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DEMARCHE METHODOLOGIQUE

3) La tension comme vecteur de changement

3.1.4.9. Le territoire : sens et nature interdisciplinaire

Comme le synthétise bien Melo (2006) le territoire est un mot qui nous renvoie à la notion de domaine, frontière et pouvoir (Melo, 2006). Le concept de territoire prend une place importante dans le débat actuel sur la globalisation. Selon Giraut et Antheaume (2005), les positions vont de ceux qui ont annoncé sa fin comme, Lévy,

1993; Badie, 1994; Castells 1996; Veltz, 1996, à ceux qui croient que la territorialité est encore la solution à toutes les sortes de problèmes, et cette position domine les politiques publiques au « Nord », comme au « Sud ». Selon les mêmes acteurs, ce qu’on observe dans la pratique est une valorisation de la gouvernance locale parallèle à un affaiblissement du rôle de l’Etat. C’est la construction du mythe de la non territorialité, comme si l’homme pouvait vivre sans territoire, comme si la société pouvait exister sans territorialité, comme si le mouvement des territoires n’était pas toujours sa reconstruction sur de nouvelles bases (Haesbaert, 2006).

Selon Hissa (2005), le concept de territoire émerge aussi de la crise du savoir actuelle, caractérisée par une discussion de la science sur la validité de modèles totalisants. Ce concept devient clé pour la compréhension du lieu et de la nature de la sociabilité contemporaine. Le territoire est le lieu partagé dans le quotidien et le réceptacle de la mémoire collective. Donc, comme le souligne Santos (2000) la catégorie d'analyse n'est pas le territoire en soi, mais le territoire utilisé, puisque l'espace est toujours historique. L'espace ainsi, est compris comme un ensemble indissociable, solidaire et contradictoire, entre des systèmes d'objets et des systèmes d'actions, considérés comme un cadre unique dans lequel l'histoire se passe (Santos, 1996).

L'usage du concept de territoire appartenant originellement à la Géographie essaie de rendre compte et de donner un appui à l'Economie pour comprendre et répondre aux besoins d'expansion du capital dans le contexte local. L´exercice d´expansion de la frontière de l´économie est aussi une possibilité d´avancer dans une perspective interdisciplinaire. Le regard spatial présuppose une attitude transdisciplinaire (Hissa, 2005). Dans cette compréhension, le marché et la concurrence sont des dimensions d'un territoire, mais dont la dynamique est donnée, aussi, par d'autres facteurs, sociaux, culturels et politiques. En élargissant sa perception de la réalité l'Economie on va aussi dans la direction de la complexité. Les problèmes environnementaux et d'autres questions thématiques, comme le concept même de ce qu´est la vie, renforcent l'importance de la réflexion sur l'unité de la connaissance. Pour Santos (2000), l´interdisciplinarité concerne la méta-discipline, qui est la possibilité d'un discours interchangeable, avec la fertilisation mutuelle des concepts. La méta-discipline serait donc, la philosophie particulière à chaque discipline qui lui permet de dialoguer avec les autres.

La discussion du territoire s’insère dans la perspective de la science régionale, une des branches des sciences sociales et économiques. Selon Benko (1998), la science régionale peut être considérée comme une discipline carrefour – où nombreux sont ceux qui passent, mais peut s’y arrêtent -, située au croisement des sciences économiques, de la géographie, de la sociologie, des sciences politiques, du droit, de l’urbanisme et de l’anthropologie. Mais il y a encore peu d’avance dans la perspective de la construction épistémologique et méthodologique de ce dialogue. Cela est encore un domaine dans lequel économistes et géographes se disputent des interprétations spécifiques. C’est la Géographie qui a approfondi le débat, spécialement à partir de la contribution d’Henri Lefèvre, pour qui l’espace a un rôle et une fonction décisive dans la structuration d’une totalité, d’une logique, et d’un système.

Autre contribution importante c’est celle de Milton Santos, avec l’incorporation du concept socio-spatial, construit à partir du concept de formation socio-économique.

Pour l’auteur, il est impossible de concevoir une formation socio-économique spécifique sans penser l’espace. Mode de production, formations socio-économique et espace sont des catégories interdépendantes. (Santos, 1996). Ainsi, la forme, la dimension visible c’est l’espace, pendant que la structure se réfère à la nature sociale et économique de cet espace. Quand l’espace gagne en épaisseur et devient un tissu de significations et d’expériences, incorporant les codes sociaux, alors se dessine une région. La région est un objet réel, construit dans un cadre de la solidarité territoriale.

Le territoire est fondamentalement un espace défini et délimité par et à partir de rapports de pouvoir. Le territoire est un lieu de partage dans le quotidien, un lieu créateur de liens et d’appartenance.

Le principe de l'inclusion et de l´appartenance est d’une importance fondamentale pour le rétablissement des liens avec l'histoire, pour un agir responsable et engagé dans la conservation et la préservation de la vie. Le concept de développement, doit donc être totalement solidaire de la compréhension de l´éthique comme inclusion et avec l'importance du sujet critique et participant (Santos, 2001).

Les recherches sur les territoires, réalisées en Europe ou au Brésil (Fauré et Hesenclever, 2003; Raud, 1999), montrent que ce sont, fondamentalement, les caractéristiques sociales et politiques, le partage d’identités et d’autres

« appartenances » diffuses de catégories et de positions sociales et culturelles qui sont les principaux responsables du réseau de sociabilités. Et ces facteurs sont la base du processus d’apprentissage et d’innovation, qui soutiennent les deux vecteurs d’efficience collective: la compétitivité et la solidarité. Cela veut dire que les trajectoires, pas toujours prévisibles, dépendent de facteurs plus complexes que les facteurs économiques, normalement stimulés. Mais, parfois, il y a d’autres forces responsables de la dynamique des territoires. La grande difficulté est de s’apercevoir de l’existence de ces forces et de comprendre que ce sont elles qui peuvent favoriser une dynamique du développement local/régional soutenable. Il est très important que l’analyse des territoires n’élimine pas leurs racines régionales, mais qu’elle les renforce.

Comme le signalent Giraut et Antheaume (2005), malgré la croissance de l’importance de la recherche dans ce domaine, on reste plutôt dans un contexte de pénurie de réflexions sur les enjeux des modèles territoriaux véhiculés, et d’idéalisation d’une approche territoriale dont on ne reconnaît pas préalablement la nécessaire complexité et les limites. La reconnaissance de la pluralité et de la fluidité des territoires est un gage contre l’enfermement qui guette. Cette dynamique polysémique du territoire exige le regard interdisciplinaire. Donc, la perspective territoriale, si l’on respecte sa complexité, peut être un concept de base pour la construction de politique de développement.