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DEMARCHE METHODOLOGIQUE

3) La tension comme vecteur de changement

3.2. LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE LA THESE

3.2.3. Le traitement des données

3.2.3.2. L’analyse de l’efficacité de la coordination

La coordination économique est aujourd'hui reconnue par l'essentiel des courants de la pensée économique, l'articulation théorique entre la problématique de la coordination et les dimensions institutionnelles qu'elle recouvre reste souvent partielle ou superficielle (Hamdouch, 1998 ; Hamdouch, 2003).

Les approches théoriques de la coordination s'inscrivant dans la mouvance néoclassique recouvrent principalement la théorie de l’équilibre général avec système complet de marchés, la théorie des jeux non coopératifs, la théorie de l’Agence, et, dans une moindre mesure, le courant néo-institutionnaliste (Favereau, 1989). Ces approches s’accordent globalement sur la nature du problème à résoudre (la plus ou moins grande décentralisation des agents), l'objectif (mettre en cohérence les « plans » ou les choix rationnels des agents), et les principaux mécanismes envisageables pour assurer cette mise en cohérence (prix, contrats, commandement, par la hiérarchie et/ou l’autorité). Dans ce cadre, la coordination vise fondamentalement à assurer une affectation efficiente des ressources « commandées » par des agents plus ou moins décentralisés, mais dont les préférences sont supposées données et homogènes.

L'analyse repose en général sur des conditions d'information imparfaite des agents : leurs décisions sont prises dans l'ignorance totale ou partielle de celles des autres agents et n'intègrent pas pleinement la mémoire des décisions antérieures, des éléments contextuels, et de la constitution progressive de leurs échelles de préférences (Hamdouch, 1998 ; Hamdouch, 2003).

Le point crucial réside cependant dans le fait que toutes ces approches fondent explicitement le comportement (et donc la nature de la coordination) des agents sur l’hypothèse d’une rationalité strictement individuelle et contrôlée, c’est-à-dire de comportements intentionnels, plus ou moins clairvoyants et égoïstes en vue d'atteindre des objectifs propres à chaque individu - donc établis sur la base de préférences ou d'intérêts individuels indépendants de ceux des autres agents. La coordination s’inscrit ainsi dans un monde de juxtaposition d'intérêts individuels exclusifs dans lequel le calcul et l'intentionnalité sont supposés être la règle. Ces approches insistent sur le rôle de la confiance, des attitudes morales, de la réciprocité, des normes et des conventions comme mécanismes susceptibles de favoriser les comportements coopératifs dans les interactions entre individus ou organisations (Granovetter, 1985 ; Favereau, 1989 ; Cardinal et Guyonnet, 1991 ; Pernin, 1993 ; Orléan, 1994 ; Cordonnier, 1997).

Les coordinations marchandes ou les monopoles publics sont des choix organisationnels parmi d’autres. On peut repérer plusieurs « dispositifs de coordination interindividuels qui permettent aux agents économiques de régler leurs problèmes de coordination ex ante ». Les prix de marché peuvent en asymétrie d’information conduire à l’anti sélection ou à un aléa moral. En univers risqué, les contrats explicites ou implicites constituent, dès lors, des engagements mutuels sur des comportements futurs (Laffont, 1985). La société cotonnière peut être assimilée à un principal qui délègue la production moyennant contrat. Les contrats implicites sont l'équivalent des accords non contraignants de la théorie des jeux ; ils permettent d'éviter les effets de

cavalier libre ou favorisent des comportements efficients. Le contrat optimum est celui par lequel ils maximisent leur espérance mathématique dans l'utilité (Stiglitz). A priori, des contrats complets avec sanction juridique sont souhaitables. Dans le contexte africain, des contrats incomplets avec relations de confiance entre acteurs sont les seuls possibles (Hugon, 2007).

