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Des légitimités, des ancrages et des rapports AUX

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 162-168)

S’il importe d’expliciter face à nos lecteurs ce qu’impliquaient nos ancrages différents, c’était évidemment en premier chef une exigence face à nos parte-naires de terrain. Nous avons partagé d’intenses réflexions, nous avons mené ensemble un certain nombre de démarches dans les sites, nous y avons assumé des points de vue, le tout en partant de légitimités et d’ancrages différenciés. Je me propose de restituer dans un tableau la manière dont on peut caractériser ce différentiel de manière tant soit peu systématique pour le commenter ensuite.

Des légitimités, des ancrages et des rapports aux acteurs de terrain différenciés

CCM HETS

Mission Service à la communauté 2ECHERCHE des acteurs communautaires dans un CONTEXTE

Rôle #O CONCEPTION #O CONCEPTION Pilotage scientifique et

organi-sationnel

des démarches de terrain

Pilotage méthodologique de la RA

Démarches de terrain Participation occasionnelle aux démarches de terrain

Légitimité )NSIDER sité nationale: une légitimité a priori

6. LES ENSEIGNEMENTS D’UNE DÉMARCHE PARTENARIALE : BILAN À DEUX VOIX  Valeurs de référence ,ES #ONSTITUTION  ,ES TION

La solidarité avec les victimes et les acteurs de la reconstruc-tion

La solidarité avec les victimes et les acteurs de la reconstruction ,A neté rwandaise ,EXERCICE GLOBALE monde) Intérêts scienti-fiques prioritaires

Analyse de terrain, chemin des opportunités des processus de réconciliation

-ÏTHODOLOGIE COMMUNAUTÏS Méthodologie des dialogues

communautaires et de la ges-TION

Méthodologie des dialogues commu-nautaires et des dialogues intergroupes Théorie de la citoyenneté (entre philoso-phie politique et anthropologie)

Expertise #OMPÏTENCES en histoire, droit, sciences de LÏDUCATION éducation pour la paix

#OMPÏTENCES sophie politique, sciences politiques, THÏORIE recherche-action, développement social local

Expérience du travail parle-mentaire

Expérience dans la politique de la jeu-NESSE de quartier

Pratique des dialogues com-munautaires et de la gestion DE )NGÏNIERIE Relation aux acteurs de terrain &ONCTION DORIENTATION de reconnaissance publique

Solidarité témoignée et explicitée 2EGARD

Lorsque nous sommes revenus sur nos ancrages différenciés au cours de notre séminaire d’avril 2011, mes collègues du CCM ont insisté sur des proximités que je ne savais pas aussi prononcées au départ: une proximité sur les valeurs de référence, la recherche d’une posture à la fois contributive et critique face à la politique de réconciliation. La question de la liberté académique laissée aux chercheurs du CCM, de leur loyauté envers la politique de l’Etat ont été problé-matisées dès les premiers entretiens avec Anastase Shyaka.

Ma crainte à l’époque du démarrage était que l’on attende de nous que nous rapportions des Success Stories (c’était une expression utilisée par

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Fatuma Ndangiza à l’occasion d’une de nos premières rencontres) à l’appui d’une belle image de la politique de réconciliation, avec le risque de négliger les zones d’ombre. Et d’ailleurs, qui étions-nous pour exercer une distance critique face à des expériences exemplaires qui suscitaient tant d’espoirs ?

Au cours de nos visites dans les sites, nous étions en effet pris dans cette ten-sion entre une approche qui valide et une approche qui interroge. Nous nous sommes cependant donné dans la durée les moyens de travailler cette tension en finesse. Tout particulièrement dans ces occasions privilégiées où nous avons pré-paré, mené et évalué ensemble les visites dans les sites. Il faudrait être en mesure de restituer l’ensemble de nos discussions pour expliciter pleinement ce que ces échanges ont produit: un foisonnement libre de réflexions, de perceptions confrontées, d’intuitions, d’inquiétudes et d’espoirs.

Dans nos relations aux acteurs de terrain dans les sites, nous sommes inter-venus clairement en team et avons partagé l’animation des rencontres. Je ne puis dire dans quelle mesure nos rôles et nos postures ont été perçus de manière dif-férenciée, nous avons en tout cas assumé ces différences et peut-être se sont-elles révélées être un instrument de travail tout à fait opérant. En particulier, je ne me suis jamais privé de « déterritorialiser » les questions qui se posaient en expliquant pourquoi lesdites questions avaient toute leur pertinence sous d’autres cieux et sur d’autres scènes, alors que mes collègues s’employaient à contextualiser ces mêmes questions, à les rapporter à ce qu’ils percevaient des développements à l’œuvre dans l’ensemble du pays. Certainement, mes collègues rwandais se sentaient-ils concernés plus intimement que je ne l’étais. Justin dit dans ce rap-port combien la question du « courage de vivre » résonnait en lui, les autres ont insisté sur le respect et l’admiration que leur inspirait l’action de nos partenaires, à tel point que parfois, en lisant les journaux de bord, je craignais que l’on perde cette fameuse « distance réflexive ». Je ne me sentais pas moins interrogé très per-sonnellement sur ce qui est au fondement de la solidarité humaine et sur ce qui l’assassine.

Ces démarches de terrain menées dans les sites ont constitué pour moi ce que peut-être un chercheur peut vivre de plus fort. Notre implication partagée, avec des yeux différents, s’est avérée opérante à mes yeux pour trois raisons décisives.

s et salué comme tel par nos partenaires: ils ont dit de différentes manières

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qu’ils nous considéraient en quelque sorte comme des membres de leurs communautés ;

s de la pluralité des opinions ;

s sommes au contraire exprimés en tant que personnes traversées d’interro-gations proches de celles de nos partenaires.

