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Des contextes urbains diversifiés pour étudier les pratiques de réemplo

Section I. Diversité terminologique du rebut

Section 2 : Analyser la prévention des déchets chez les acteurs du réemploi Notre recherche s’inscrit principalement dans un terrain parisien que nous avons mis

I.2.2. Des contextes urbains diversifiés pour étudier les pratiques de réemplo

Alors que les chercheurs sur les déchets comparent souvent des terrains Sud-Sud (Cirelli et Florin 2015; Pierrat 2014; Subrémon et Gouvello 2012) ou Nord-Sud (Desvaux 2017), nous avons choisi de restreindre nos terrains à un espace géographique principal, celui de l’Île-de-France, terrain légitimé notamment par notre source de financement, tout en l’ouvrant à une mise en regard internationale, en prenant l’exemple de la ville de New York où nous avons réalisé un séjour de recherche. Nous allons préciser ici quelles sont les caractéristiques de ces terrains et les spécificités de leurs politiques de prévention des déchets.

I.2.2.1. Une enquête en milieu urbain dense

Dans l’ouvrage de Benelli (et al. 2014), le réemploi est analysé en France, à Milan en Italie, à Berlin en Allemagne, en Suède, au Maroc, au Caire en Égypte et aux États-Unis. Nous avons finalement écarté un terrain européen au profit des États-Unis. Outre un souci de langue dans les pays européens mentionnés ci-dessus, les États-Unis se sont révélés être un terrain fertile pour une mise en perspective de notre sujet. En effet, une organisation de réemploi rattachée au département des affaires culturelles de la ville de New York a directement inspiré une structure de récupération à visée artistique en région Parisienne. Ce projet innovant, financé par la ville de la New York, nous a poussée à enquêter sur le sujet. Aux États-Unis, la ville de San Francisco est particulièrement remarquée pour son objectif Zéro Déchet, mais New York, ville emblématique et mondiale, est nettement moins mise en valeur pour sa politique de prévention et de gestion des déchets. Nous avons voulu en savoir plus. Il s’est avéré que ce terrain est apparu particulièrement fécond, puisque nous avons pu nous appuyer sur des travaux spécialement dédiés aux déchets dans cette ville (Laderman Ukeles 1979; Nagle 2014; Melosi 2005; Fee et Corey 1994; Hiser 2016; Fortuna et Diyamandoglu 2015).

Bien que située dans deux agglomérations disposant de réseaux modernes de gestion de déchets, notre mise en regard nord-nord met en évidence la diversité des politiques de prévention des déchets. Nous avons choisi d’étudier les activités de réemploi dans des espaces urbains denses. En effet, les villes sont des espaces de fortes productions de déchets domestiques puisqu’elles abritent un nombre élevé d’habitants dans un territoire restreint. La densité urbaine rend difficile l’installation d’infrastructures de gestion de déchets à proximité

des habitations. Les installations industrielles telles que les incinérateurs rencontrent de fortes oppositions de la part des riverains (Cirelli et Maccaglia 2015; Rocher 2008).

« Les contraintes d’espace dans les quartiers à forte densité découragent également la fourniture de locaux poubelles idéalement situés et aux dimensions généreuses, ce qui inhibe le tri sélectif des matières recyclables. De plus, le tri sélectif des déchets putrescibles des grands immeubles dans les quartiers denses rend nécessaire une collecte suffisamment fréquente pour assurer la salubrité » (Spertus et al. 2015 p. 165‑166).

Les politiques publiques doivent ainsi prendre en compte les contraintes en matière d’installation de traitement qui rendent d’autant plus nécessaire la réduction des quantités de déchets. Par ailleurs, les espaces de réemploi sont contraints par un prix du foncier très élevé. Nous reviendrons ainsi sur la question du foncier lors de l’analyse de nos résultats, mais nous constatons dès à présent qu’il s’agit d’un enjeu important à même de transformer l’existence, la forme et les fonctions des lieux de réemploi. Nous privilégions donc des terrains urbains denses.

Tableau 2 : Densités urbaines et productions de déchets ménagers dans le Grand Paris et à New York

Métropole du Grand Paris

Ville de New York

Population municipale

(données 2014 pour Paris et 2010 pour NY)

6 999 097 8 175 133

Superficie Km²

(données 2018 pour Paris et NY)

814 785

Densité de population (hab/km²)

(données 2014 pour Paris et 2010 pour NY)

8 596

dont 25 757 à Paris (hors bois)

10 414

dont 26 820 à Manhattan Quantité de déchet ménager kg/hab/an

(données 2015 pour Paris et 2012 pour NY)

435 DMA34 340 Résidential Agregate Discard35

Source : F. Rassat à partir des données de l’INSEE et du Census Bureau. L’année 2010 correspond au dernier recensement de la population effectué à New York par le Census Bureau (prochain : 2020).

