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Cette définition du geste comme médialité et comme port nous intéresse particulièrement en ce qu’elle

réalise, pour nous, plusieurs opérations :

- une opération à dimension d’une pensée pragmatique d’abord, en ce que cette conception du geste pointe sur l’expérience gestuelle, et plus spécialement en ce qu’elle insiste sur la dimension de la matérialité gestuelle, qu’elle consiste même dans cette matérialité par laquelle elle semble inséparable : le geste s’entend comme expérience d’une charge, d’un poids et se perçoit ici directement dans le champ d’une dimension tonique,

dynamique des êtres ou des corps au milieu des forces gravitaires - ce que nous avions particulièrement travailler jusque-là, voir Partie 2. Kinesthésies.

Ainsi, tel que je l’énonçais dans le texte d’introduction à l’ouvrage Gestes en éclats. Art, danse et performance [Art.

5, p 61] :

Du point de vue duquel je mène mes réflexions, à savoir sur et à partir de l’art chorégraphique où le mot « geste » prend pourtant bien différentes acceptions, définir le geste ou plutôt les gestes comme manières de (se) porter importe d’autant plus que les rapports à l’espace et au temps s’ajustent précisément à une certaine relation à la gravité ou au « poids ». Le « poids » non pas comme rapport homogène à la gravité dont chacun subirait la pression et dont on aurait, par le fait en force de loi, rien à dire, à agir ou à penser, mais, comme le souligne Laurence Louppe à la suite du théoricien des gestes Rudolf Laban, comme « enjeu poétique primordial », comme « relation » tressée et sans cesse re-négociée dans le champ de l’individualité comme à l’échelle des cultures et des sociétés de « parti- pris pondéraux » 95. Il y a là une invitation conceptuelle à la considération de ce que l’on pourrait

précisément nommer des gestualités où, sur fond de ce que j’ai appelé des pondéralités, c’est-à-dire des

manières d’être-à-la-gravité, intrinsèquement constitutives de nos manières d’agir, de voir, de sentir et de

penser, les gestes viendraient les re-porter encore et, en en révélant la charge, viendraient re-mettre à nu leurs gravités comme leur caractère labile et fragile. La gestualité ici concernerait alors exactement ce redoublement d’un geste sur lui-même : la portée d’un port, la charge d’une charge, une pondéralité éprouvée, exposée, mise à nu, ou dit plus globalement avec Michel Bernard, une corporéité re-portée, sup-portée c’est-à-dire assumée.

91 Giorgio AGAMBEN, Karman. Court traité sur l’action, la faute et le geste, Paris, Seuil, 2018, p. 125-127. 92 Giorgio AGAMBEN, Notes sur le geste, Moyens sans fins, op.cit., p. 67.

93. Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition, Paris, Institut de France, 1835.

94 Art 5, « Agencement. Performances et gestes en éclats (introduction à l'ouvrage) », op.cit., p. 21 in Volet 4-Publications 2000-

2019, op.cit., Art 5, p. 61.

- une opération à dimension d’une pensée écologique ensuite, visant à considérer le geste comme surgissant au milieu de milieu(x). Il s’agit là de considérer cette « médialité » dont parle Agamben, au sens plus proprement deleuzien d’une « pensée du milieu par le mi-lieu » ; au sens des milieux des conceptions écologiques (Uexküll, Merleau-Ponty, Simondon, Stiegler, Descola, Ingold) mais encore d’une pensée écologique du mouvement (Gibson, Berstein).

Ainsi, pour la première :

« Ce qui compte, ce ne sont pas les débuts ni les fins, mais le milieu. Les choses et les pensées poussent ou grandissent par le milieu, et c’est là qu’il faut s’installer, c’est toujours là que ça se plie96 ».

« Ce n’est jamais le début et la fin qui sont intéressants, le début et la fin sont des points. L’intéressant, c’est le milieu. [...]Non seulement, l’herbe pousse au milieu des choses, mais elle pousse elle-même par le milieu97 ».

