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Qu’avons-nous appris de l’expérience des sites ?

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 181-184)

Synthèse des principaux résultats de la recherche Roland Junod et Paul Rutayisire

7.1.1 Qu’avons-nous appris de l’expérience des sites ?

Synthèse des principaux résultats de la recherche

Roland Junod et Paul Rutayisire

 Bilan

7.1.1 Qu’avons-nous appris de l’expérience des sites ?

1. L’expérience des trois sites de citoyenneté qui ont été nos partenaires pen-dant trois ans, chacun ayant un enracinement et une histoire particulière, révèlent des capacités d’initiative et d’auto-organisation des communau-tés qui gagnent à être appuyées et rendues publiques.

2. Cette expérience permet d’esquisser le rôle que peut jouer face à l’admi-nistration, à l’Etat et à l’ensemble du pays, une société civile profondé-ment ancrée dans les communautés de base et qui se développe sur un mode endogène.

3. La valeur d’exemple des collectifs à l’œuvre dans les trois sites (que le terme juridique d’association ne suffit pas à caractériser) est qu’ils intègrent des personnes appartenant aux groupes que l’ethnisme et le génocide ont divi-sés, de confessions différentes et qui affrontent collectivement les impéra-tifs et les difficultés d’une communauté qui cherche à se réconcilier avec elle-même.

4. La force de l’action de ces communautés réside dans le fait qu’ils ouvrent un espace social de solidarité où il est tenu compte de l’existence de cha-cun. Cette action englobe (sous des formes différentes dans les trois sites)

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tous les aspects de la reconstruction sociale : la recomposition des rela-tions proches, le travail de deuil, la quotidienneté, la coopération écono-mique, l’écoute des récits et des témoignages, les débats de société, l’impli-cation dans les juridictions populaires, la réintégration des détenus libérés (dans deux des trois sites), les commémorations, les rituels et évènements festifs. A ce titre, ils constituent de véritables laboratoires sociaux.

5. Ils font également office de laboratoires de citoyenneté démocratique où chacun peut développer les compétences nécessaires à la vie démo-cratique: la pratique du témoignage et du débat dans un espace public, la participation aux décisions, le partage des tâches, la bonne gestion des ressources de l’association.

6. Les espaces de dialogue ouverts dans chacun des sites exercent une fonc-tion essentielle de recréafonc-tion d’un sens commun autour des quesfonc-tions qui sont au centre de la politique de réconciliation : Que nous est-il arrivé ? Que commémorons-nous ? ce que faire preuve d’Ubuntu ? Qu’est-ce que la justiQu’est-ce ?

7. Ils s’inscrivent dans une véritable culture du dialogue qui émerge notam-ment des clubs de dialogue et de la pratique des gacaca (Clark, 2010).

8. Les dialogues menés dans ces espaces sont fortement marqués par la recherche d’unité et de consensus, on peut à ce titre parler d’une certaine pression de réconciliation ; une pression tout à la fois existentielle, morale, sociale et politique. Toutefois, le climat de confiance que rend possible une solidarité active favorise également la liberté de parole, l’expression des difficultés et des différences de point de vue et, ce faisant, l’authenti-cité des échanges.

9. Dans chacun des sites, l’expression culturelle contribue à renforcer le sen-timent d’une appartenance commune. Les ateliers de danse, les poèmes improvisés et rythmés, les prières et les rituels permettent de partager des émotions dans des moments de réjouissance, et de se relier à un patri-moine culturel commun. Ces moments d’expression permettent égale-ment, à l’image de l’atelier théâtre de Gahini, de se raconter à soi-même l’histoire d’une communauté déchirée.

