• Aucun résultat trouvé

Les réseaux comme palliatifs des imperfections des marchés

DEMARCHE METHODOLOGIQUE

3.1. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA THESE

3.1.1.7. Les réseaux comme palliatifs des imperfections des marchés

Les arrangements institutionnels proposés dans le cadre de la théorie des coûts de transaction ne constituent pas ainsi les seuls déterminants pour garantir une coordination efficace des relations marchandes. A partir du cas des filières horticoles, Jaffee (1996) signale que les structures institutionnelles ne sont pas strictement déterminées et causées par les facteurs technico-économiques liés aux économies des coûts de transaction, mais ils sont en rapports avec les facteurs historiques et politiques ainsi que les caractéristiques des entreprises et producteurs participant à l’échange. A côté de ces arrangements institutionnels, les relations personnelles concrètes et les obligations qui en découlent jouent également un rôle essentiel pour éviter les méfaits (Granovetter, 2000).

L’importance du système de relations sociales dans l’émergence des marchés est soulignée par Granovetter (1973) à partir de sa théorie de l’encastrement social des comportements économiques : «The role of personal relations in helping supply and demand to meet concerns both the circulation of information and the organization of transactions». Les institutions économiques n’apparaissent pas ainsi automatiquement, mais elles sont construites par des individus dont l’action est à la fois facilitée et limitée par la structure et les ressources disponibles des réseaux sociaux où ils s’inscrivent (Granovetter, 2000).

L’accent est mis ici sur le rôle des interactions entre les agents : les liens sociaux, le temps et l’expérience. En effet, le temps et l’expérience sont des éléments critiques pour décider si on fait confiance ou pas (Lorenz, 2000). La coordination repose sur la confiance grâce à la réputation acquise par les différents acteurs économiques à travers la coopération et la répétition des transactions. Il s’agit d’une confiance espérée où la condition d’ignorance, c’est-à-dire l’incertitude sur le comportement du partenaire, est un élément central. Gambetta (2000) définit ainsi la confiance: “Trust (or, symmetrically, distrust) is a particular level of the subjective probability with wich an agent assesses that another agent or group of agents will perform a particular action, both before he can monitor such action (or independently of his capacity ever to be able to monitor it) and in a context in which it affects his own action”. Pour Uzzi (1996), la confiance réduit l’incertitude transactionnelle et crée des opportunités pour l’échange de biens et de services dont les prix sont difficiles à fixer ou à mettre en

œuvre contractuellement. La répétition des transactions ou clientélisation (Geertz, 1978) permet de réduire les coûts de recherche. La confiance peut réduire les coûts de transactions en diminuant le temps et les ressources que les partenaires dépensent dans les négociations ex post et le marchandage sur les problèmes qui apparaissent au cours de l’échange (Dyer et Chu, 1997).

La confiance résultant du réseau modifie les formes de la transaction en donnant lieu à la recherche de relations durables et en s’abstenant de la mettre en péril au détriment d’avantages immédiats (Steiner, 1999). En ce qui concerne les garanties et les incitations qu’offrent ces relations personnelles pour les échanges marchandes. Steiner (1999) les explique par la stabilité des réputations. En effet, cette stabilité fait que chaque producteur se trouve placé dans une grande incertitude quant aux conséquences d’une modification de sa propre réputation et d’un changement de «niche». DiMaggio et Lough (1998) montrent l’existence d’une relation entre l’incertitude quant à la qualité du produit et les formes sociales de la transaction. L’usage des relations personnelles est ainsi croissant avec l’incertitude. Pour Akerlof (1970), à partir de l’analyse du cas du marché des voitures, il s’agit plutôt d’une mobilisation des connaissances locales dues à la proximité des acteurs de l’échange. La constitution de ces réseaux est un moyen pour dépasser les limites de la coordination par le système de prix, du fait même des imperfections du marché. Le réseau constitue le lieu de concrétisation d’une intermédiation économique, il est l’instrument d’échanges marchands entre les offreurs et les demandeurs (Curien, 1999).