La notion de « médialité » peut aussi s’envisager dans le champ de la notion de « milieu » que développe G. Simondon, celle de « milieux associés » et de processus d’« individuation sans sujet98 », que comprend

aussi la pensée du milieu deleuzienne. Le « milieu », dans son usage le plus commun, est à la fois ce qui est autour de l’individu (environnement) et entre les individus (medium). Les deux sens du terme de milieu se rejoignent dans une philosophie de l’individuation de Simondon selon laquelle, pour comprendre la relation de l’individu et de son milieu, il faut partir du mi-lieu de cette relation, c’est-à-dire au point où ni l’individu ni le milieu ne sont encore constitués. Le milieu n’est donc pas, à proprement parler, extérieur à l’individu : il en est le complémentaire, à ce titre il n’est pas l’environnement.

De même, il s’agit de considérer cela proprement au sujet du « geste avec l’approche « écologique de la perception » initiée par James J. Gibson et Nikolaï A. Berstein99 étudiant le système « animal-

environnement » - qui a convergé avec la pratique developpé dans les années 70 de Lisa Nelson. Le concept d’« affordance100 » développé par James Gibson à propos de la perception dans les années 50, prolongé par

les études de Eleanor Gibson et Anne Pick nous paraît à ce titre important d’être pris en compte. L'affordance est l'ensemble de toutes les possibilités d'action d'un environnement. Une sorte de « potentialité » d’action. C’est souvent l’exemple de la chaise qui l’explicite : une chaise « offre » par ses formes, ses consistances et sa position gravitaire, certaines possibilités d’action, de l’épouser pour s’y asseoir, pour la saisir, pour s’y placer en dessous ou autres, ce geste comprenant aussi, avant même que de se déployer dans l’espace, sa perception. On pourrait dire que cette chaise-là pousse à agir, contient certaines possibilités d’action et donc trace une certaine configuration de possibilités spatiales, temporelles, dynamiques de gestes. C’est dire combien que l’activité gestuelle comprend de dimensions perceptuelles de trajectoires, de lignes, de formes, de creux, de bosses, de pointes, de consistances, de dur, de fort, de doux, de piquant, de chaud, d’épais, d’orange, de vert, de supports, de stable, de déséquilibres, de mouvements, de vitesses, de lenteurs, de saccades, de flux, de contraction, d’élasticité, d’amplitude, etc, ayant lieu au cœur du geste même. Ainsi, il nous importe de le concevoir le geste non pas comme une entité issue d’un seul corps « propre » mais bien comme une émergence au milieu des milieux, des espaces, des temps, des objets, des personnes, des images, des sons, des mots, etc.

96 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p.219.

97 Gilles DELEUZE, Claire PARNET, Dialogues, Paris, Flammarion, [1977],1996, p. 50-51 98 Gilles DELEUZE, Idem.

99 James J. GIBSON, The perception of visual world, Boston, Houghton Mifflin, 1950 ; James J. GIBSON, The senses considered as perceptual

system, Boston, Houghton Mifflin, 1966 ; Nikolai A. BERNSTEIN, The co-ordination and regulation of movements, Oxford, Pergamon press, 1967.

100James J. GIBSON, Approche écologique de la perception visuelle (1979), tr. fr. Olivier Putois, Bellevaux, Éditions Dehors, 2014 et

Eleanor GIBSON, Perceptual learning and development : An ecological approach to perceptual learning and development, avec A.D. Pick, Oxford: Oxford University Press, 2000.

Aussi bien, le geste, couplé à la perception, tient son existence que d’être branché à un milieu, et d’abord, pour nous, à un milieu gravitaire et relationnel avec d’autres êtres gestuels ; plus même il semble advenir, en sa forme comme en sa dynamique, comme par le milieu d’un milieu. En écho aussi à la notion de médiance de A. Berque, il ne s’agit pas seulement « d’interaction avec l’environnement », il y va par ce geste-milieu comme de médiances, d’offres, d’appels, d’échanges, de rapports où toutes les existants selon différentes modalités tourbillonnent entre eux dans des mutations réciproques.

Dès lors et en bref, notre lecture du geste viserait une perception radicale du geste comme geste-milieu entendu simplement ici que le geste a lieu dans, par, de, pour l’espace-temps-poids qu’il construit en même temps. Geste-milieu est donc bien la formule la plus condensée que nous ayons trouvé pour saisir ce geste dont l’émergence ne s’entend d’ailleurs aussi pour nous non pas seulement dans l’espace mais aussi du temps, de la durée, des mémoires, des configurations et des reconfigurations dans les habitudes, des histoires (voir Partie 3 Archives et Volet 3. Inédit. Archéologies du geste).

