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Les institutions dans les principales théories de la coordination : une présentation schématique présentation schématique

DEMARCHE METHODOLOGIQUE

3.1. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA THESE

3.1.1.2. Les institutions dans les principales théories de la coordination : une présentation schématique présentation schématique

L'analyse du rôle des institutions dans la structuration et le fonctionnement des économies de marché a connu un renouveau important depuis une vingtaine d'années, avec d'une part la redécouverte du courant institutionnaliste américain du début du vingtième siècle (en particulier les analyses pionnières de T. Veblen et de J. R.

Commons) et, d'autre part, les développements récents des théories des contrats (notamment l’approche néo institutionnaliste de la Théorie des Coûts de Transaction et la Théorie de l’Agence) et de l'Economie des Conventions. Toutes ces approches soulignent la nécessité d'inscrire l'analyse des comportements des agents économiques dans un cadre théorique prenant explicitement en compte les institutions.

Toutefois, le caractère fondamentalement polysémique de la notion d'institution et la variété des statuts qui lui sont reconnus dans les différents courants théoriques débouchent sur des conceptions très différentes de la façon dont le fait institutionnel peut être raccordé à la problématique de la coordination. D’où une nécessaire clarification conceptuelle de ce que recouvre cette notion, avant d’en examiner le traitement dans les principales théories de la coordination. Un rapide examen de la littérature économique et sociologique suffit pour se convaincre de la polysémie attachée à la notion d'institution. On peut, pour faire bref, se référer à deux tentatives particulièrement éclairantes de synthèse des significations et des caractéristiques des institutions dans les principaux courants de pensée. La première, proposée par Ménard (1995), identifie trois grandes acceptions de la notion d'institution : (i) les institutions comme « ensembles abstraits de règles », à partir des travaux de Stiglitz et d'Hurwicz.

; (ii) les institutions comme « modèles » ou « régularités » de comportement d’agents rationnels, à partir des travaux de Lewis et de Schotter, et, de manière plus spécifique, à partir de la théorie des jeux non-coopératifs ; (iii) enfin, de manière très restrictive, Hurwicz réduit l'institution à « un mécanisme informationnel qui coordonne les actions de différents agents » (Ménard, 1995).

La seconde tentative de synthèse a été proposée par Hodgson (1998), qui, bien que se rattachant pour l’essentiel au courant institutionnaliste américain du début du vingtième siècle, tente d'intégrer dans sa caractérisation des institutions les conceptions néo institutionnalistes (notamment celles de Schotter et de North). Pour Hodgson, c'est l'absence de prise en compte de cette dimension qui distingue le néo-institutionnalisme de l'approche institutionnaliste traditionnelle. En effet, alors que cette dernière insiste sur les dimensions d’auto-incitation et d’enracinement historique et social des normes de comportement habituelles au sein d’une collectivité, les approches néo institutionnalistes se focalisent davantage sur les notions de régularités et de règles du jeu.

Hodgson pense cependant que les deux approches adoptent une conception plutôt large des institutions, qui englobe également les organisations (notamment les firmes) et des

« entités sociales systématiques » comme la monnaie, le langage et la loi. Dans cette perspective, toutes les formes d'institutions (qu’elles correspondent à des modes de pensée ou d'action, à des organisations ou à des entités sociales pérennes) recouvrent des caractéristiques communes (Hodgson, 1998).

Au total, malgré des nuances plus ou moins significatives, les approches synthétiques proposées par C. Ménard et G. Hodgson apparaissent très largement convergentes. En particulier, les deux approches soulignent très clairement les dimensions d’impersonnalité, de non intentionnalité, de relative durabilité et de contrainte sur les comportements des agents induites par les institutions. Cependant, en dépit des avancées significatives permises par ces deux synthèses dans la caractérisation des contours et des propriétés des institutions, le raccordement du fait institutionnel à la problématique de la coordination reste peu clair dans les principales approches théoriques.