Les périmètres de nos terrains sont sélectionnés en fonction des superficies, des densités et des structures administratives. Le territoire de la municipalité de New York s’étend sur 785 km² et peut être comparé aux 814 km² de la Métropole du Grand Paris (tableau 2).

34 DMA = Déchets ménagers et assimilés

35 Selon le NYC Waste Characterization, 2017, de NYC Department of Sanitation, en 2017, chaque foyer (household) produit 1 987.8 lbs/yr (livres par an). En prenant en compte qu’un foyer (household) correspond à une moyenne de 2,65 personnes à New York City (selon le US Census Bureau), chaque habitant produit 750 lbs/yr soit 340 kg/an. Toutefois, ces chiffres sont à relativiser car la catégorisation des Residential Agregate

Discard ne prend pas en compte les déchets d’activités économiques collectés par le service public comme dans

Ces deux espaces géographiques comportent des territoires différenciés. Manhattan et Paris intra-muros sont des espaces de haute densité de population, par rapport aux autres quartiers. Du point de vue de la morphologie urbaine, il est donc intéressant de choisir ces périmètres. En revanche, les échelles de planification et de gestion des déchets diffèrent entre les deux métropoles, conséquences de constructions et d’organisation territoriales spécifiques et internes à chaque pays.

I.2.2.2. Grand Paris et New York : des orientations politiques convergentes sur la prévention des déchets

Les politiques publiques de planification, de gestion et de prévention des déchets en région parisienne et new-yorkaise dépendent en effet en partie de la construction administrative et urbanistique des territoires.

La municipalité de New York réunit cinq boroughs, suite à l’adoption du projet de fusion du Grand New York en 1898 (Heffer 2009). Le Department of Street Cleaning, fondé en 1881, est l’ancêtre de l’actuel Department of Sanitation (DSNY). L’organisation générale de la gestion des déchets est unifiée à l’échelle de la ville depuis longtemps.

À l’inverse, sur le plan administratif, la compétence déchets (traitement et collecte) des communes du Grand Paris a évolué récemment. Depuis la loi NOTRE36 en 2015, cette compétence revient à l’intercommunalité. Les douze établissements publics territoriaux (EPT) du Grand Paris disposent de la compétence déchets et traitements et peuvent l’appliquer différemment selon les territoires. La région Île-de-France joue un rôle important dans la planification de la réduction des déchets devant être pris en compte par l’ensemble des collectivités qui la composent. Les installations de traitements peuvent être communes à plusieurs intercommunalités regroupées au sein d’un syndicat. La question des déchets du Grand Paris se pose ainsi à plusieurs échelles.

Malgré leurs organisations territoriales différentes, les politiques de prévention des déchets du Grand Paris et de New York convergent vers un objectif commun : diminuer la quantité de déchets.

En région parisienne, ces politiques de prévention sont principalement lancées en 2009. La région Île-de-France élabore un Plan de réduction des déchets d’Île-de-

France (PREDIF) qui a pour objectif de créer une dynamique régionale de réduction des

déchets en accompagnant les collectivités à la mise en place de plans locaux de prévention et de valoriser l’exemplarité de l’institution régionale. L’ADEME signe avec les collectivités territoriales des conventions pour accompagner financièrement la mise en place de

Programmes locaux de prévention des déchets (PLPD). Les PLPD sont obligatoires depuis le

1er janvier 2012 pour toutes les collectivités territoriales disposant de la compétence déchets (art. L541-15-1 du code de l’environnement). Ces plans comportent des objectifs de prévention des déchets, prévoient les actions à encourager, ainsi que les moyens financiers disponibles. Chaque PLPD est différent, car la collectivité est libre de choisir les moyens de prévention parmi cinq thématiques (sensibilisation des citoyens à l’écoresponsabilité, action d’éco-exemplarité de la collectivité, actions emblématiques nationales (compostage, stop pub), actions d’évitement de production de déchets, actions de prévention quantitative des déchets des entreprises). Les douze établissements publics du Grand Paris peuvent promouvoir par le biais de leur PLPD des actions de prévention différentes. À l’instar de New York, certains favorisent le compostage et expérimentent la collecte des biodéchets dans les quartiers. D’autres, comme la Ville de Paris, communiquent autour de l’ouverture « d’une ressourcerie par arrondissement »37.