Néanmoins, une limite importante de la coordination basée sur les relations personnelles peut être due au fait qu’une fois la confiance établie, il peut y avoir une limitation des contrôles à l’origine d’un opportunisme de la part des acteurs. Selon Steiner (1999), cet opportunisme qualifié de modéré ne met pas en danger la confiance établie car il peut être résolu par les mécanismes de couplage et découplage donnant naissance à des groupes homogènes et définissant des frontières de confiance et d’affiliation sociale. La mise en place d’institutions peut permettre également de pallier aux incertitudes. Dans le cas de la qualité, les incertitudes peuvent être ainsi limitées par la mise en place de standards comme vecteurs de la coordination (Foray, 1995). Une approche structurale du marché à travers l’utilisation de l’encastrement social permet de mieux prendre en compte le recours aux réseaux pour réduire les incertitudes sur l’approvisionnement. La présentation du cadre théorique de cette recherche, nous amène à nous intéresser sur la méthodologie utilisée pour réaliser cette recherche.

3.1.2. La théorie du principal – agent 3.1.2.1. Introduction

Pour étudier les relations entre les acteurs de la filière cotonnière : SODECOTON, OPCC, OP, la théorie « principal - agent » semblait à première vue convenir.

Cependant, cette théorie se focalise sur les conséquences de la délégation des pouvoirs réglementaires plutôt que sur les causes de cette délégation et le rôle de l’environnement institutionnel. La filière cotonnière camerounaise est dominée par des principaux acteurs qui occupent des fonctions prépondérantes, à savoir :

- La SODECOTON, qui est une société d’Etat, dotée d’une autonomie financière.

Les principales activités de la SODECOTON concernent l’encadrement des producteurs de coton, la commercialisation du coton graine, l’égrenage et la vente de la fibre. L’Organisation des producteurs de coton du Cameroun (OPCC) ;

- L’OPCC a été créée en juillet 2000, dans le cadre du volet « professionnalisation » du Projet Développement paysannat et gestion des terroirs (DPGT), volet qui visait à transférer diverses taches et responsabilités aux producteurs dans les domaines de la culture et de la commercialisation du coton. La première phase de ce volet a été l’organisation horizontale des producteurs en groupements. La seconde phase a été l’organisation verticale des producteurs avec la création de l’OPCC-GIE. L’OPCC-GIE assure la représentation des producteurs et la défense de leurs intérêts au niveau local, au niveau national et au niveau international. D’autre part, l’OPCC-GIE a initié un projet de stockage de céréales dans les villages, afin de diminuer l’incitation des producteurs de vendre leur production à bas prix pour répondre à leurs besoins financiers immédiats, et satisfaire leurs besoins alimentaires.

Les producteurs de coton sont organisés en groupements au niveau des villages (un village peut avoir un ou plusieurs groupements, chacun comptant de 100 à 800 producteurs). Les groupements signent chaque année deux contrats avec la SODECOTON : un contrat de production et un contrat de commercialisation.

Dans cette filière, la SODECOTON et l’OPCC-GIE peuvent s’identifier comme le principal dans la filière qui délègue un mandant de production et de commercialisation du coton graine aux producteurs dénommés comme l’agent. Ainsi, la relation entre la SODECOTON, l’OPCC-GIE et les producteurs s’inscrivent dans le cadre d’une relation d’agence définie par Jensen et Meckling comme « un contrat dans lequel une ou plusieurs personnes ont recours aux services d’une autre personne pour accomplir en leur nom une tâche quelconque, ce qui implique une délégation de nature décisionnelle.

Après situation du cadre de ce modèle, il est important de décrire de manière plus détaillée le modèle du principal agent. Ainsi, l’analyse traditionnelle de l’entreprise se limitait à l’étude de sa fonction de production sans tenir compte de son organisation :

« La firme néo-classique est un centre de décision en situation d’information parfaite définie par son objectif : le profit et par son comportement : la maximisation ».

L’existence de l’entreprise était justifiée par les économies d’échelle résultant de la division et de la spécialisation du travail. Cependant, cette conception de l’entreprise ne fournit qu’une explication partielle à la substitution du marché par l’entreprise, caractérisée par une organisation hiérarchique de la production. Pour Coase (1937) l’existence de la firme émane de la comparaison des coûts liés à l’utilisation du marché par rapport aux coûts de production. Ainsi, la firme est interprétée comme une structure permettant de réduire les coûts. La vision de l’entreprise devient plus complexe : il s’agit d’un nœud de contrat. La substitution du système de prix par l’entrepreneur pour l’allocation des ressources pose désormais la question de l’efficience de ce type d’organisation (Chevalier, 2000).

