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A la recherche d’un concept modeste de la réconciliation

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 72-75)

Dans l’article cité, Susan Dwyer défend un concept de la réconciliation « pour réalistes » basée sur l’ « intégration narrative » du conflit, une approche par-tagée avec d’autres auteurs comme Dan Bar-On et Monique Eckmann. Cette conception se veut réaliste en ce sens qu’elle se veut également opérante aux niveaux micro et macro. Etant donné l’importance de cette conception pour notre recherche, je m’attacherai à restituer ici le plus fidèlement possible la séquence de ses arguments dans le chapitre de référence (Dwyer, 2003 : 94-109).

s puie généralement sur un idéal normatif de vérité.

s croyances ou l’interprétation d’évènements, l’idéal normatif n’est pas la vérité et la consistance logique mais la compréhension, l’intelligibilité et la cohérence, trois notions qui forment la base de ce que Dwyer appelle une notion « compréhensive » de la réconciliation.

s le récit qu’ils en font (Human lives are led narratively), ils y intègrent leurs his-toires, leur expérience, leurs espoirs et leurs craintes. Il y a une unité narra-tive dans la manière dont chacun se raconte à soi-même et nous attendons des autres une même unité, sans quoi la confiance ne serait pas possible. s

ou de violence entre proches ou entre groupes cœxistant dans la société. Les victimes sont brutalement amenées à revoir la croyance qu’elles avaient dans leur sécurité et dans la confiance qu’elles portent aux autres, leur propre histoire leur est devenue inintelligible. On ne peut sous-estimer la

3. LE CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA DÉMARCHE 

sévérité de ces ruptures car il en va de notre existence morale : la compré-hension que nous avons de nous-mêmes et des relations interpersonnelles (un besoin humain fondamental, souligne Dwyer) est rompue et notre identité profondément menacée, quand elle n’est pas détruite 12.

s récit unifié est donc à la base de tout processus de réconciliation : un enjeu fondamentalement identitaire. Dwyer s’empresse de préciser que, s’agis-sant de réduire les tensions qui la mettent en péril, quand bien même l’iden-tité (personnelle et collective) est profondément blessée et menacée, il ne s’agit pas d’éliminer la tension mais bien de l’incorporer 13.

s communautés et des nations qui se retrouvent autour d’un récit partagé. A moins de tomber dans des schémas identitaires figés, il n’est pas nécessaire de concevoir ces récits comme des touts homogènes et indifférenciés 14. Dans le cas du Rwanda, la recherche d’un récit fédérateur passe par la remise en cause fondamentale du récit unifié « d’avant » qui portait les germes de la division. Dans un pays où l’ethnisme faisait partie du discours domi-nant, un discours inscrit dans les lois, les institutions et l’histoire officielle, la compréhension que les Rwandais avaient d’eux-mêmes, à l’exception de ceux qui étaient en désaccord ou en résistance avec ce discours, était elle-même pathologique. Il faut alors envisager la possibilité d’une rupture posi-tive avec le récit dominant, une possibilité que Dwyer traite avec l’exemple de l’Afrique du Sud.

s lèle avec le Rwanda), la transition a été placée sous l’égide d’un nouveau

12 Il me vient à l’esprit le suicide de Stefan Zweig, cet écrivain juif allemand exilé au Brésil dont l’identité, avant le nazisme, était précisément d’être un grand écrivain allemand reconnu et honoré dans son pays et mondialement. La négation morale de cette identité par l’Allemagne nazie a achevé son œuvre avec le suicide (paisible) de l’écrivain et de son épouse.

13 Sur ce point, je prendrai volontiers comme exemple le récit des rescapés qui se souviennent de tel

voisin ou voisine dont l’amitié et la bienveillance avait marqué leur enfance et qu’ils découvrent brutalement complices des génocidaires.

14 Le retour des « mémoires blessées » ou « trouées » auquel on assiste aujourd’hui dans un nombre

étonnant de pays, de l’Espagne au Chili en passant par la France, la Suisse et la Turquie, montre au contraire à quel point il est important de prendre en compte la pluralité des récits pour réactualiser le sens du vivre ensemble et tenter à nouveau de produire un récit plus englobant, plus riche en vérité et donc en complexité.

 CITOYENNETÉ ET RÉCONCILIATION AU RWANDA

récit national en gestation : celui de la Rainbow Nation. Dwyer insiste sur les difficultés de la révision du récit national et des récits personnels, même dans le cas d’une rupture positive, chacun ayant été profondément mar-qué par son appartenance au monde dominant des Afrikaners ou dominé des populations de couleur. De surcroît, les blessures occasionnées par la torture et les disparitions (que dire en situation de génocide ?) étaient de nature telle que la politique de réconciliation a pu paraître comme un pis-aller moral aux yeux de certains commentateurs, surtout dans le contexte d’une politique d’amnistie (au profit de l’établissement de la vérité) dont le risque essentiel était de prolonger indéfiniment les sentiments d’impu-nité et d’injustice.

s d’un processus de réconciliation sur le modèle de l’intégration narrative : Dans un premier temps, il s’agit d’avoir une vue la plus claire possible des évènements (c’est ce qui était visé par la Commission Vérité et Justice en Afrique du Sud dans le cadre du deal : possibilité d’amnistie contre dévoi-lement total des crimes). Dans un second temps, il s’agit d’articuler les dif-férentes interprétations. Dans un troisième temps, les parties choisissent un sous-ensemble d’interprétations qui leur permettra d’intégrer les diffé-rents éléments perturbants dans leurs récits. Elles ne choisiront pas la même interprétation mais parviendront peut-être à des récits « mutuellement tolé-rants » si elles partagent le désir d’une compréhension commune, même minimale, de ce qui est arrivé 15 . Dans un quatrième temps enfin, certains accepteront de revoir leurs récits.

Un tel processus, commente Dwyer, peut éventuellement inclure la présen-tation d’excuses et le pardon, ils ne l’impliquent pas nécessairement. C’est la raison pour laquelle réconciliation et pardon sont conceptuellement indépendants, et c’est ce en quoi consiste la modestie de la conception

15 En convergence avec cette idée, je citerai volontiers les travaux du psychologue israélien Dan Bar-On, qui a travaillé dans des groupes de dialogue à faire émerger une « histoire suffisamment bonne ». « Dans le contexte allemand-juif, ou dans celui du conflit israélo-palestinien, une histoire suffisam-ment bonne, c’était celle qui présentait la Shoah ou Al-Nakbah (la catastrophe palestinienne) de façon telle que les deux groupes pouvaient l’accepter, émotionnellement et cognitivement, en dépit du conflit persistant entre eux. Elle était la base sur laquelle pouvait s’élaborer une façon commune de comprendre et de ressentir, le premier pas vers une mémoire collective dans un groupe dont les membres avaient été jusque-là attachés à des mémoires mutuellement exclusives, ou à des " identi-tés tribales ” conflictuelles » Bar-On (2007 : 56).

3. LE CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA DÉMARCHE 

défendue par Dwyer. La révision des récits peut s’avérer psychologique-ment possible là où le pardon ne l’est pas. La révision des récits s’inscrit en effet dans un paradigme principalement épistémologique : comprendre ce qui s’est passé, avoir des explications cohérentes.

3.3.5 Quel concept de réconciliation est-il pertinent

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 72-75)