• Aucun résultat trouvé

Les groupes et personnes impliqués avec leurs histoires différentes

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 104-107)

,APRÒS GÏNOCIDE DE

4.5.4 Les groupes et personnes impliqués avec leurs histoires différentes

L’association Abiyunze b’Igahini est composée de 150 membres dont 60% de femmes et 40% d’hommes. Elle inclut, pour être encore plus précis:

s s s s s s deux personnes libérées, dont un Twa, et quatre personnes en Travail d’in-térêt général).

Pour un bref rappel historique, les exilés de 1959 sont essentiellement des Tutsi qui avaient fui le Rwanda lors de la révolution des Hutu, de la destitution de la monarchie et de la vague de massacres de Tutsi qui succéda à ces évènements. Quant aux exilés de 1994, il s’agit de Tutsi, de Hutu et de Twa ayant fui soit le génocide, soit la progression du FPR.

4. LA CONDUITE DE LA RECHERCHE-ACTION 

Pour donner au lecteur une idée de la diversité des parcours représentés dans l’association, nous retiendrons cinq personnages emblématiques dont nous avons recueilli les récits.

Le premier, Patrick Butera, est membre et conseiller de l’association. Il en est un des initiateurs. Après une longue expérience de sensibilisation dans les pri-sons sur le thème de l’unité et de la réconciliation, de la vérité et du pardon, il a discuté avec ses voisins et a proposé qu’ils se réunissent autour d’un projet. Il s’agissait de s’unir pour faire face aux conséquences du génocide et à la situation qu’il a créée : la méfiance, la question de la justice, les gacaca, la grande pauvreté, la libération des prévenus et leur retour dans la communauté. Il joue un grand rôle dans l’organisation.

Le second est un ancien détenu pour génocide ; il a rejoint l’association après sa libération. Il raconte combien le fait d’être accepté dans l’association lui a rendu son humanité. Il dit ne pas pouvoir comprendre comment les autres membres, les rescapés en particulier, acceptent de s’asseoir avec lui après ce qu’il a fait. Il reconnaît que la réconciliation est possible. Il dit aussi que le fait qu’il soit Umutwa lui fermait les portes dans le temps, et qu’aujourd’hui il est considéré comme un être humain à part entière, au même titre que les autres Rwandais.

Le troisième est un ancien refugié de 1959. Il raconte son retour au Rwanda après le génocide et la manière dont il a récupéré ses biens (maisons et champs) abandonnés au moment de la fuite. Les personnes qui avaient pris possession de ses biens, des Hutu, ont fui à leur tour en 1994 et elles sont revenues peu après pour trouver « leur » maison habitée par ses premiers occupants. Au début, l’an-cien refugié de 1959 a refusé de laisser les arrivants accéder à la maison malgré le mauvais temps et l’insécurité qui régnaient en cette période. Peu de jours après, il est cependant allé voir ces personnes, installées sur sa parcelle, et leur a pro-posé d’habiter dans la maison en annexe. Certes, explique-t-il, il est difficile de se parler ou de se faire confiance, mais avec le temps un dialogue a pris place. A son sens, les génocidaires sont des victimes de la mauvaise gouvernance et, pour pouvoir vivre en paix, il importe de dire la vérité et de demander pardon. Pour lui, l’association constitue le cadre de dialogue qui lui manquait depuis son retour au Rwanda.

Le quatrième personnage a une histoire un peu semblable. Il s’agit également d’un ancien réfugié de 1959. A la différence du précédent, c’est lui qui a récu-péré la maison d’un exilé de 1994 et qui, au retour de celui-ci, a refusé de céder

 CITOYENNETÉ ET RÉCONCILIATION AU RWANDA

la maison. Mais après un examen de conscience, il a finalement proposé la coha-bitation. Il explique qu’au début, lui et sa famille vivaient dans la peur d’être tués car ils pensaient que les génocidaires sont des « animaux sauvages ».

Le cinquième personnage est une rescapée du génocide. Elle nous a expliqué que le fait d’être membre de l’association l’aide à se libérer des préjugés qu’elle avait à l’endroit des personnes qui ne vivaient pas au Rwanda pendant le géno-cide (les exilés Tutsi). Elle a longtemps considéré que ces personnes ne pouvaient pas comprendre les souffrances des victimes et des survivants du génocide. Elle pensait même que sa famille a été tuée parce qu’ils ont voulu retourner dans leur pays. (Elle se réfère à l’offensive du FPR). L’association et les échanges sur diffé-rents thèmes, estime-t-elle, l’ont beaucoup aidée à comprendre le génocide et qui en assume la responsabilité. Elle estime que les membres de l’association se sont réconciliés de différentes manières. A son sens, il n’y a pas de formule pour la réconciliation. Il n’existe que des « facilités » pour encourager le vivre ensemble. Pardonner ou demander pardon est une chose qui n’est pas exigible. Et pourtant, elle estime vivre en harmonie avec elle-même et avoir retrouvé la paix depuis qu’elle a pardonné aux personnes qui ont exterminé sa famille.

4.5.5 La dynamique des rencontres

La dynamique des rencontres, en particulier le rapport entre chercheurs et acteurs, est allée en crescendo dans un mouvement de rapprochement. Ce qui est apparu au début, c’est que lorsque nous nous rendions à Gahini pour discu-ter du thème proposé, il était clair que nos partenaires attendaient un peu plus que ce qu’une une recherche-action prévoit. Habitués aux « formations », à une forme de transmission verticale pourrait-on dire, il leur a fallu un temps pour comprendre que le rôle des chercheurs est de faciliter le débat, en l’éclairant au besoin, d’encourager la participation de tous. Un autre mode de formation assu-rément, mais beaucoup plus proche de l’auto-formation.

Du reste, dans le site de Gahini plus que dans les autres sites, nous avons été confrontés à cette particularité que certaines personnes pouvaient mobili-ser la parole, comme si ce pouvoir leur avait été délégué. Dans cette situation, nous avons fait preuve d’invention méthodologique et avons varié les méthodes d’animation de façon à distribuer mieux la parole, notamment en alternant les moments en grands et petits groupes. Nous avons rappelé à nos partenaires que

4. LA CONDUITE DE LA RECHERCHE-ACTION 

la participation de chaque personne est importante, pour la recherche-action certes, mais surtout pour la construction de l’avenir (à travers les actions) à par-tager par tous.

Progressivement, la communication entre nous a atteint une qualité vrai-ment appréciable. Nous pouvions échanger aussi bien avec le comité exécutif qu’avec tout autre membre. Les relations ont évolué jusqu’au point où nos parte-naires ont considéré que nous autres chercheurs n’étions plus des visiteurs ; nous étions devenus des membres de leur collectif, compte tenu de notre solidarité avec leur action. Ils avaient les mêmes discussions avec nous sur leurs activités et les problèmes qu’ils rencontraient que celles qu’ils avaient entre eux.

Dans le document Citoyenneté et réconciliation au Rwanda (Page 104-107)