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Du rebut au déchet, l’étymologie du mot déchet Pour le législateur 14 , le déchet désigne :

Section I. Diversité terminologique du rebut

I.1.1. Du rebut au déchet, l’étymologie du mot déchet Pour le législateur 14 , le déchet désigne :

« Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau ou produit, plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon » (loi du 15 juillet 1975).

Cyrille Harpet (1999) distingue deux éléments dans cette définition légale. Premièrement, le statut de déchet est fonction de la variété matérielle et physique de l’objet. Il est également issu d’un processus de production. Le déchet résulte de déchié qui vient du verbe déchoir renvoyant à la déchéance, faisant aussi référence à ce qui est rejeté par les êtres vivants et par tout autre système de production (industriel, artisanal, …). Le déchet indique la chute : « choir est dérivé du latin cadere qui signifie tomber, s’écraser, aboutir » (Monsaingeon 2014 p. 26), ce qui gît, suite à un processus de fabrication. Deuxièmement, le déchet doit aussi être entendu comme quelque chose d’abandonné. L’identification d’un déchet renvoie aussi à la notion de propriété.

« Défait ou abandonné, le déchet apparaît comme un objet sans propriétaire, il se situe dans cet entre-deux indéterminé. Aussi, en droit, le terme renvoie toujours à un concept flou, parfois sujet à la controverse » (Monsaingeon 2014 p. 25).

Cette ambiguïté soulève des problèmes de responsabilité. Qui est responsable des déchets ? À qui appartiennent-ils ? En fonction de la réponse donnée, les pratiques de récupération ont des

statuts différents. Par exemple, les récupérateurs de rue pourront dans certains contextes, réaliser leur activité en toute légalité ou de manière informelle.

Cyrille Harpet (1999) propose une lexicographie très complète sur les déchets organisée autour des relations au corps, à la ville et à l’industrie. Il distingue notamment sept familles sémantiques associées à la notion de déchet. Le tableau 1, réalisé à partir des travaux d’Harpet (1999), répertorie les « classes de l’immonde » c’est-à-dire les différentes acceptions du déchet en fonction du contexte d’énonciation. Les mots utilisés pour désigner les externalités des processus techniques relèvent d’un vocabulaire objectif qui s’appuie sur les propriétés de l’objet (débris, éclat, trace, cadavre). Lorsque le contexte d’énonciation fait référence à l’impact sur son espace15, le vocabulaire utilisé est plus subjectif et fait davantage référence à la perception (saleté, usure, repoussoir, décharge).

Tableau 1 : Richesse du registre sémantique des déchets

Contexte d’énonciation des déchets Mot associé à l’idée du déchet

Vocabulaire objectif et technique

Suite à l’extraction de la matière Bris, débris, bouts, éclats Suite à l’affinage des matières brutes Reste, relique, résidu, trace Lorsque le produit est fini Chute, décadence, défaite,

cadavre

Vocabulaire subjectif

Décomposition Ordure, souillure, saleté

Déchets liés à l’usure Détritus, usure

Les déchets de consommation Rebut, repoussant, rebutant, rejet

Présence des déchets dans

l’environnement Décharge, dépotoir, cloaque

Source : Tableau réalisé à partir de la classification des « Classes de l’immonde » par Harpet (1999, p. 55- 60). Notre objet d’analyse se situe donc dans un entre deux : entre le déchet et l’objet. Les objets que nous étudions sont les restes de la consommation. Ils représentent :

« ce dont le système de production n’a plus ou pas besoin, le trop, ce qui est délaissé par manque d’usage, ce qui est périmé et rejeté. Dans le langage de l’économie, cela se nomme les externalités » (Houdayer 2013 p. 63).