Dans la même perspective, Berle et Means (1932) étudient la relation entre les managers et les actionnaires. Ces deux catégories d’agents se définissent par des intérêts divergeant de telle sorte que la recherche d’un intérêt personnel génère une

moindre efficacité de l’entreprise. L’ouvrage de Berle et Means fournit aux économistes une première vision du conflit sans pour autant envisager ses conséquences sur la firme. Cependant, l’interaction entre organisation et performance de l’entreprise ne sera posée de façon explicite que par Coase. A partir de ce texte, les économistes vont développer une nouvelle vision de l’entreprise appartenant au courant de pensée managérial : l’entreprise se définit comme une structure organisationnelle. Dans cette conception, l’article de Jensen et Meckling (1976) présente la firme sous un angle nouveau : celui de la théorie de l’agence. Bien que les études des relations entre dirigeants et actionnaires soit au centre de leur article, les auteurs donnent une nouvelle dimension à l’analyse du conflit en introduisant les termes de principal et d’agent. Le principal est le terme générique qui désigne la personne qui délègue un mandant (le droit d’exécuter une tâche) à une autre personne dénommée l’agent. Les relations entre ces deux parties s’inscrivent dans le cadre d’une relation d’agence définie par Jensen et Meckling comme « un contrat dans lequel une ou plusieurs personnes ont recours aux services d’une autre personne pour accomplir en leur nom une tâche quelconque, ce qui implique une délégation de nature décisionnelle.

La relation d’agence ainsi définit par Jensen et Meckling est soumise à un coût d’agence. Il s’agit des coûts supportés par le principal et l’agent en vue de réduire l’asymétrie d’information. Le problème fondamental de la théorie de l’agence est donc d’assurer l’équilibre entre le principal et l’agent (Chevalier, 2000 ; Williams, 2006 ; Laffont et Martiomort, 2002).

Dans cette relation, on distingue généralement deux types de contraintes informationnelles, l'anti-sélection et l'aléa moral :

Anti sélection (ou sélection adverse)

L'anti-sélection se rapporte à l'ensemble des variables exogènes qui ne sont pas observables par le régulateur mais sont connues par l'opérateur. Elles sont caractérisées par exemple par les capacités productives de l'opérateur, c'est à dire la technologie dont il dispose et qu'il utilise pour assurer la prestation d'un service ou la production d'une quantité de biens. Le déficit informationnel de l'autorité peut également être lié à la demande des consommateurs et plus particulièrement à son élasticité-prix. La présence d'une telle incertitude sur l'environnement productif d'un opérateur autorise celui-ci à disposer de rentes. En effet, une entreprise efficace, c'est à dire bénéficiant par exemple de coûts de production faibles, peut prétendre supporter des coûts élevés. Ainsi, elle reçoit une rente positive puisqu'elle touche un remboursement supérieur aux coûts anticipés. Elle peut également exercer un niveau d'effort faible de façon à ce que ses coûts de production soient juste remboursés par le montant fixé par le contrat, ce qui lui permet également de bénéficier d'une rente positive (Laffont et Martiomort, 2002 ; Gagnepain, 2001).

L’aléa moral

En économie industrielle, ce terme a une acception précise. Il désigne les cas où un agent s'engage à accomplir une action pour le compte d'un principal alors que le résultat final de l'action dépend d'un paramètre connu de l'agent mais pas du principal.

On le désigne parfois sous le nom de « hasard moral », calque de l’anglais moral hazard (qui aurait dû être traduit par l'expression « risque comportemental »). En effet, l’asymétrie d’information dote l'agent de la possibilité d'utiliser à son avantage son information privée, sans que cet abus soit constatable par le principal ou un tiers (puisque par définition, seul l'agent en est conscient). Il bénéficie donc d'une rente informationnelle. Ce type de problème surgit dès que, dans une relation entre deux acteurs, un paramètre dont dépend le résultat de l'action ne peut être inclus dans l'accord liant les deux agents, soit parce que qu'il n'est connu que par un des deux