De manière très schématique, on peut distinguer, d’une part les approches s’inscrivant dans la mouvance néoclassique, et, d’autre part, les approches conventionnalistes et institutionnalistes. Les approches théoriques de la coordination s'inscrivant dans la mouvance néoclassique recouvrent principalement la théorie de l’équilibre général avec système complet de marchés, la théorie des jeux non coopératifs, la théorie de l’Agence, et, dans une moindre mesure, le courant néo-institutionnaliste (Favereau, 1989). Ces approches s’accordent globalement sur la nature du problème à résoudre (la plus ou moins grande décentralisation des agents), l'objectif (mettre en cohérence les « plans » ou les choix rationnels des agents), et les principaux mécanismes envisageables pour assurer cette mise en cohérence (prix ; contrats ; commandement, par la hiérarchie et/ou l’autorité) (Hamdouch, 1998 ; Hamdouch, 2003).

En dépit d’une diversité certaine (notamment quant à l’étendue supposée de la rationalité des agents et à la nature plus ou moins complète et parfaite de l’information), les approches constitutives de ce courant reconnaissent la nécessité de l'existence d'un « cadre institutionnel » général qui permette au minimum de définir les

« règles du jeu » (droits de propriété, règles et lois, procédures d'arbitrage et de sanction, etc.), c'est-à-dire les droits, obligations et recours éventuels spécifiant l'espace des comportements admissibles des agents et de leur interactions économiques. Le point crucial réside cependant dans le fait que toutes ces approches fondent explicitement le comportement (et donc la nature de la coordination) des agents sur l’hypothèse d’une rationalité strictement individuelle et contrôlée, c’est-à-dire de comportements intentionnels, plus ou moins clairvoyants et égoïstes en vue d'atteindre des objectifs propres à chaque individu - donc établis sur la base de préférences ou d'intérêts individuels indépendants de ceux des autres agents. La coordination s’inscrit ainsi dans un monde de juxtaposition d'intérêts individuels exclusifs dans lequel le calcul et l'intentionnalité sont supposés être la règle (Hamdouch, 1998 ; Hamdouch, 2003).

Comment peut-on alors, dans un tel contexte, justifier logiquement de l'existence et de la légitimité d'institutions dans la problématique de la coordination autrement que de manière exogène ? On voit en effet mal comment on peut concilier, d'une part le caractère impersonnel (propriété de non intentionnalité), collectif et contraignant des règles de comportement induites par les institutions, et, d'autre part, les propriétés de comportement intentionnel, strictement individuel et intéressé impliquées par l'hypothèse de rationalité individuelle calculée (ou, plus généralement, contrôlée).

Les approches conventionnalistes et institutionnalistes considèrent, quant à elles, les institutions à la fois comme des contraintes et des normes de comportement qui spécifient les règles du jeu en amont de la coordination économique, mais également comme des dispositifs qui assurent une fonction coordinatrice essentielle, notamment au travers de l'ajustement mutuel entre agents, de normes sociales, de coutumes, de valeurs culturelles, etc. En particulier, ces approches insistent sur le rôle de la confiance, des attitudes morales, de la réciprocité, des normes et des conventions comme mécanismes susceptibles de favoriser les comportements coopératifs dans les interactions entre individus ou organisations (Granovetter, 1985 ; Favereau, 1989 ; Le cardinal et Guyonnet, 1991 ; Pernin, 1993 ; Guth et Kliemt, 1994 ; Orléan, 1994 ; Cordonnier, 1997).

Les institutions sont ainsi considérées comme des dispositifs coordinateurs dérogeant au principe de comportements strictement intéressés ou opportunistes. Elles illustrent la capacité des agents à se conformer à des règles de conduite permettant de dépasser le conflit interindividuel systématique et de favoriser la coopération par la convergence au moins partielle des intérêts.