Depuis ces premières initiatives de prévention des déchets, les politiques des collectivités territoriales cherchent à s’intégrer dans un domaine d’action plus global, celui de l’économie circulaire. Cette tendance s’inscrit dans la continuité des mesures de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire et au niveau national par la loi TECV38. Le

Livre blanc de l’économie circulaire du Grand Paris, élaboré en 2015 témoigne de la volonté

de dépasser le seul cadre du secteur des déchets. Dans son prolongement, le Plan Économie

Circulaire de la ville de Paris adopté en 2017 expose des actions transversales s’appuyant sur

plusieurs services et documents d’urbanisme obligatoire. La politique de prévention des déchets semble donc être de plus en plus intégrée et transversale. Dans le même élan, les appels à projets « Territoires zéro déchet, zéro gaspillage » lancés en 2014 et 2015 par le Ministère de l’Environnement et portés par l’ADEME sont d’autres outils de prévention. Ils accompagnent les collectivités territoriales lauréates dans une démarche d’économie circulaire 37 Selon la politique de communication de la Ville de Paris, 2016.

en mettant à disposition l’expertise technique de l’ADEME, un soutien financier pour l’animation de la démarche et des aides à l’investissement pendant trois ans. Plus de cent territoires ont été désignés en France et parmi eux la ville de Paris et l’établissement public territorial Est Ensemble qui ont mis en place un Contrat Objectif Déchets et Économie Circulaire (CODEC).

Dans ce cadre, le potentiel de développement du secteur du réemploi reste très important. En effet, la part du réemploi est actuellement très limitée en France. Les 37 750 000 tonnes de DMA (Déchets Ménagers et Assimilés) estimés par an contiennent 9 300 000 tonnes de biens arrivant en fin de vie soit 24,64 % des DMA (en bleu sur la figure 6). Au sein des DMA, seuls 2,49 % sont effectivement réemployés dont 79,87 % par le secteur de l’occasion et 20,13 % par l’ESS. Globalement, sur l’ensemble des DMA, le secteur de l’occasion réemploie 1,99 % des DMA et le secteur de l’ESS 0,5 % des DMA. Les DMA sont donc aujourd’hui très faiblement réemployés et le potentiel de réemploi, notamment par l’ESS, est considérable puisque 22,15 % des DMA pourraient être réemployés. Le réemploi est aujourd’hui limité mais est amené à se développer, notamment par les politiques de prévention.

Figure 7: Part des biens réemployés et du secteur de l'ESS en France

À New York, les actions de prévention des déchets restent relativement sectorielles. La ville dispose également d’une politique zéro déchet portée par le DSNY, qui n’a cependant par le même sens qu’en France. En effet, la ville ne dispose pas de centre de valorisation énergétique et envoie la plupart des déchets dans les centres d’enfouissement des autres États du pays. La politique zéro déchet a pour principal objectif de supprimer à moyen terme la mise en décharge des déchets ménagers. Cette ambition se traduit par une amélioration du service de gestion de recyclage et le développement de la collecte des déchets compostables. Par exemple, jusqu’en 2010, les déchets électroniques sont principalement pris en charge par la ville de New York, qui assure leur recyclage ou élimination. Depuis le New York State

Electronic Equipment Recyling and Reuse Act du 28 mai 2010, les fabricants sont obligés de

prendre en charge ou de financer des programmes de collecte et de recyclage des déchets électroniques dans l’État de New York, permettant de fournir un service gratuit de collecte pour les entreprises et les consommateurs. Pour les déchets compostables, plusieurs expérimentations étaient en cours en 2015 (collectes de quartier gérées par le DSNY ou déléguées à des associations locales).

À ce jour, il n'y pas de politique locale spécifiquement dédiée au réemploi à New York ni à l’échelle étatique ou fédérale. Les mesures de prévention des déchets s’illustrent notamment par la résolution (No. 999-A du New York City Council) de 2011 qui autorise les services administratifs de la ville à donner les fournitures de bureau (principalement des ordinateurs) à des institutions publiques et privées du secteur de l’éducation, et aux structures caritatives. Le DSNY, en partenariat avec le Grove School of Engineering of the City College de l’Université de New York (CUNY), a créé un site internet de mise en relation des habitants avec des structures de réemploi, une plate-forme professionnelle d’échange d’objets et un programme d’analyse des impacts des structures de réemploi sur la gestion des déchets. Ces initiatives témoignent d’un rapprochement des politiques de gestion des déchets avec les activités de réemploi, traditionnellement non rattachées à ce secteur. Elles déboucheront peut- être, d’ici quelques années, sur des textes législatifs sur le réemploi. En 2018, par exemple, l’État de New York cherche à voter une loi obligeant les fabricants à fournir des pièces et des informations pour la réparation des objets électroniques. Ce « Right to Repair » est encore en débat en 2018 et se heurte aux puissants lobbys des constructeurs39.

39 Senate Bill S618B en discussion au sein des Comité du New York State Senate, le 10 avril 2018. https://www.nysenate.gov/legislation/bills/2017/s618/amendment/b, consulté le 10 avril 2018.

I.2.3. L’essor du secteur du réemploi pour répondre aux enjeux de prévention