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Le partenariat entre l’association et les chercheurs à travers la recherche-action

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 117-121)

La recherche-action avec le Students clubs for Unity and Reconciliation

4.6.2 Le partenariat entre l’association et les chercheurs à travers la recherche-action

4.6.2.1 La dynamique entre chercheurs et acteurs

Les chercheurs du CCM ont dans un premier temps pris contact avec les membres du comité exécutif de l’association. Ceux-ci ont fait bon accueil à l’ini-tiative de la HETS, dans laquelle ils ont vu un renfort pour l’action d’U&R auprès des étudiants et dans le pays en général. Le pas suivant a été, pour le comité, d’amener le projet devant l’Assemblée générale du SCUR : le projet a été discuté et reçu très positivement car il était susceptible de renforcer considérablement les connaissances et capacités des membres s’agissant de reconstruire une citoyen-neté démocratique rwandaise à travers le dialogue et la recherche-action.

Une fois les objectifs de la recherche-action clairement déterminés et inté-grés, ainsi que la manière dont elle allait être conduite, une convention de par-tenariat a été établie et signée entre le SCUR d’une part et le CCM soutenu par la HETS d’autre part. Ce processus de contractualisation a été l’objet de plu-sieurs rencontres : l’argumentaire du projet, entièrement explicité, s’est avéré motivant, ainsi que ce que l’on se proposait de réaliser tout au long de la période de recherche.

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A partir de là, la relation s’est développée et la mise en œuvre du projet s’est concrétisée. Dans sa phase initiale, ce fut à travers l’organisation de dialogues dont les thèmes étaient choisis par les étudiants, en lien avec ce qu’ils souhai-taient comprendre, savoir ou approfondir. Les sessions de dialogue, incluant un apport technique et scientifique des chercheurs, ont rencontré un intérêt crois-sant chez les étudiants.

4.6.2.2 Les relations entre chercheurs et acteurs

Les rencontres préliminaires évoquées plus haut (contractualisation, discus-sion des fondements théoriques et de la méthodologie...) ont déjà permis de faire largement connaissance. Tout au long du processus, les contacts étaient établis (conjointement ou alternativement) par trois chercheurs du CCM et à chaque rencontre, chaque participant se présentait en explicitant son ancrage institu-tionnel et son intérêt.

Les chercheurs ont clairement expliqué leur intérêt pour l’action menée : agir en tant que facilitateurs du dialogue et de la conduite du processus. Les chercheurs ont été particulièrement attentifs à ce que l’ensemble des acteurs impliqués parviennent à une compréhension commune des enjeux de la citoyen-neté démocratique.

Au départ, les attentes à l’égard des chercheurs étaient d’augmenter leurs connaissances à propos du processus d’U&R ; ce qu’il signifie, ce qu’il implique, les obstacles à anticiper. Par la suite, l’attente a été exprimée d’une aide concrète dans la résolution de problèmes posés dans leur action ainsi qu’une attente d’approfondissement de connaissances. A chaque séance, l’expression de leur demande constituait la base du dialogue : ils souhaitaient échanger des idées, aborder des questions critiques, poser des questions ciblées aux chercheurs et parvenir à des conclusions partagées sur les questions posées. La question du rôle des chercheurs est revenue à plusieurs reprises dès la conception du projet, en particulier lorsque des chercheurs de la HETS s’étaient joints au groupe : Cette question constituait également une quête constante de la position juste.

4.6.2.3 L’expérience des dialogues communautaires : thèmes, dynamiques, expression des participants

Des thèmes variés ont été abordés à l’occasion des dialogues. Des thèmes tels que : Où en est l’U&R 15 ans après le génocide, la citoyenneté rwandaise, la notion

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truction de la Nation. Comme on l’a dit, les thèmes étaient choisis par les membres

de l’association ; parfois, lorsqu’ils l’estimaient nécessaires, les chercheurs propo-saient une reformulation.

Pour chacun de ces dialogues, on pouvait faire au préalable un travail de pré-paration : anticiper la durée et le séquençage des dialogues, le dispositif spatial, l’identification et la mise à disposition du matériel nécessaire, le temps nécessaire pour les pauses et les déplacements. Les dialogues étaient conçus sur le mode participatif et le chercheur présent se limitait au rôle de facilitateur ; il évitait de se mettre en position de formateur ou d’éducateur. Il lui arrivait de préparer un éclairage des concepts de référence pour qu’ils soient bien compris et que la dis-cussion en soit enrichie.

Certains thèmes revenaient souvent dans les discussions ; en particulier lorsque la question du sentiment d’humanité (Ubuntu) était abordée, des parti-cipants s’interrogeaient sur la bestialité et la perte d’humanité de Rwandais pen-dant le génocide. Ils se demandaient comment il était possible de se saisir d’un gourdin ou d’une machette et de massacrer des gens, ses propres parents, des enfants, des proches et des voisins avec qui ils avaient tout partagé, comme cela se pratiquait dans la culture rwandaise.

