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Les niveaux de la réconciliation : micro et macro

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 69-72)

Trudy Govier (2006) distingue les niveaux où il est question de réconcilia-tion et l’on peut constater d’emblée que, dans le Rwanda actuel, tous les niveaux sont impliqués: s s s s s s

Elle pose la question des motivations et des buts recherchés, ces différents niveaux où ils diffèrent. La question de la motivation psychologique est déter-minante au niveau des individus : parvenir à une espèce de paix avec soi-même, retrouver un sentiment de sécurité minimal pour les victimes. Mais les motiva-tions psychologiques des personnes diffèrent: pour certains rescapés, il s’agit déjà de survivre dans leur détresse 10. D’autres personnes, qu’elles soient liées aux vic-times, aux coupables, qu’elles soient témoins et/ou complices à des degrés très divers (bystanders), peuvent estimer que, dans leur cas, il n’y a rien à réconcilier

10 Speciosa Mukayiranga (2003 : 777) note: « Il est difficile de recréer le voisinage, les amitiés

nou-velles avec un cœur profondément meurtri. On s’isole de la vie normale, de la société dansante, euphorique, superficielle… Un homme à qui je conseillais de s’approcher des autres pour ne pas sombrer dans la solitude m’a répondu : " Je suis un cadavre, je sens mauvais. " Il entretient ainsi sa solitude, sa souffrance qui grandit à chaque seconde, et jusqu’où ? »

 CITOYENNETÉ ET RÉCONCILIATION AU RWANDA

ou qu’une réconciliation n’est pas requise. Dwyer (2003) insiste sur le fait que la réconciliation entre individus n’est possible qu’à la condition qu’un désir de réconciliation les porte, lié à un désir d’avenir paisible, et à la condition qu’ils soient prêts à être confrontés et à assumer cette confrontation. Il est possible qu’ils le désirent et c’est la motivation des médiateurs qu’ils y parviennent, mais cela ne pourra jamais être garanti. De plus, cela ne devrait pas être exigé. Plusieurs auteurs reprennent ce point : on ne peut faire dépendre un processus de réconci-liation de la capacité des personnes à se réconcilier entre elles, tout au plus peut-on créer quelques cpeut-onditipeut-ons qui favorisent des récpeut-onciliatipeut-ons entre elles. Faire de la réconciliation entre les personnes une obligation morale peut être immoral (peut-on faire porter aux victimes auxquelles on n’a rendu une justice que par-tielle le poids de la réconciliation ?), d’où la nécessité de distinguer le plan éthique et moral (ou spirituel) du plan politique. La nécessité aussi de distinguer concep-tuellement, j’y reviendrai, la réconciliation du pardon.

Au niveau national et entre groupes (« raciaux » en Afrique du Sud, « eth-niques » au Rwanda), donc au niveau politique, il n’est par contre pas déplacé de parler d’une obligation morale, ressentie comme telle tant au niveau des diri-geants qu’à celui des citoyens, à mettre en œuvre une politique de réconciliation. Interrompre le cycle de la haine et de la vengeance entre les groupes est une obli-gation morale que tout citoyen peut exiger de son gouvernement et de lui-même. « Il est politique d’ôter à la haine son éternité », disait Plutarque.

Dwyer (2003 : 105) cite l’exemple d’un militant anti-apartheid, lui-même Afrikaner, Marius Shoon, qui déclarait dans le cadre d’une demande d’amnistie en faveur de l’homme responsable de l’attentat à la bombe qui avait tué sa femme et sa fille : « Dans l’ensemble je suis favorable à la Commission Vérité et Récon-ciliation. Je pense qu’elle nous amènera la réconciliation nationale. Dans mon cas, il n’y aura pas de réconciliation personnelle. »

Ce que donne à voir cet exemple, c’est qu’il y a une dissociation possible et certainement nécessaire entre le niveau personnel et le niveau institutionnel. Au premier niveau, la réconciliation constitue le plus souvent un processus extrême-ment douloureux dont le poids, comme on le sait, peut être reporté sur plusieurs générations. Au second niveau, le niveau institutionnel et politique, la question du cadre de la réconciliation et de sa mise en œuvre ne supporte aucun délai. Il faudra revenir bien sûr sur le lien entre ces deux niveaux, car une politique qui

3. LE CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA DÉMARCHE 

ne permettrait pas le travail à long terme de la douleur intériorisée serait vouée à l’échec.

Govier (2006) propose un spectre d’interprétations de la notion de réconcilia-tion dans un continuum comportant une extrémité large, où l’implicaréconcilia-tion per-sonnelle et émotionnelle est la plus dense, et une extrémité étroite où dominent les aspects institutionnels.

Si l’on commence le spectre des interprétations par son extrémité large, voici comment se traduit le spectre des interprétations :

1. la réconciliation, c’est l’unité ; 2. la réconciliation, c’est l’harmonie ;

3. la réconciliation consiste à soigner les individus et les relations ;

4. la réconciliation, c’est le pardon consécutif au remord et à la présenta-tion d’excuses ;

5. la réconciliation consiste à construire des relations décentes ; 6. la réconciliation est dans la reconnaissance de la vérité ;

7. la réconciliation réside dans la justice restauratrice qui inclut le remords des auteurs des délits et des réparations pour les victimes ;

8. la réconciliation est dans la justice rétributive qui appelle la punition des coupables ;

9. la réconciliation est un processus de démocratisation qui appelle, le déve-loppement d’institutions légales, électorales et parlementaires ;

10. la réconciliation signifie que les gens ont cessé d’utiliser la violence entre eux. (Traduction R. J.)

En commentant le spectre qu’elle propose, Govier relève que les interpré-tations 1 et 2 sont irréalistes au niveau d’une nation. Dans le cas de l’Afrique du Sud, le modèle spirituel de Desmond Tutu était proche des interprétations 3 et 4. Mais au niveau d’une nation, insiste-t-elle, il est irréaliste d’attendre une généralisation des excuses et du pardon ; le rôle que peuvent jouer des leaders ou des personnalités emblématiques qui s’engagent sur cette voie peut par contre s’avérer déterminant dans l’évolution de l’opinion 11.

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Dans cet ordre d’idée, Bucaille donne en exemple la magnanimité dont ont fait preuve Nelson Mandela et les membres de l’ANC, « optant pour une forme d’élégance et d’exigence morale » (Bucaille, 2007 : 320). Des militants torturés, rapporte-t-elle, affirment même avoir pardonné sans échange avec leurs bour-reaux, motivés par la perspective d’une société nouvelle.

L’interprétation numéro 6, liée à la « vérité », un concept qui appellera un développement spécifique, est au centre du concept modeste de la réconciliation

déve-loppé par Dwyer, c’est pourquoi il importe de le restituer ici.

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 69-72)