- une opération à dimension d’une pensée est-éthique et politique aussi. En pointant la « médialité » du geste dont parle Agamben, il s’agirait aussi proprement d’insister sur la fragilité des gestualités terrestres (dans l’espace et dans le temps). Peut-être aussi que la notion de « geste » nous invite en elle-même au fragile...

Si « geste est le nom de cette croisée où se rencontrent la vie et l’art, l’acte et la puissance, le général et le particulier, le texte et l’exécution » ; s’il n’est ni un « faire », ni un « agir », « ni valeur d’usage, ni valeur d’échange, ni expérience biographique, ni événement impersonnel », s’il advient même selon Agamben comme « l’envers de la marchandise »101, je proposais en 2012 à l’École Nationale Supérieure d'Art de Dijon

dans le cadre du festival autour des nouvelles formes de création organisé par L'Atheneum "Actions", une longue conférence que j’avais intitulée, non sans une touche de douce provocation « La performance : suspension de l'action ?102 », cela en lien direct avec les questions que nous avions posées au sein du D.U Art, danse et performance. En ayant présenté en préambule le schéma de l’action soit du « drame » chez Aristote,

j’ai proposé une « lecture » de plusieurs performances artistiques historiques et contemporaines103 à partir

de photos et d’extraits vidéos et je pointais différents acceptions-réalisations de cette “suspension de l’action” : le primat de la réceptivité sur l’activité ; le « pas-faire », le « mal-faire » de Robert Filliou, la logique processuelle, le modèle de la « grève générale », la prégnance pour les « arrêts », l’immobilité, l’horizontalité, le « reverse », l’interruption, etc.

Mais, peut-être plus fondamentalement, nous avons vu cette propension du geste de n’être pas tourné vers la fin ou la représentation et d’exposer sa « médialité » ou son « désœuvrement » comme en parle Agamben. C’est alors que j’insistais particulièrement, dans l’introduction à l’ouvrage Gestes en éclats. Art, danse et

performance, en plus des dimensions du « multiple », de « l’ouvert » qui nous avaient conduites, surtout sur le

« fragile » au cœur du geste même et de la fragilité même qui selon nous s’expose aussi dans la danse- performance [Art. 5, p. 60104].

101 « Geste est le nom de cette croisée où se rencontrent la vie et l’art, l’acte et la puissance, le général et le particulier, le texte et

l’exécution. Fragment de vie soustrait au contexte de la biographie individuelle et fragment soustrait au contexte de la neutralité esthétique : pure praxis. Ni valeur d’usage, ni valeur d’échange, ni expérience biographique, ni événement impersonnel, le geste est l’envers de la marchandise. », Giorgio AGAMBEN, Moyens sans fins, notes sur la politique, op.cit, p.90.

102 2012. Conférence « La performance : suspension de l'action ? », École Nationale Supérieure d'Art de Dijon dans le cadre du

Festival "Actions", festival autour des nouvelles formes de création organisé par L'Atheneum de l'Université de Dijon, 15 février 2012.

103 Sous ce prisme, nous proposions une lecture de : Klein, Le saut dans le vide ; Robert Morris, Site, Halprin, Parades and Changes ;

Abramovich, Impondérables. The artist is present ; Cage-Cunningham, Variations V ; Oppenheim. Reading position for a second degree burn ; Acconci Seedbed ; Export, Vienne ; Rainer, CPAD ; Kaprow, Fluids ; Antin. Modelage ; Pane. Death Control, Serra. Hand catching lead, Bausch, Café Muller ; Furlan, Numero23, Ferrer. Encore une performance ; La Ribot ; Sehgal Welcome to this situation ; Pièces distinguées ; Bel. V.Doisneau, Carole Douillard, The viewers.