Des étudiants rescapés ont témoigné du fait qu’ils ne pouvaient plus imaginer partager quoi que ce soit avec des étudiants dont les parents avaient pris part au génocide. Ils ajoutaient parfois qu’ils avaient également de la peine à parler avec les étudiants dont les parents avaient été réfugiés dans les pays voisins depuis les premiers massacres de 1959 et les suivants. Cela parce qu’ils estimaient que si le FPR n’avait pas attaqué le Rwanda en 1990, leurs parents, amis, frères et sœurs n’auraient pas été tués. C’est pourquoi ces personnes de retour d’exil étaient par-fois considérées également comme des ennemis: il y avait clairement une barrière entre ceux qui étaient dans le pays pendant le génocide et ceux qui n’y étaient pas. Lorsque, dans nos dialogues, il était question du travail d’U&R après le génocide, on observait logiquement des postures différentes dans les différents groupes d’étudiants. Ceux dont les parents étaient suspectés d’avoir participé au génocide ou d’être des témoins passifs s’exprimaient très peu. Sur d’autres thèmes, sans lien direct avec le génocide, ils pouvaient donner leurs opinions et exprimer leurs idées ; mais lorsque le lien était évident, ils observaient un certain mutisme. Ce qui était ainsi révélé, c’était un manque de maîtrise pour aborder à

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la fois les conséquences du génocide et lutter contre l’idéologie du génocide dans les formes où elle se perpétue.

Ceux qui cependant disposaient d’une plus grande ouverture d’esprit pour s’exprimer et surmonter les blocages reconnaissaient les développements désas-treux de l’histoire rwandaise et le rôle fatal qu’a joué le leadership qui a organisé le génocide et l’a mis en œuvre. Ils établissaient également des liens, plus en amont, avec la domination allemande, puis belge, dès la Conférence de Berlin en 1884, et l’application du principe « diviser pour régner » dans la politique coloniale.

Lorsque le thème de la justice était abordé, il y avait une forme de consensus autour du fait que sans le processus gacaca, avec ses imperfections, il aurait fallu des centaines d’années pour venir à bout des cas de génocide. Par contre, le Tri-bunal pénal international d’Arusha était l’objet de nombreuses critiques : certains avocats de la défense et procureurs étaient considérés comme des négationnistes. Le travail du tribunal a été si lent et les juges si inefficaces, s’agissant de juger des crimes de génocide, que certains ont considéré qu’ils étaient « les pantins d’un monde occidental qui ne perçoit pas les Africains comme des êtres humains ».

4.6.2.4 Les échanges entre acteurs et chercheurs autour des problèmes concrets rencontrés par l’association

Les problèmes principaux que chercheurs et membres de l’association ont identifiés ont été, d’une part, le manque d’expertise des étudiants dans la pré-paration de manuels de formation à l’intention des différents groupes cibles et, d’autre part, la mise au point de projets.

Les chercheurs se sont concentrés sur ces deux questions. Des modules de for-mation ont été mis sur pied, incluant un module sur la méthodologie de projet, et enseignés aux trois associations partenaires par les chercheurs du CCM et de la HETS (cf. chapitre 5). Les curriculums et documents de référence des différents modules ont été remis au Comité exécutif au terme de ce moment de formation.

4.6.2.5 Les rencontres avec les autres sites

Le SCUR s’est rendu à Karama le 26 mars 2010. Le but de la visite était d’avoir une session interactive sur les origines et les histoires des deux projets, leurs expé-riences, leurs activités et leurs défis. On peut qualifier d’« historique » ce moment pour les deux parties puisque les échanges ont abouti à la décision d’unir leurs efforts dans le travail d’Unité et Réconciliation. Le SCUR a offert une brouette,

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une houe et une faux. Les gens de Karama se sont dit heureux de recevoir les étudiants et ceux-ci, de leur côté, ont été enthousiasmés d’être témoins de cette expérience absolument inédite où des familles liées à des génocidaires coopèrent étroitement avec des familles de victimes. Ils les ont félicitées pour une telle ini-tiative, qualifiée d’héroïque : une action qui demande assurément beaucoup de persévérance, d’humanité et de patriotisme. Ils ont salué également les initiatives de l’association de Karama sur le plan économique : l’élevage, la fabrication de savon et… la production de poésie.

4.6.2.6 Les notes des chercheurs sur le terrain : observations, échanges informels

Tout au long du processus de recherche-action, j’ai pu observer à quel point les membres de l’association l’ont mis à profit pour repenser leur stratégie d’ac-tion et les défis concrets de la reconstrucd’ac-tion de la société rwandaise. La métho-dologie des dialogues le permettait car, à chaque fois, sur ces enjeux centraux, de nouvelles idées et des perspectives critiques apparaissaient.

Lors des moments informels, leur besoin d’accroître leurs moyens d’agir plus profondément dans la communauté de même que leur satisfaction de voir leurs capacités renforcées par les apports du CCM et de la HETS se manifestaient régulièrement.

4.6.3 L’évaluation de la démarche partenariale

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