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Plusieurs raisons peuvent être invoquées à cette jonction de la prévalence du terme de « mouvement »

dans l’art chorégraphique ; la première comme le remarquait Isabelle Launay étant le fait qu’a contrario du mot « geste » renvoyant en usage courant à une unité langagière ou symbolique, le « mouvement » signe une unité plus ouverte sur les différents champs de l’expression que la danse moderne ou post-moderne engage dans ses formes comme dans ses pratiques. Dans la théorie labanienne, on note d’ailleurs à ce sujet que le mot « geste » désigne le mouvement d’une partie ou plusieurs parties du corps s’opposant à celui de « transfert » renvoyant aux appuis du corps global et à leurs changements.

Nonobstant, dans ma thèse déjà, je faisais un usage quasi-équivalent du terme « mouvement » et de celui de « geste » préférant tout de même accorder au premier le terme employé dans les pratiques même, et au second, l’enjeu de théorisation en différentes « logiques du geste ».

Amorcé depuis le début des années 2010, plusieurs dimensions m’ont fait opté clairement pour employer le mot « geste » dans mes recherches et faire du « geste » leur principal « objet ». La première serait d’ordre esthétique puisqu’étudiant les écritures chorégraphiques contemporaines, il nous semblait que leur unité de base avait été infléchie à partir des années 60 par les avant-gardes américaines, et encore à partir des années 90 en France et en Europe.

Lors d’un colloque à Gabès en 2010 dont les actes ne furent pas publiés, je titrais « Les écritures en danse : du pas, du mouvement, de l’acte80 » scrutant les manières de découper comme de « partager » le sensible,

avec Barthes et Rancière, cela des notations chorégraphiques de Feuillet (notion de pas), de Laban (notion de mouvement) jusqu’aux partitions de Lawrence et Anna Halprin où je dégageais la notion « d’acte » comme pertinente. Ainsi, je pensais bien que nous devrions y trouver un mot spécifique en pertinence des inflexions chorégraphiques spécifiques.

Penchée sur les deux phénomènes, celui des années 60 et celui des années 90, je constatais très tôt que ceux- ci avaient été désignés tous les deux quoique de leurs différences réelles, de « non-danse ». Dans les propos d’un Michael Kirby, critique américain, il est clair que la « non-danse » vient comme une forme dansée

80 « Les écritures en danse : du pas, du mouvement, de l'acte », colloque international Écritures et arts, org. B. Koudhaï, Institut des

langues et Institut supérieur des arts et métiers de Gabès, Gabès, Tunisie, 9-12 avril 2009 in Volet 1, Biographie CV, Section 9. Communications & conférences invitées.

s’opposant directement à la danse virtuose ou spectaculaire81, cela dans le sillage du texte No manifesto (1965)

d’Yvonne Rainer ; tandis que dans ceux de Dominique Frétard, la « non-danse82 » s’énonce comme une

disparation du « mouvement », du mouvement comme « expression d’un corps » mais aussi tout bonnement du mouvement comme « déplacement », voire de la danse même puisqu’« on n’y danse plus83 ». Il va aussi

du désir des artistes chorégraphiques, et Jérôme Bel, Xavier Leroy, Boris Charmatz mais surtout Maguy Marin en clair, de déplacer les catégories des disciplines artistiques et de brouiller les frontières, à la fois parce que ce que j’ai appelé le « fait chorégraphique » puisse tout à fait se réaliser au travers de divers supports (film, vidéo, in situ, photo, installation plastique, performance), ainsi donc en dehors du dispositif scénique théâtral, et parce qu’il s’agissait aussi d’exposer et d’explorer l’interdisciplinarité inhérente au fait scénique et/ou théâtral.

