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DEMARCHE METHODOLOGIQUE

3.1. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA THESE

3.1.3.4. Les fondements économiques de la stratégie d’entreprise

3.1.3.4.2. La recherche de compétitivité

Le terme de compétitivité mérite d’être défini avec soin car il peut être indifféremment utilisé au niveau d’un pays, d’un secteur ou de l’entreprise individuelle nationale ou multinationale. Pour une entreprise en situation concurrentielle (on exclut le cas des monopoles naturels), on peut dire que la compétitivité c’est la capacité de vendre durablement et avec profit ce qu’on produit. Pour obtenir un tel résultat, il faut que l’entreprise soit en mesure de faire face à la concurrence réelle et potentielle, ceci à court, moyen et long terme. Dans la construction et dans la défense de cette position compétitive, il y a des éléments qui relèvent de la maîtrise des coûts et d’autres qui sont beaucoup plus qualitatifs.

a) Compétitivité coût et compétitivité hors coût

La compétitivité coût porte sur l’ensemble de ce que coûte la production d’une entreprise depuis les approvisionnements en inputs jusqu’à la mise à disposition du bien ou du service final. Il existe une sorte de hiérarchisation de ces coûts : coûts d’immobilisation, liés à des investissements passés et dont certains sont des coûts irréversibles, coûts de fonctionnement, coûts d’approvisionnement, coût de vente.

L’entreprise ne maîtrise pas de façon complète l’ensemble de ces coûts, d’abord parce qu’il y a des coûts hérités du passé et ensuite parce que certains éléments de coût sont extérieurs à l’entreprise et dépendent des territoires d’implantation : niveau des salaires, charges sociales, taux de change, fiscalité. La compétitivité coût est ainsi une combinaison de facteurs internes à l’entreprise et d’externalités qui déterminent la stratégie globale de localisation.

La compétitivité hors coût recouvre un certain nombre de facteurs beaucoup plus qualificatifs qui contribuent à la compétitivité de l’entreprise : qualité du produit et des services qui peuvent lui être associés, marque, réputation, force de vente, service après vente, fiabilité, rapidité. Ces éléments qualitatifs s’affirment aujourd’hui comme des facteurs majeurs de compétitivité dans la mesure où la concurrence internationale renforce le pouvoir de choix des consommateurs. Ils induisent une transformation de la définition de la compétitivité donnée ci-dessus : compétitivité c’est la capacité de déceler en permanence les besoins, exprimés ou latents, des consommateurs et de répondre à ces besoins en réalisant du profit. Cette dernière ajoute une dimension dynamique qui est celle de l’innovation au sens large.

b) La recherche de rentes

En recherchant le profit et la compétitivité, l’entreprise ne fait en réalité que rechercher des rentes : rentes différentielles qui mesurent les avantages coûts et rentes de monopole qui reflètent les avantages hors coûts. Les rentes différentielles reflètent des différences de coûts qui existent entre plusieurs entreprises concurrentes. Elles trouvent leur origine dans la technologie, le savoir-faire, l’information, l’organisation, la disponibilité de meilleurs inputs, les stratégies de localisation. Cette notion de rente différentielle recouvre ainsi une large gamme de « ressources » possibles.

Les rentes de monopole ne recouvrent pas seulement la différenciation du produit, et les services qui peuvent y être associés, mais aussi des marchés captifs, des situations de monopoles naturels, des brevets de fabrication, et aussi le véritable pouvoir de monopole lié à l’innovation, i.e. le lancement d’un nouveau produit ou d’un nouveau procédé. Dans certains cas on peut aussi évoquer une rente de clientèle, celle-ci étant définie comme la rente potentielle qu’une entreprise détient sur un client qui a déjà acheté l’un de ses produits et qui sera amené à renouveler ses achats.

On constate que le concept de rente (rente différentielle et rente de monopole) occupe une place centrale dans la stratégie d’entreprise. Dans une optique profit-croissance-compétitivité, la stratégie vise essentiellement à créer des rentes, protéger des rentes, accroître des rentes, disputer des rentes, s’approprier des rentes, éventuellement s’entendre sur le partage. Cette articulation entre les objectifs de l’entreprise et la dynamique des rentes nous conduit à la séquence logique que nous cherchions à mettre en évidence, combinaison de l’économie industrielle et des stratégies d’entreprise (figure ci-après). Les entreprises sont soumises à l’influence soit des actionnaires, soit de l’Etat comme actionnaire ou comme régulateur (monopole naturel). Elles ont un objectif de profit-croissance qui implique la recherche de compétitivité, donc une stratégie de recherche de rentes. Ces rentes sont des rentes de monopole ou/et des rentes différentielles et c’est en utilisant toutes les ressources des principaux concepts d’économie industrielle retenus dans cet ouvrage que l’on peut développer ces stratégies.