104 Art 5, « Agencement. Performances et gestes en éclats (introduction à l'ouvrage) », op.cit., p. 21 in Volet 4-Publications 2000-

Au milieu même de l’ouvert ou du multiple, au milieu même de la « performance », il m’importe de faire émerger à la surface une seule et principale notion : le fragile. [...] Si, comme le dit Agamben dans un certain excès peut-être aussi, le geste « consiste à supporter et à exhiber une médialité, à rendre visible un moyen comme tel », si alors, par le geste, « l’être-dans-un-milieu devient apparent »105, ce serait alors que, fondamentalement, le geste résonnerait de la médialité même de « ce

qui fait une vie106 » et qu’il révélerait, par excellence, ce milieu comme « grave », qu’on veuille bien le

prendre dans tous les sens du terme et pas seulement dans celui d’une tragédie. [ mais bien déjà au sens de sa gravité terrestre].

Je dirais alors que le geste s’expose exactement comme un redoublement de l’« être-au-milieu-de- la-gravité » et que ce « port » compris comme « sup-port » tient de sa fragilité même.

Quoique ces dimensions liées à la relation gravitaire qui constituent pourtant toute spatialité et toute temporalité et encore toute corporéité soient rarement considérées, il nous importe très exactement de les énoncer, d’autant plus dans le champ des performances en arts où elles apparaissent le plus souvent très vives, en prenant justement toutes les formes entre chute/rétablissement, déséquilibre/équilibre, contraction/relâchement, immobilité/mobilité et d’autant encore lorsqu’elles s’y révèlent en véritable enjeu esthétique et politique107.

C’est donc dans ce sens que la notion de geste nous intéresse, celui d’une liminalité entre l’individuel et le collectif, entre l’événement et la durée, entre le réel et l’imaginaire, entre le porté et le supporté, entre les moyens et les fins, qui s’y donne davantage que dans la notion d’action toujours plus soudée à un « acteur », à son but, à sa fin, toujours plus solide de son « drame » ou de son jugement, comme on a pu la comprendre à partir des écrits d’Aristote.

Fragilité des termes d’event ou de happening, de celui d’improvisation ou même de concert tels qu’utilisés dans les performances américaines des années 1950-1960 où l’instabilité, l’incertitude ou l’équiprobalité sous-jacente des gestes, résonnent toujours plus que dans ceux d’« action » ou même de « performance » tels qu’utilisés en France à partir des années 1970 jusqu’à aujourd’hui.

Fragilité cristalline du geste conçu comme événement et durée108, fragilité aussi de la per-formance

lorsqu’elle s’envisage comme « per-formation » ou traversée intensifiée des formes, lorsque l’intensité se porte sur la traversée plutôt que sur la forme, sur le procès plutôt que sur la création, sur le désœuvrement ou sur le ré-œuvrement plutôt que sur l’œuvre.

Porter attention au geste ou aux gestes (plus peut-être encore qu’au « corps » et aux corps), ce serait

alors porter son attention sur leurs conditions de possibilité de n’exister que par leurs supports (qu’ils soient faits d’airs, de terres, de mers, de sols, de matériaux, d’animaux, de végétaux tout autant que d’autres corps ou de gestes humains ou non-humains), de voir la vulnérabilité même d’un « monde vulnérable109 », et ainsi, je le pense, de faire un geste (porter son attention) sur et pour les gestes. Ce

qui est précaire est, comme l’exprime Jankélévitch, « précieux » et, en ce sens, avons-nous à