La question essentielle est alors de savoir quelles sont les conditions d’émergence et de soutenabilité (degré de généralité, de durabilité et de légitimité) de ces modes d’interaction basés sur d’autres logiques que celle du calcul individuel rationnel. Or, ces conditions sont loin d'être assurées. En particulier, la confiance comme mécanisme d’incitation à l’adoption de comportements coopératifs pose problème. En effet, si la confiance découle d’un simple calcul d’intérêt, fût-ce dans un cadre d’incertitude et de rationalité limitée, alors elle perd toute la substance distinctive qui peut la justifier comme institution et, comme le souligne fort logiquement Williamson (1993), elle devient au mieux un « concept mou », au pire une notion superflue - car redondante avec celle de calcul, qui apparaît alors plus générale.

D’un autre côté, comme le soutient de manière convaincante Granovetter (1985), si l’on retient une conception purement institutionnaliste de la confiance, on tombe dans le travers inverse de la « sous-socialisation » des comportements impliquées par l’assimilation de la confiance à un calcul, en lui donnant cette fois-ci un caractère « sur-socialisé », c’est-à-dire totalement surdéterminé en amont par des normes de comportement préexistant aux interactions entre agents. Cette conception de la confiance comme norme générale de comportement et d’interaction des agents entre ainsi en conflit avec le principe de rationalité individuelle contrôlée, alors même que l’existence de cette norme est simplement postulée, et non pas déduite logiquement d’une conceptualisation théorique de la question de la coordination qui serait basée sur un principe de rationalité alternatif à celui de la rationalité individuelle calculée. En définitive, aucune de ces deux conceptions de la confiance ne permet de justifier l’existence et la légitimité des institutions dans une problématique cohérente de la coordination. Dans le premier cas, la confiance comme dispositif institutionnel de coordination est sans objet, alors que dans le second, elle ne peut être ni justifiée ni légitimée. De manière plus générale, ainsi que nous le montrons à présent sur un plan logique, l'hypothèse d’une rationalité strictement individuelle et contrôlée ne permet pas d'introduire de manière cohérente les institutions dans la problématique de la coordination, que ce soit sous forme de règles amont ou au titre de dispositifs coordinateurs spécifiques.

En somme, à partir des arguments qui ont servi à les étayer, on peut alors poser l’articulation théorique entre institutions, nature de la coordination et principe de rationalité systémique de la manière suivante :

- Si les règles de la coordination et les dispositifs institutionnels qui y sont activés émergent essentiellement de manière conventionnelle ou auto-organisée, alors la rationalité qui fonde les comportements des agents et leurs interactions est au moins partiellement de nature systémique.

- Par suite, les comportements et interactions des agents au sein du processus de coordination économique sont eux-mêmes en partie conventionnels, routiniers, réglementés ou normés. Dans ce cadre, la coordination économique ne peut pas fondamentalement correspondre à la confrontation de plans individuels ou de choix d'arrangements contractuels établis indépendamment les uns des autres sur la base d'un calcul rationnel isolé. Elle recouvre, au contraire, un processus d’interaction effective entre des agents plus ou moins différenciés et décentralisés, mais interdépendants, dont le résultat (allocation, échange et création de ressources) découle de la combinaison évolutive de choix, de comportements et d'actions à la fois rationnellement limités (finalisés mais imparfaits), adaptatifs (progressivement construits et modifiés par apprentissage), en partie non intentionnels (fortuits ou conventionnels), et interconnectés (s’influençant les uns les autres), dans leur élaboration comme dans leur déploiement (Arrow, 1987 ; North, 1990 ; Teece, 1992 ; Loasby, 1994).

- Ce sont alors précisément ces comportements et interdépendances qui permettent de produire, dans la réalisation même de la coordination, des dispositifs d’interaction basés sur la coopération, la confiance, la discussion, la négociation, la communauté de valeurs ou l’ajustement mutuel, c’est-à-dire des dispositifs répondant à un principe de rationalité sociale (ou « partagée ») et adaptative, et non pas strictement individuelle et contrôlée.