

« l’écart » ou « l’intervalle » ou « le cristal » qui, relayé par Loïc Touzé auprès des neuf danseuses, est venu comme une consigne à la fin du processus, faisant cette proposition- qui peut-être n’a aucun sens ici sans explicitation, mais en avait un bien précis en cours-, de « danser » comme de « cristalliser ». C’est alors au regard de cette notion que je faisais porter l’article (de presse) « Cristaux chorégraphiques », que je décidais d’écrire à la veille de la première, - article qui a été un support important pour Une hypothèse de réinterprétation

(2009) de 9 de Rita Quaglia, artiste qui, spectatrice de 9, en propose en solo la reprise à partir de ses traces.

Précisons la démarche ici pour tous les cas : placée dans un coin de la salle ou en marge du groupe des danseurs avec mon carnet en main, n’intervenant que très rarement, plus prolixe pendant les repas ou les verres pris ensemble, échangeant avec le.la chorégraphe lors de moments circonscrits dans cette intention, décrivent globalement la démarche de recherche que j’ai adoptée pour les cas cités mais qui sont les mêmes quoique que plus ponctuels avec d’autres chorégraphes (fin du processus de Jeux (2017) de D. Brun, de

Stayin Alive (2018) de Mark Tompkins, par exemple).

4. Ce que je voudrais dire ici par la description de ce cas comme de cette démarche concerne finalement

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