105. Giorgio AGAMBEN, Moyens sans fins, op.cit., p. 69.

106. Judith BUTLER, Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil, Paris, La Découverte, 2010.

107. J’ai souligné par ailleurs combien les performances américaines des années 1970 s’avancent dans cet enjeu esthétique et politique d’une autre relation à la gravité ou d’un parti-pris pondéral basé sur le consentir gravitaire et combien cette pondéralité constitue, à la croisée des arts plastiques, des arts sonores et de la danse, la trame importante des gestes à l’œuvre. Les dispositifs de jeux ou de renversements gravitaires, les expériences de la « perception » et notamment kinesthésique, les figures de l’horizontalité dans l’enjeu d’une égale répartition des parties et notamment des parties d’un corps devenu « démocratique », l’importance du « pedestrian movement » et des gestes ordinaires, les dynamiques tourbillonnaires du déséquilibre, de la chute, du balancé, les « partages » du « poids » adviennent comme autant de re-dispositions esthétiques et politiques basées sur des re-modulations corporelles et perceptives qu’investissent les artistes danseurs tels qu’A.Halprin, S.Forti, Y.Rainer, D.Hay, T.Brown, S.Paxton, le Contact Improvisation et les pratiques d’« éducation somatique » et qui infiltrent autant les artistes plasticiens ou musiciens comme R.Morris, R.Rauschenberg, C.Schneemann, L.Anderson, La Monte Young, T.Riley, B.Nauman, J.Jonas, R.Nonas, R.Serra, A.Kaprow ou Y.Ono in Aurore Després, « Performances américaines des années 1960-1970. Les enjeux d'une autre relation à la gravité », voir Partie 2. Kinesthésies. Art. 10. Revue LIGEIA, Corps et performance, Dossiers sur l'art, Giovanni Lista (dir.), N°121-122-123-124 sous la direction d'E. Ollier, Paris, 2013, p.149-171, p. 141-158.

108. Notion de « cristal de temps » in Gilles DELEUZE, L'Image-Temps, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p 109. 109. Joan TRONTO, Un monde vulnérable, Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

considérer, aujourd’hui peut-être plus qu’hier encore, les enjeux non seulement esthétiques mais aussi éthiques d’un geste et des gestes, par le fait même et exactement, qu’ils portent autant la charge de « ce qui compte » que sur « ce qui compte110 ».

- une opération à dimension d’une stratégie terminologique dans le champ des pensées et des sciences humaines enfin. D’abord, au regard, en écho et en accord pour l’usage et l’intérêt pour le.s « geste.s » dans le champ des sciences humaines, de la philosophie, de l’histoire et de l’histoire de l’art111 et de l’histoire de

la danse où s’est manifesté une « histoire des gestes112 » dont nous pensons que la « recherche en danse »

peut profiter. Disons bien aussi qu’au contraire du ciblage de G. Agamben sur un geste « désœuvré », notre notion de geste, proche de celle que nous partageons au « Laboratoire du Geste » avec notamment Barbara Formis113, recouvre l’ensemble des gestualités possibles, des manières de se porter, de supporter ou de se

comporter, de leurs façons d’être au monde, de leurs modes d’apparition, de leurs rythmes, de leurs formes ou durées, et ne saurait en exclure aucun.

En bref, nous n’avons pas une définition restrictive du « geste », en ce que tous les ports avec leurs supports et leurs rapports nous intéressent et entrent dans notre champ. De même, nous ne faisons pas du geste un événement particulier qui fracture les milieux humains et se signerait en tant que tel d’avoir une « portée » politique particulière (comme le porte plus spécialement Philippe Roy, dans sa thèse Gestes et diagrammes

politiques 114 sous la direction d’Alain Brossat auquel j’ai été invitée à participer au jury au Département de

philosophie de Paris 8) et tend à le défendre aussi Yves Citton dans son ouvrage Gestes en Humanités115), qui

adviendrait comme une figure évènementielle sur un fond. Comme le soutient spécialement Barbara Formis, le geste tient tout à la fois « des gestes », autant ceux du flux général de la vie corporelle « ordinaire116 », que

de ces moments distincts, saillants, aigus qui surgissent de ce flux et constituent « un geste ».

Par ailleurs, notons combien ce terme de « geste » ainsi employé intervient en dissensus fécond au regard de son usage chorégraphique et particulièrement labanien : le « geste » tel que je l’entends apparaît ici finalement au même lieu qu’un « mouvement », c’est-à-dire en comprenant en son sein autant la-les parties du corps portées ou engagées (les ports), que les « transferts », les appuis, les postures ou les manières de se porter, et aussi, en tant que geste-milieu, tous ses supports quelle qu’en soit la nature.

En condensé, et comme nous le ferons dans notre inédit, nous définirons alors, dans une acception pragmatique, écologique, phénoménologique, esthétique, esthétique et politique, le « geste » comme la modalité d’un port d’un corps vivant appareillé à des supports de diverses natures et dont l’ensemble mis en différents rapports adviendrait par le milieu et au même lieu que la perception d’un milieu qui, comme lui et elle, ne cesse de fluctuer.

Faire porter ses recherches sur le geste serait donc porter son attention aux manières de (se) porter, sur la

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