Ce sont des objets (de décoration, du quotidien, des vêtements, …) qui ont été utilisés mais qui sont aujourd'hui considérés comme inutiles par ceux qui les détiennent. Les acteurs du

15 Espace est ici considéré comme « un environnement social défini par sa dimension spatiale » (Lévy et Lussault 2013, p. 353).

terrain rencontrés ne désignent pas ces objets comme des déchets, car ils perçoivent immédiatement leur potentiel de valorisation. Ces objets sont des produits de seconde main, d’occasion, des matières récupérables. Le terme déchet est pourtant utilisé dans le réemploi puisque l’activité fait partie des politiques de prévention des déchets. Le réemploi concerne une phase transitoire, où les objets n’ont pas encore le statut de déchet, mais risquent de le devenir. L’objet qui peut être réemployé a été donné par une personne qui voulait s’en débarrasser, il a donc subi un processus de dépréciation, qui le rapproche du statut de déchet, mais son potentiel de valorisation pourrait lui permettre d’éviter de devenir déchet. Le déchet, dans la prévention et la gestion, est donc perçu comme un état transitoire qui s’inscrit dans une dynamique et ne détermine par un état définitif. Les techniques de valorisation (recyclage, compostage, …) permettent aussi au déchet de redevenir une matière.

Nous ferons référence aux déchets lorsque nous parlerons des politiques publiques, pour évaluer les taux de réemploi, c’est-à-dire le taux de déchets évités. Nous parlerons d’objets lorsque nous relaterons les discours des enquêtés. Il semble cependant nécessaire, pour notre analyse d’emprunter également un nom non vernaculaire, qui prend en compte le potentiel de valorisation des presque – déchets. Nous choisissons d’utiliser le mot rebut qui renvoie à la problématique de « l’attraction-répulsion » (Harpet 1999), c’est-à-dire au rapport d’un sujet à un objet.

« Le rebut est […] dans une perspective subjectiviste, ce qui est "rebuté" et non plus ce qui rebute : autrement dit, je "répudie" plus que la chose répudie. Ce ne serait donc plus le rebut qui serait dit repoussant mais le sujet qui serait repoussé, révulsé, rebuté » (ibid. p. 56).

C’est donc le sujet qui décide que l’objet est un rebut, et non la nature de l’objet. Jean Gouhier distingue également l’ordure16 du rebut. La première désigne la puanteur, l’immondice, ce qui reste quand on a tout récupéré. Le second désigne le faux-déchet ou pseudo-déchet, « un bien dont la valeur potentielle n’est pas exprimée dans un système d’évaluation déterminée » (Gouhier 1988 p. 12), mais peut être revalorisé dans un autre système. Les rebuts ou faux-déchets sont abondants dans les sociétés de consommation. Ainsi, le faux-déchet est :

16 L’ordure constitue le déchet ultime, car il ne peut plus faire l’objet d’un réemploi domestique. Il s’agit d’une définition contextuelle du déchet ultime. Plus généralement, les déchets ultimes ne sont plus susceptibles d’être valorisés ou réutilisés dans les conditions techniques et économiques du moment (selon la loi du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets et installations classées pour la protection de l'environnement). Le caractère ultime dépend des innovations technologiques, mais également des contextes socio-spatiaux.

« un bien sans valeur révélée dans un système de références économiques et sociales déterminées variables ; mais une signification positive peut lui être attribuée dans un classement modifié et différent » (ibid. p. 12).

Nous allons ainsi étudier l’évolution des systèmes de références socio-économiques impactant le statut du rebut. C’est en s’appuyant sur les externalités de la production, c’est-à- dire sur les rebuts, qu’une économie parallèle à la production neuve, celle de la récupération et du recyclage, a existé jusqu’à la fin du XIXe siècle (Barles 2005). Aujourd’hui, face à la prolifération des déchets, à leur omniprésence dans nos paysages et par les politiques de développement durable, ces externalités sont à nouveau reconsidérées, le rebut redevient synonyme de valeur et porteur de nouvelles activités de recyclage. C’est donc le rebut qui retiendra ici notre attention et nous nous intéresserons à la possibilité de sa valorisation. Sa valeur dépend d’un système d’évaluation variable dans l’espace et dans le temps.