Source : Chevalier, 2000

Figure 3 : L’économie industrielle des stratégies d’entreprises

ACTIONNAIRES

c) La production

Les conditions de production d’un bien ou d’un service donné sont rarement homogènes. Le choix des technologies de production les plus efficaces est donc en mesure de générer des rentes de monopoles et des rentes différentielles. Rente de monopole si la technologie est protégée par un brevet, rente différentielle si la technologie choisie, le savoir faire, l’amélioration d’un procédé de base, les modalités de contrôle de la production permettent un abaissement des coûts. La technologie apparaît ainsi comme une source majeure d’avantages comparatifs, mais aucune technologie n’est pérenne et cela implique de la part des entreprises une veille permanente et systématique sur l’apparition possible de nouveaux processus de fabrication (Lorenzi et Bourles, 1995).

Le choix des technologies peut induire, outre un avantage absolu en matière de coût, des économies d’échelle, des économies d’envergure et des économies d’apprentissage. Les économies d’échelle sont des diminutions de coûts résultant de l’augmentation du volume de production ou de la taille des unités de production. Les économies d’envergure résultent des diminutions de coûts qu’entraîne la production conjointe de plusieurs biens différents, diminution qui peut être sensible soit l’amont, soit à l’aval (coûts de vente).

d) L’organisation

L’une des fonctions majeures de l’entreprise est aujourd’hui la gestion des flux : (i) Flux de biens réels : matières premières, biens intermédiaires, produits finis qui circulent au sein de l’entreprise mais aussi entre la firme et ses partenaires (fournisseurs-clients). (ii) Flux de services qui concernent aussi bien les innombrables services achetés par l’entreprise à l’extérieur que les services rendus à l’intérieur même de l’entreprise. (iii) Flux d’informations. (iv) Flux financiers : opérations courantes mais aussi optimisation des prix de transfert et de la fiscalité, intervention sur les marchés financiers et sur les produits dérivés, notamment pour la couverture de certains risques (risque de taux de change, taux d’intérêt, de variation des coûts de matières premières). Une bonne organisation de ces flux, des modes de contrôle et de reporting qui y sont associés constitue aujourd’hui un facteur majeur de compétitivité.

Des travaux récents tendent à montrer, par exemple, que la mise en place, dans certaines entreprises multinationales, de processus efficaces de couverture des risques par recours aux marchés dérivés peut apparaître, dans certains cas comme un facteur de compétitivité plus important que le niveau relatif des charges salariales (Actes du colloque, 1994).

Les modes d’organisation sont ainsi devenus aujourd’hui une source importante d’avantages comparatifs. La vision de l’organisation est nécessairement globale, c'est-à-dire mondiale et pluriculturelle avec une bonne capacité d’adaptation aux changements. Les développements les plus récents de la science des organisations nous amènent à analyser le phénomène à plusieurs niveaux :

- L’organisation de l’entreprise elle-même : firme M, firme M, firme J, entreprise système ou entreprise réseau. C’est le problème de la frontière de l’entreprise qui est posé. Des partenariats, des alliances peuvent être conclues en amont comme en

aval en tant que modes d’organisations plus efficaces qui se substituent aux formes traditionnelles intégrés ;

- La question de l’intégration verticale revoie à la problématique de make or buy et à la comparaison dynamique entre les coûts d’organisation et les coûts de transaction liés à l’utilisation des marchés externes. La réponse stratégique à cette question est aujourd’hui fréquemment l’intégration verticale ouverte qui permet de faire soi même et d’acheter à l’extérieur. Elle offre en conséquence la possibilité de comparer en permanence ce que l’on fait avec ce que l’on peut acheter ;

- L’articulation entre production, les approvisionnements externes et la vente pose un problème de cohérence et de flexibilité. Dans de nombreux secteurs on est passé d’une problématique de l’offre à une problématique de la demande et il est par conséquent fondamental que les décisions de production soient prises en étroite association avec les attentes de la demande. Compte tenu du caractère parfois changeant et incertain de celle-ci, il importe que l’organisation globale de réponse à la demande soit dotée d’une assez bonne flexibilité qui permet une adaptation rapide aux changements. Flexibilité est devenue un maître mot de la stratégie d’entreprise ;

- La mobilisation des ressources humaines avec, à nouveau, les problèmes d’agence, (recrutement-contrôle) et de contrats incitatifs, apparaît enfin comme un puissant facteur de compétitivité : la motivation des personnels, leur responsabilisation, le travail en équipe, leur participation aux résultats de l’entreprise appartiennent à la fois à la compétitivité coût et hors coût.

