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Dans un article écrit bien ultérieurement en 2000, j’avais considéré plus spécialement, comme la

Il est difficile de trouver les mots pour dire la gravité 199 Steve PAXTON

6. Dans un article écrit bien ultérieurement en 2000, j’avais considéré plus spécialement, comme la

conclusion de la thèse en avait ouvert les problématiques, les modalités pédagogiques que je voyais à

l’œuvre dans le Contact Improvisation et précisément au lieu de mon observation participante de la session » Immersion », rencontre internationale, organisée par ContreDanse, sur ce thème de “l’enseignement du Contact Improvisation”, du 18 au 21 mai 2000. Durant cette rencontre, se sont succédés des ateliers de Contact Improvisation avec Dieter Heitkamp (Allemagne), Kurt Koegel (Allemagne), Mary Prestidge (Angleterre), Nancy Stark-Smith (USA), Lulla Chourlin (France), Patricia Kuypers (Belgique), Caroline Waters (USA) et Frey Faust (France), des discussions relatives à l’enseignement (marquées les questions) et des jams. [Art.12, p. 167-174, La relation pédagogique dans la Danse Contact Improvisation : le partage en mouvement275].

Les manières d’enseigner-apprendre m’apparaissaient nouées avec des manières de créer, tant déjà sur le plan historique, « L’ensemble des danseurs qui vont constituer le vivier de la danse post-moderne (Steve Paxton, Trisha Brown, Simone Forti, Yvonne Rainer, Lucinda Childs, entre autres) s’accordent à voir dans les travaux d’Ann Halprin et de Robert Dunn, le moteur de leur recherche exploratoire » : « au travers des

275 Art. 12, « La relation pédagogique dans la Danse Contact Improvisation : le partage en mouvement » in Incorporer, Nouvelles de

« tasks », des danses de structures, de procédures, posées comme des “règles de jeu”, des contraintes contextuelles” ou des “programmes d’action” (Halprin) mais encore le fait que la réalisation de ces tâches donne lieu non pas à un jugement (esthétique ou qualitatif bien/mal, juste/faux) du résultat mais se fasse le support-ressource d’une recherche exploratrice relancée (Dunn) s’avançaient directement dans une certaine « rupture avec une pédagogie imitatrice et modélisante ».

Ce qui a marqué les danseurs suivant les cours de Robert Dunn est justement cette déhiérarchisation élève-à-former/enseignant-dépositaire-du-savoir, à laquelle se joignait la “méthode d’analyse du travail montré” : là, la parole de l’enseignant se transforme en une question : “comment as-tu fait cette danse ?”. Dans les ateliers d’Anna Halprin, la tache constitue un prétexte à une pratique et à une observation du fonctionnement des corps, doublée d’une analyse kinésiologique. Le corps, l’atelier se transforme en laboratoire de recherche sur le mouvement où chacun devient l’acteur de son apprentissage autour de ces questions “Comment je procède ? Comment il ou elle procède, lorsque je l’observe ? Comment je l’observe ? Qu’est-ce qui m’empêche de ? Qu’est-ce qu’il ou elle l’empêche de ? Qu’est-ce qui est de l’ordre du parasitaire dans ce mouvement ? qu’est-ce qui est de l’ordre des déterminismes personnels, culturels ?

Je mettais alors en exergue combien le Contact Improvisation s’est énoncé au départ selon une certaine « éthique pédagogique ». « Il importait à Steve Paxton, extrêmement concerné par la dimension sociale de la danse, de proposer une “structure” qui puisse générer, justement et très particulièrement, de nouveaux modes de communication et de transmission ».

Les propos de Steve Paxton sur la genèse et le développement de la forme se tissent et se re- tissent autour deux constats concernant la danse et son enseignement, en général : “l’isolement” des êtres-danseurs, parcellisés en “individus isolés physiquement, habituellement au sein d’un groupe”, constat corrélatif au procédé “dictatorial” structurant aussi bien la formation, la création, que les chorégraphies elles-mêmes. Paxton voit la structure séparatrice, hiérarchique et autoritaire opérante et effective non seulement dans le ballet classique mais aussi dans la Modern Dance, et encore, plus proche de lui, dans l'Abstract Dance de Cunningham (que Simone Forti qualifiera d’ailleurs aussi de “technique isolatoire” que ce soit sur le plan de la perception des parties du corps, que de la mise en espace des danseurs dans les créations, que sur le plan de la pédagogie où règne le “diviser pour mieux régner”). Participant au contexte contestataire des années 60 et à la danse expérimentale de la Judson Church, improvisant aussi au sein de l’association libertaire d’improvisation de théâtre et de danse, sans modèle ni leader que fut The Grand Union, il retient néanmoins que, même ces expériences communautaires “tendent à laisser leurs membres isolés” enfermés dans leur liberté et leur expression individuelle. Plutôt qu'une anti-structure telle qu'a été le "Grand Union", il s'agissait plutôt, pour Steve Paxton, d'établir une structure où prédomineraient non seulement l'improvisation (ouverte sur la multiplicité des mouvements possibles sans modélisation), mais aussi l'échange, et politiquement parlant, l'échange réversible.