Je n’ai jamais fait la critique de cet usage du terme de « non-danse » mais il est clair que, comme beaucoup d’artistes et théoriciens et chercheurs, nous y sommes jamais reconnus. Plus même, qu’il n’y ait plus aucun « mouvement dansé » repérable de manière commune, n’a jamais troublé nos méthodes d’analyses chorégraphiques (nous en reparlerons en 2e partie) et n’a fait finalement que renforcer notre propension à

parler du « geste » : cela, en tant que notion disciplinaire au sens où le propos chorégraphique s’entende alors spécialement comme un propos sur le « corps » et sur le « geste » (plutôt que sur le « mouvement ») et aussi en tant que notion transdisciplinaire au sens où le « geste » pouvait s’entendre comme traversant les disciplines artistiques.

C’est encore à tous ces débats, ces polémiques, ces éclaircissements aussi que j’ai participé en tant que « chercheur en danse » invitée comme « expert danse » à la DRAC de 2004 à 201984, discutant, informant,

délibérant de ce que peut être un « propos chorégraphique » avec les acteurs des arts de la scène, les programmateurs, les artistes, les responsables institutionnels.

Ainsi, si cette « non-danse » manquait de « mouvement », elle ne manquait pas de « geste », entendu ici au sens large, soit d’acte artistique, soit simplement de présentations ou représentations d’« actions », de « tâches » telles qu’exprimées par Anna Halprin, d’actions tirées plus ou moins de la « vie ordinaire » (plutôt que du quotidien selon Julie Perrin85), soit même, elle pouvait se définir à la mesure de la définition extensive

de la « performance » selon R. Schechner, sur la modalité générique d’un « Showing doing », « montrer une activité ». Bref, bien plutôt que de virtuosité des « mouvements » du.des corps, les scènes chorégraphiques, à la lisière de l’art performance en regain dans le champ des arts visuels, se voyaient davantage relever de ces sortes de « laboratoires » du « corps » et du « geste » - cela notamment favorisés par la création en 2001 des Laboratoires d’Aubervilliers où ont échangé une pléthore d’artistes-chercheurs chorégraphiques auxquels, pour raison géographique, j’ai bien peu participés mais dont les travaux résonnaient en innervations multiples (journaux, revues, créations artistiques). En 2011, impulsant en même temps le

Diplôme universitaire Art, danse et performance, je me rapprochais du « Laboratoire du geste86 », créé en 2009 par

Mélanie Perrier et Barbara Formis à l’Université Paris 1- Sorbonne.

81 Michael KIRBY, « Danse et non-danse : trois continuums analytiques » in O. ASLAN, Le corps en jeu, op.cit., p 209-218. 82 Dominique FRETARD, Danse contemporaine. Danse et non-danse. 25 ans d’histoires, Paris, Éditions Cercle d’art, 2004. 83 Rosita BOISSEAU, « Dans beaucoup de spectacles de danse, on ne danse plus », Le Monde, 25 avril 2009,

https://www.lemonde.fr/culture/article/2009/04/25/dans-beaucoup-de-spectacles-de-danse-on-ne-danse- plus_1185423_3246.html#ens_id=1185104

84 Période discontinuée par 3 années d’interruption entre quatre périodes de 3 ans de mission.

85 Julie PERRIN, « Du quotidien, une impasse critique », Barbara FORMIS, Gestes à l’œuvre, Paris, De l’incidence Éditeur, 2015, p.

83-89.

86 « Le Laboratoire du geste est une ligne et lieu diffus de recherche et de création à géométrie variable travaillant autour et à partir

de pratiques artistiques contemporaines où le geste effectif des corps se pose comme forme artistique ou constitutive du processus créatif. Le laboratoire met en réseau et mutualiser artistes, compagnies, chercheur(e)s… concernés et mettre en commun leurs réflexions et intérêts. Il développe des pistes de recherche transversales alliant pratique et théorie en vue de promouvoir et d’éclairer les pratiques gestuelles contemporaines, qu’elles soient d’expositions, chorégraphiques ou performatives pour s’inventer comme une plateforme de mise en situations effectives. », http://www.laboratoiredugeste.com/spip.php?article674,

Dans tous les cas, il s’agissait et il s’agit bien, cela dans le halo possible d’un questionnement autour de la performance, de créer des lieux et milieux de recherche et de création en arts comme des chantiers de questions ouvertes sur l’art, le corps et le « geste ».

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