Les institutions peuvent être traitées en termes d'efficience, de capacité à réduire les coûts de transaction ou de règles du jeu (cf. l'institutionnalisme rationnel de Coase, North et Williamson). Dans une conception fonctionnaliste et utilitariste, les institutions résultent de choix pour des raisons d'efficacité. Les institutions sont déterminantes dans l'allocation des ressources; elles peuvent être traitées de manière endogène ; elles ont un fondement micro économique dans le sens où l'on peut expliquer des choix organisationnels. La filière renvoie à ce niveau de complexité à une « coordination des comportements individuels par des règles organisationnelles conjointement à une coordination marchande » (Requier-Desjardins, 1992). Selon ce courant, les institutions concernent les régularités du comportement social convenu par tous les membres de la société. Dans le cas d’informations asymétriques, des substituts au marché apparaissent sous forme de relations hiérarchiques ou de contrats, ceux-ci limitent les coûts de transaction: coûts d'identification des partenaires, de négociation et de contrôle. Ces coûts sont liés au coût d'information, à la spécificité des actifs, à l'anonymat des relations (Hugon, 2007).

L’organisation en filière sous le contrôle des sociétés cotonnières se rapproche du putting out system et des contrats de sous traitants avec transactions liées. La société cotonnière lie le préfinancement, l’accès aux intrants, les débouchés assurés, l’information et la création des savoirs. Le producteur à domicile reçoit les intrants, et la vente du produit est assurée. Le différentiel entre les prix du coton graine et celui des intrants inclut le coût du crédit. Les relations contractuelles de quasi intégration entre producteurs, commerçants et industriels sont d’autant plus justifiées que les produits sont périssables ou ont un coût de stockage élevé, que la valeur par unité de poids et de volume est importante, que la culture est annuelle, que le produit est transformé et que l’industriel a un coût fixe et a un besoin de réguler les approvisionnements, que le label de qualité est déterminant dans la compétitivité (Goldsmith, 1985 ; Hugon, 2007).

On peut aller plus loin dans la compréhension de la rationalité des acteurs. On peut, ainsi, certes, à un niveau micro, mobiliser des catégories néo institutionnelles en termes de modes de coordination, de coûts de transaction et de choix en univers risqué et incertain. Mais ces catégories sont elles-mêmes altérées par les processus cognitifs et par les formes ou configurations. L'institutionnalisme rationnel se situe dans le cadre des méthodes hypothético-déductives, de l'individualisme méthodologique et de la réfutabilité poperienne, institutionnelles jouant à un niveau macro, par les modes d'accumulation conduisant à des processus évolutifs ou involutifs. L'institutionnalisme sociologique, cognitif ou psychologique (ex des conventions ou des interactions sociales) prend en compte plusieurs espaces de justification, registres d’action et principes d’évaluation des biens. Le cognitivisme analyse les processus mentaux par lesquels les agents forment leurs représentations imparfaites du monde. Les institutions ne sont pas seulement des faits et des pratiques collectives mais aussi des cadres cognitifs et moraux dans lesquels se développent des pensées individuelles. Les

conventions sont des moyens de coordination arbitraires nécessaires à des individus rationnels ayant des intérêts communs, des interprétations liées à des incomplétudes de règles. Ces différents arguments jouent pour les filières agro alimentaire notamment le coton.

Plus fondamentalement, la compréhension des acteurs, en l'occurrence les cotonculteurs et les différents acteurs intervenant au sein de la filière coton (transporteurs, transformateurs, fournisseurs d'intrants, financeurs, commerçants, exportateurs, spéculateurs ou stabilisateurs..), renvoie à des représentations et systèmes de valeur pluriels. La valeur marchande n'est qu'un système de valorisation parmi d'autres qui n'est pas nécessairement dominante pour les cotonculteurs à côté de la sécurité alimentaire. Il importe, dès lors, de combiner l'approche «individualiste» des arrangements institutionnels, « ensemble de règles et comportements qui gouvernent les actions et les relations entre individus », résultant de choix sous contraintes des acteurs et une approche historique et holiste des structures ou systèmes institutionnels nés des rapports de pouvoirs et réintroduisant le politique et se situant à un niveau supérieur de généralisation et d'abstraction de codification des rapports sociaux fondamentaux. La structure institutionnelle englobe quant à elle les arrangements institutionnels formels et informels dans un domaine qui est peut être sectoriel (Bartoli et Boulet, 1989).

L''institutionnalisme historique s'intéresse, ainsi, à la genèse des institutions liée aux rapports sociaux, au caractère irréversible du temps du développement et à leur dimension politique. Les institutions sont instituées, évolutives et créées tout à la fois.