En mai 2012, je me suis expliqué face à un collectif de chercheurs (Les Midis

de la recherche) sur le sens de ma participation à cette recherche. J’ai intitulé cette

présentation « Faire de la recherche en terre lointaine… et rechercher le bonheur de qui ? » J’ai expliqué à cette occasion que je revendiquais le caractère politique de mon travail en terre lointaine, pour autant qu’il soit imprégné d’une éthique scientifique exigeante, et surtout qu’il soit extrêmement respectueux de l’action qu’inventent les acteurs sur cette terre lointaine (une terre rouge et volcanique) 32.

32 Cela peut paradoxal, mais une posture qui assume en l’explicitant le caractère politique d’une implication mesurée me paraît beaucoup plus modeste qu’un engagement qui se drape de neutralité académique ou technique. S’agissant du Rwanda, on ne peut que s’effrayer des dégâts

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J’ai résumé en quelques points la posture, indistinctement éthique, scientifique et politique, que j’ai cherché à assumer:

s académique), de mon propre rapport aux désastres de l’Histoire, une conception modeste et prudente de la réconciliation ;

s

s la diversité des récits, la reconnaissance de toutes les victimes et le refus du négationnisme (sous la forme de la thèse du double génocide) ;

s paces publics.

 ,A

Si l’on veut évaluer les avancées et les difficultés de notre coopération scien-tifique, il est indispensable de les rapporter aux difficultés intrinsèques de la méthode de recherche-action intégrale. On peut dire sans aucun doute que ces difficultés propres à la méthode compliquaient les termes de notre coopération « intercontinentale ». Quelles sont ces difficultés intrinsèques ? Pour notre part, nous en identifions essentiellement trois qui sont intimement liées :

La première difficulté est générique: en insistant sur l’intégralité de la recherche-action, en pariant sur l’implication des acteurs dans la recherche, sur une intégration organique et évolutive dans l’action, le modèle de la RAI privi-légie tendanciellement l’action sur la recherche. Une RAI réussie, selon André Morin, donne aux acteurs la capacité d’avoir un discours éclairé sur leur propre action. Mais que peut-on restituer de ce discours à la communauté scientifique, comment le mettre en perspective ? C’est, entre autres, la difficulté du présent rapport.

La seconde est liée à la première : comment définir la position exacte du cher-cheur ? On s’en souvient, André Morin (2003 : 30) définit cette position comme

occasionnés par des chercheurs qui mènent une guerre idéologique à travers la recherche. Sans parler de l’hypocrite neutralité de la Coopération au développement suisse sous Habyarimana…

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celle d’un préposé, mais comment exercer cette fonction, est-elle comprise ainsi par les partenaires de terrain ?

La troisième difficulté est liée au recueil de données. Très concrètement, comment les chercheurs pouvaient-ils à la fois animer les rencontres, se rendre disponibles aux échanges et recueillir les informations nécessaires au travail scientifique ? Comment peuvent-ils capitaliser ces données et les transmettre au collectif de recherche ?

A propos de la première difficulté, je dirais qu’elle situe clairement la limite de notre travail. Comme nous l’avons dit plus haut, le modèle de la RAI s’ins-crit dans un modèle de scientificité non positiviste, il accepte la validité d’énon-cés conjecturaux relatifs à des situations concrètes situées localement et histori-quement. Il n’en reste pas moins que nous aurions pu développer pleinement le potentiel de la méthode si malgré tout nous avions pu, tout au long de la recherche et dans la phase de rédaction du rapport, systématiser la triangulation des théories et des savoirs.

Comment l’expérience des sites résonne-t-elle avec d’autres expériences ana-logues menées dans le pays, comment tranchent-elles avec le quotidien d’autres communautés, comment nos conclusions entrent-elles en débat avec d’autres discours scientifiques ? Nous avons été courts dans ce travail ! Peut-être à l’occa-sion d’une prochaine recherche faudrait-il l’anticiper et l’organiser de manière plus conséquente. Peut-être faudrait-il donner tout le poids et le temps qu’il mérite au travail sur les données au terme de la démarche.

La seconde difficulté est celle que peut-être nous avons le mieux maîtrisée dans l’intervention, comme l’indiquent mes commentaires précédents, celle qui nous a permis une certaine originalité dans le mode d’agir. Nous avons su, je crois, déconstruire la position de pouvoir que nous conférait notre position, jouer la transparence et tenir pleinement, en improvisant au besoin, notre rôle de facilitateurs.

La troisième difficulté nous renvoie à l’échec relatif (ou succès mitigé) de la méthode du journal de bord. Cette méthode tranchait-elle avec le mode de tra-vail habituel des chercheurs, était-elle trop exigeante en temps, exigeait-elle un travail d’appropriation plus conséquent ? De tout cela un peu, si je crois ce qu’en disent mes collègues du CCM. Je crois aussi que le défi était pour eux d’être

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« chercheur chez soi », d’aborder un contexte lourdement chargé existentielle-ment avec des questions et des ambitions théoriques pointues.

Et pourtant, cet échec relatif m’encourage à insister: pour être productif de savoirs pertinents, un collectif de recherche-action se doit d’être doté de fortes compétences en recherche qualitative ; les facilitateurs communautaires ont tout à gagner à se faire « anthropologues chez soi». Fatoumata Ouattara (2004), à qui j’emprunte l’expression d’« anthropologie chez soi» insiste du reste sur le fait que les risques interprétatifs ne sont pas moins grands pour les chercheurs locaux que pour les chercheurs invités, ce qui appelle un espace de visibilité et de réflexivité de la démarche de connaissance. Le journal de bord reste à mes yeux l’instrument qui donne aux outsiders comme aux insiders à la fois une mémoire de l’observa-tion et les moyens d’une mise à distance critique 33.

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