e) La vente

Du coté de la demande, il s’agit d’abord pour l’entreprise compétitive de percevoir la demande, réelle et potentielle, avec toutes ses caractéristiques (au sens du Lancaster) : écoute de la clientèle, détection des tendances, étude de caractéristiques, révélation des préférences, analyses des tensions implicites et explicites. Une telle optique permet ensuite de construire un pouvoir de marché, c'est-à-dire une position de marché dans laquelle on échappe à la concurrence sauvage et on cesse d’être un price taker. Les moyens sont nombreux : segmentation des marchés, différenciation des produits, mise en œuvre de pratiques de discrimination, tout ceci dans le but de créer des marchés captifs. Il s’agit enfin, au niveau de l’aval d’examiner comment économies d’échelle et économies d’envergure peuvent être utilisées au maximum. Les nouveaux modes de télédistribution illustrent bien ce phénomène.

Dans ce processus de recherche de marchés captifs, la possession d’une marque, véritablement internationale, d’un logo, apparaît aujourd’hui comme un puissant moyen de différenciation, symbole d’une qualité, d’une réputation, d’une organisation et parfois même, pour les produits de luxe, d’un « univers de référence ». La mondialisation rapide du modèle de consommation démultiplie l’avantage initial dont dispose une telle firme.

f) La croissance

Dernier volet des avantages comparatifs, la croissance. Dans le mouvement de globalisation qui caractérise de nombreux secteurs de l’activité économique, la

croissance externe tend à prendre de nombreux secteurs de l’activité économique, la croissance externe tend à prendre le pas sur la croissance interne en raison de ses nombreux avantages : en achetant une entreprise on achète une capacité de production immédiatement disponible, une marque, une clientèle, une part de marché. Il existe dans le monde un stock important de capital d’occasion. Parmi ces entreprises il y en a beaucoup dont la taille paraît insuffisante pour faire face aux pressions concurrentielles et aux exigences de la globalisation. Face à elles, les plus grandes cherchent à accroître leur assise internationale et leurs parts de marché. Les mouvements de fusions acquisitions ne font ainsi que refléter un mouvement de concentration qui touche de nombreux secteurs. Au centre de ce phénomène on trouve clairement mis en évidence, la valeur de la firme et la stratégie de la valeur (Copelan et al., 1991).

3.1.3.5. La vision stratégique comme ressort du changement organisationnel 3.1.3.5.1. Évolution de la pensée stratégique

Bien comprendre le sens de notre analyse nécessite avant tout de se référer aux évolutions majeures de la stratégie d'entreprise depuis le début de la décennie. En effet, suite aux approches supposant une adaptation de l'entreprise aux facteurs clés de succès de son industrie, des penseurs comme des entreprises se sont questionnés sur le moyen non plus de suivre mais de transformer l'environnement. Il est devenu davantage question de modifier les règles du jeu que de les subir, de contourner des barrières à l'entrée plutôt que de s'effacer devant elles. C'est le contexte économique actuel de globalisation et de saturation concurrentielle qui a conduit à de tels questionnements (Hamel et Prahalad, 1994). Cette logique atteint son paroxysme, par la recherche d'une dimension “révolutionnaire” dans la stratégie d'entreprise (Hamel, 1996), destinée à reconfigurer les industries.

L'on s'est donc intéressé non plus seulement aux entreprises en position forte, mais également à celles étant parvenues, comme l'avaient fait les Japonais durant la décennie quatre-vingt, à totalement bouleverser des pans entiers de l'industrie internationale. En fait, la pensée stratégique prévalant durant les années quatre-vingt (Porter, 1985) était une stratégie de “dominant”, en ce sens qu'elle s'intéressait essentiellement, de manière implicite, au moyen de construire et de défendre un avantage concurrentiel par rapport à des conditions industrielles données. La problématique s'est donc inversée, pour comprendre plus en détail la construction ou la transformation d'un avantage concurrentiel, et non plus seulement sa défense.

Ce questionnement a abouti à la résurgence ou à la formation de certains concepts en stratégie d'entreprise, destinés à comprendre comment une firme pouvait parvenir, dans des environnements a priori totalement défavorables, à recomposer le paysage concurrentiel en sa faveur. C'est en particulier tout le problème de l'invention et de la transformation stratégiques dont il est question, destinées à remodeler voire à créer de nouveaux espaces concurrentiels, régis par des règles du jeu inédites. Dans ce processus, la vision stratégique joue un rôle clé. Constituant un rêve que l'entreprise souhaite atteindre à long terme, elle est un puissant vecteur de changement. En interne, elle est susceptible de générer la transformation de l'organisation et l'acquisition de nouvelles compétences. En externe, elle vise à une reconfiguration profonde des

systèmes concurrentiels, liée à une transformation de l'interface client, et l'imposition de nouvelles règles du jeu (Gervais, 2003).