Elles sont les fruits d'une histoire et des construits sociaux. C'est leur complémentarité qui fait système (Lafaye de Micheaux et Ould-Ahmed, 2007). La démarche « intermédiaire » holindividualiste, d'individualisme méthodologique complexe ou de rationalité située vise à dépasser l’institutionnalisme néo marxiste ou bourdieuvin de la reproduction et intégrer de la diversité dans l’unité (Chanteau, 2003). Il s'agit de refuser une conception mécaniste de l'action en prenant en compte les opérations par lesquelles les agents interprètent les normes et les valeurs et donnent sens à leurs actes.

Les institutions sont (re)produites par les individus qui les incorporent (rôle des représentations sociales collectives notamment) tout en étant constamment interprétées par les individus (mais de façon différenciée selon la situation : contexte de l’action, époque, lieu). In fine, l’institution est à la fois une contrainte et une ressource pour les individus et les groupes (idée qu’on trouve déjà chez Commons) (Théret, 2000 ; Billaudot, 2004, Hugon, 2007,). La caractéristique des sociétés africaines est à la fois celle de très fortes contraintes sociales limitant les libres arbitres et interdisant une vision utilitariste et également des stratégies économiques fortement individualisées caractérisées par la mobilité, l’exit option la grande flexibilité des pratiques économiques. Cette prise en compte des structures institutionnelles limite fortement la portée des travaux économétriques et des comparaisons quant à l'efficacité des systèmes libéralisés et administrés.

En somme pour évaluer l’efficacité ou la performance de la coordination des acteurs d’une filière cotonnière. D’après Fok et Tazi (2004), il faut d’abord caractériser le mode d'organisation. Cela se passe par la création d’une grille d’analyse de la filière cotonnière. Il est procédé d'abord à une décomposition classique de la filière en ses différentes étapes. Celle-ci tient compte de tous les changements d'état du produit

(procès techniques) et de tous les changements de propriété entre les acteurs (transactions) qui peuvent avoir lieu le long de la filière.

Ainsi, la méthodologie développer par Fok et Tazi (2004), stipule se fonde sur l’hypothèse que la performance d’une filière de production dépend de la qualité des relations entre les acteurs ou de la coordination entre eux. Cette coordination dépend avant tout des arrangements institutionnels pour favoriser durablement la coopération et prévenir les comportements opportunistes dans des contextes où l'asymétrie d'information prévaut entre les acteurs, le marché est insuffisant pour une gestion efficace des biens communs ou collectifs ou pour intégrer les externalités liées aux activités économiques. Ces auteurs grâce au projet Resocot ont développés une méthodologie qui s'appuie sur la théorie néo-institutionnelle qui prend en compte plus particulièrement :

- le rôle des institutions dans les interactions entre les acteurs.

- les actions des groupes d’acteurs (action collective) dans l'émergence et l'évolution des institutions entendues comme des règles auxquelles les acteurs se réfèrent pour décider de leurs comportements.

Le choix de cette théorie commande, pour une description analytique de la filière. Se basant sur l'hypothèse que la performance d'une filière est influencée par les défaillances de coordination qui peuvent l'obérer. La mise en relation entre performance et défaillance a nécessité le développement d'une méthode novatrice.

Pour caractériser chaque étape technique de la filière, il est retenu cinq rubriques de description: acteurs, coordination horizontale, coordination verticale, les modalités de transaction et la formation des prix. Les trois premières rubriques visent à appréhender les acteurs et les institutions orientant leurs interactions, les deux dernières concernent les conséquences de ces interactions. Sous la rubrique relative aux acteurs, on cherche à situer le degré de concurrence en précisant le nombre d'acteurs impliqués, qui ils sont… Sous la rubrique de coordination horizontale, qui aborde précisément la question de la fourniture de biens ou services publics ou collectifs, on renseigne sur l'existence, le statut (formel ou informel), la nature (publique ou privée) et les modalités des règles. Sous la rubrique de coordination verticale, qui concerne plus particulièrement les transactions, on cherche à savoir comment elles sont réalisées (existence de contrat, recours à appel d'offres…). La rubrique relative aux modalités de transaction permet de cerner par exemple l'existence de crédit, les conditions de crédit… La rubrique portant sur le mécanisme de formation des prix intègre les modalités de fixation de prix (administration ou pas des prix, types de prix administrés comme les prix fixes ou les prix minima) mais aussi les éléments qui peuvent influencer directement les prix finaux comme les taxes (les taxes portant sur l'acquisition des intrants influents sur les prix à la distribution aux paysans).