10. Le partage des récits, de l’expérience particulière que chacun a de la tra-versée du désastre reste une chose très difficile, même dans un cadre de

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proximité et de confiance. Les moments où de tels partages ont été tentés se sont révélés déterminants pour la cohésion du groupe, comme cela a été le cas à Karama. Pour autant, nos partenaires des trois sites ont à plu-sieurs reprises fait état de leurs préoccupations face au poids des non-dits, des vérités non révélées, des blessures morales et des traumas. Tout indique que si les communautés de base sont à même de mener une partie de ce tra-vail de partage, d’en créer les conditions, une pédagogie appropriée reste à développer pour les appuyer.

11. La possibilité de rattacher ces différents récits à un grand récit de l’histoire contemporaine du Rwanda depuis la colonisation jusqu’au génocide, un récit qui en offre une certaine compréhension, reste limitée chez nos par-tenaires pour autant que nous ayons pu en juger. Aux obstacles émotion-nels liés aux loyautés et trajectoires diverses (non seulement Hutu, Tutsi, Twa, mais également anciens réfugiés, rescapés, populations ayant vécu la fuite au Congo…) s’ajoutent des obstacles cognitifs. A la question la plus difficile d’entre toutes : « Pourquoi cela s’est-il passé ? » s’ajoutent beau-coup de questions sur le comment, sur l’enchaînement des évènements. Nos débats ont révélé l’urgence d’une pédagogie de l’histoire qui per-mette une compréhension partagée. A côté des commémorations, des sites mémoriaux et des écoles (qui entament à peine ce travail faute de matériel didactique), les organisations communautaires de base, à l’image des sites, constituent des lieux appropriés pour mener ce travail.

12. Les trois sites partagent une préoccupation commune pour l’accueil des nouvelles générations. La volonté partagée par tous leurs membres de leur offrir une vie sociale libérée des divisions passées est un puissant facteur d’espoir et de cohésion. La scolarisation des enfants sur un pied d’égalité, leur socialisation dans un cadre exempt de toute discrimination sont au fondement de leur adhésion à la politique de réconciliation. La question de la transmission est débattue dans les sites avec une conscience aiguë de la difficulté qu’elle offre, chacun étant familier du fait que les trauma-tismes se transmettent aux jeunes générations. Comment raconter cette

his-toire à nos enfants ? A côté de la question de la réécriture de l’hishis-toire, un

chantier est ouvert autour de la transmission orale. Cette question pour-rait faire l’objet d’une nouvelle recherche-action dans les communautés de base.

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13. L’expertise acquise par les sites à travers leur gestion de l’après-génocide les a mis en situation d’offrir des services à la communauté qui vont au-delà de la solidarité pratique avec des personnes vulnérables (qu’ils exercent aussi par ailleurs). Ce sont des contributions substantielles à la vie démo-cratique, initiées en toute autonomie. Les plateformes de débat ouvertes sur le campus par les étudiants du SCUR, leurs actions de sensibilisa-tion dans les écoles secondaires, la participasensibilisa-tion des femmes de Karama aux jurys populaires gacaca, leur médiation dans des conflits de proxi-mité, le soutien à l’auto-organisation d’associations de jeunesse ou cultu-relles offert par les gens de Gahini sont autant d’exemples d’exercice d’une citoyenneté horizontale, tout aussi essentielle à la vie démocratique que la représentation politique et la participation aux élections.

14. L’articulation de l’action des sites avec les différents échelons de l’action publique (cellules, districts, villes, région, Etat) reste symbolique. Les sites ont obtenu une reconnaissance officielle (de la part de la CNUR surtout), ils ont été appelés à témoigner devant différentes instances et ont bénéfi-cié d’aides ponctuelles. Ces marques de reconnaissance, de même que les coopérations nouvelles avec d’autres acteurs (les autres sites notamment), ont permis de dépasser un certain sentiment d’isolement. Il apparaît néan-moins opportun de renforcer leur visibilité en tant que partenaires d’une politique de réconciliation, de valoriser la complémentarité de leur action avec celle de l’Etat et de favoriser leur participation, critique au besoin, au débat public.

7.1.2 Quel renforcement des capacités des sites la recherche-action

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 181-184)