Considérant la structure ouverte et « chiasmatique » du Contact Improvisation, coïncidant avec un « dialogue physique » ou un « partage du poids » en constante fluctuations et déséquilibres à partir d’un point de contact entre les corps, je considérais combien cette « forme contient intrinsèquement et virtuellement, et ce très généralement, une modalité pédagogique fondée sur l’émergence et non sur la prescription », suppose dans sa forme donc, un dé-centrement de l’enseignement comme de l’apprentissage centré non plus sur l’enseignant (comme dans les pédagogies traditionnelles), ni même sur l’élève (comme dans les pédagogies nouvelles) mais plutôt dans l’interaction entre les deux… que l’on pouvait rapprocher, historiquement aussi, des « sciences des systèmes dynamiques et notamment de la pensée écologique de l’action et de la perception du physiologiste Bernstein et du psychobiologiste américain Gibson, qui naît aussi dans les années 70 aux USA ». En lien avec les théories dynamiques de l’apprentissage moteur (Reed, Kugler et Turvey 1987) qui comprennent le comportement d’un système complexe émerge de l’interaction des contraintes qui pèsent sur

lui, je nommais combien la Danse Contact Improvisation pouvait apparaître comme une forme non prescriptive et donc une « forme émergente » en tant que « le performer n’existe pas en tant que sujet ou objet ou entité isolée, il n’existe que par la relation et est impliqué (incité ou réalisé) par l’environnement ». Mais si « Steve Paxton initie une forme émergente pour l’émergence d’une relation autre, et donc aussi d’une autre relation pédagogique », nous insistions sur le fait que « la relation pédagogique n’existe qu’actualisée dans un faire, dans des faires multiples », que nous analysions au travers des enseignements observés lors de la rencontre Immersion. Nous rendions plutôt compte « de la multiplicité des modalités pédagogiques utilisées non seulement d’un enseignant à l’autre mais aussi dans le cadre d’un même enseignement ». Imprégnation corporelle et vocale, imitation formelle, incitation kinesthésique par l’imaginaire, exploration libre, dispositifs perceptifs, inductions d’actions, avec remédiation ou pas, configurations spatiales enseignants/enseigné très diversifiées, distance ou empathie corporelle, il n’empêche que je relevais une relation pédagogique fondée non pas sur une volonté de maîtrise, et reprenant Michel Bernard, combien les pédagogues ne cachaient pas “l’impouvoir qui se trame dans toute relation pédagogique”.

Sur le plan des contenus d’enseignement, je dégageais cinq aspects à l’œuvre : l’importance accordée au contexte comme générateur d’incertitude et de découvertes potentielles ; la socialité, le partenariat ; le travail de la perception ; le travail sur les fonctionnements du corps ; la communication verbale de l’expérience et rapportait quelques éléments de réflexion qui avait tramé les discussions.

In fine, loin de penser que le Contact Improvisation impliquait une « rupture » des modes pédagogiques comme une « rupture » esthétique et politique, en lien avec le mouvement « contestataire » aux dimensions esthétiques et politiques évidentes qui l’ont générées, je portais une réflexion critique sur le danger de catégoriser comme de faire correspondre une forme chorégraphique à une modalité pédagogique, cela notamment en réaction avec le discours posé sur la « danse classique » (disciplinaire) ou la danse contemporaine (auto-disciplinaire et singularisante) tenu notamment par Sylvia Faure dans un ouvrage qui venait d’être publié276 (1999).

Cette correspondance généralisante (fondée d’ailleurs sur des “catégories esthétiques” qu’il conviendrait d’interroger) instaure, selon nous, une négation de la possible diversité des modalités d’apprentissage utilisées pour une même “forme de danse” non seulement dans l’histoire mais aussi à un moment donné. Aucune “forme de danse” ou contenu de danse n’apparaît, selon nous, par essence ou intrinsèquement liée à une modalité pédagogique ; il reste que, dans chaque contexte, c’est bien la danse de l’enseignant qui est au centre de la qualité de la transmission, c’est lui qui fait la modalité quel que soit ce qu’il enseigne, c’est elle qui véhicule un état de corps donc un rapport au monde. La convergence entre une modalité d’enseignement et la nature de ce qui s’enseigne s’effectue exactement dans le corps de l’enseignant, dans son com-portement oral, gestuelle ; là, et seulement là on ne peut pas séparer le contenu enseigné du comment on l’enseigne.

Ainsi, s’il est évident que ce « travail du sentir » n’est pas sans implication esthétique et politique, il convient à chaque fois de considérer, ce au lieu des créations artistiques comme des transmissions pédagogiques elles- mêmes, comment il est réalisé. Soit l’importance des analyses micro, de la perception même du chercheur, de son geste même, sur lesquelles on va venir.

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