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l’échelle locale

Carte 8: Les recycleries dans la mosaïque sociale parisienne

151 Trois associations (dans le 17e, 18e et 11e) se situent dans des territoires de mixité sociale95. « On y trouve, tout à la fois, une part importante de cadres et une part élevée d’allocataires dépendants des prestations sociales à plus de 75% de leurs revenus »(Insee Île- de-France 2017, p. 2). Cinq recycleries (Arcueil, Ivry-sur-Seine, Montreuil, Paris 13e et 17e) se situent dans des territoires de classes moyennes96. L’IRIS dans lequel ils se situent jouxte des territoires vulnérables qui accueillent en majorité de personnes socialement et économiquement défavorisées. Dans ces territoires vulnérables :

« On y rencontre aussi une forte proportion d’ouvriers. La part des ménages bénéficiant de prestations sociales est deux fois plus élevée que la moyenne parisienne, tout comme celle des allocations à bas revenus ou celle des bénéficiaires d’allocations logements. Dans ces territoires, les logements sociaux sont très présents » (ibid. p. 3).

La ressourcerie du 14e se situe dans un environnement particulier, sur un site accueillant en centre d’hébergement des personnes très vulnérables (sans-papier, sans domicile). Ce microcosme local, non pris en compte sur la carte, crée une forte mixité sociale favorable à la circulation des objets, au sein d’un territoire aisé. Aucune recyclerie généraliste ne s’est installée dans un territoire aisé du 16e, 6e, 7e ou 8e arrondissements de Paris, même si certaines associations vont y faire des collectes à domicile. L’homogénéité sociale et économique de la population de ces quartiers ne semble pas favorable à la circulation des objets et ne semble pas attirer les porteurs de projet.

Le tissu social parisien complexe, fait de fortes disparités sociales, permet aux recycleries généralistes de capter un public très hétérogène à une échelle réduite (de l’IRIS). Leur implantation permet de se situer à proximité de populations de classe moyenne susceptibles de donner des objets de qualité et de personnes plus précaires pouvant être intéressées par l’offre d’objets d’occasion.

Toutefois, si la population tend à être trop homogène, les structures de réemploi cherchent à diversifier leurs moyens de collecte et de revente. Par exemple, pour renforcer la diversité socio-économique des donneurs et acheteurs, certaines associations créent des systèmes de récupération (boîte à dons) et de revente (par internet) pour contourner les limites

95 Ce sont des quartiers où le niveau de vie médian est de 26 100€ par an et un taux de pauvreté de 16%. Pour plus de détails, voir annexe 7.

96 Les habitants y ont un niveau de vie de 20 300€ en moyenne par an, un peu plus faible que celui de Paris. Le taux de pauvreté est de 20% contre 16% pour l’ensemble de la capitale.

152 de l’attraction par la proximité géographique. Par exemple, une recyclerie du 19e arrondissement fonctionne par Point Relais ce qui permet de collecter dans des quartiers plus favorisés et de contourner les limites de la collecte de proximité. L’association a créé des partenariats avec des entreprises et des commerçants qui collectent bénévolement dans leurs locaux des objets (petits dons : vaisselle, bibelots, livres, jouets, petit électroménager, textile) et les stockent. Les dons sont ensuite collectés par les salariés en insertion et revendus dans leurs espaces de vente dédiés du 19e arrondissement. Ce dispositif permet ainsi à l’association, basée au nord de Paris, de collecter des dons dans tous les quartiers parisiens. Les emplacements sont choisis stratégiquement par rapport à des quartiers de donneurs potentiels et doivent tenir compte de la répartition des territoires de collecte des autres recycleries du réseau.

Par ailleurs, internet est de plus en plus utilisé par les associations pour revendre les objets. En 2016, Label Emmaüs, Société coopérative d’intérêt collectif, est créée pour administrer un site internet multi-vendeurs pour plusieurs communautés Emmaüs de France qui peuvent ainsi vendre leurs objets au-delà de leur territoire d’implantation et contourner les conséquences de leur attraction principalement locale.

Les territoires de collecte sont donc principalement déterminés par l’emplacement de la structure, sauf en cas de mise en place de systèmes complémentaires (caisson, collecte à domicile). Pour autant, deux recycleries généralistes situées de façon relativement proche l’une de l’autre ne se feront pas forcément concurrence pour les collectes car les gisements de rebuts sont très importants, la densité des structures de réemploi ne répondant pas encore à la demande.

III.3.2.2. Vers une complémentarité entre circuits associatifs et professionnels du réemploi à définir

Au-delà des outils utilisés pour dépasser l’attraction essentiellement locale des structures, nous cherchons également à déterminer si ces associations réussissent à s’intégrer dans des circuits professionnels de réemploi des objets. Pour cela, nous nous sommes intéressée à divers acteurs de la récupération, fripiers et brocanteurs notamment, susceptibles d’interagir avec une structure de réemploi située à proximité de leur boutique. Notre enquête exploratoire dans le 18e arrondissement de Paris nous permet de comprendre comment les

153 recycleries interagissent avec ces acteurs de l’occasion. Existe-t-il, là aussi, une circulation des produits entre les professionnels à l’échelle du quartier ? Nous proposons ici une analyse des flux d’objets entrants et sortants chez trois types d’acteurs rencontrés dans l’arrondissement : les brocanteurs, les fripiers et des structures associatives.

Comparer les associations et les brocanteurs et fripiers ne va pas de soi. Les deux groupes s’inscrivent dans deux logiques différentes : structures caritatives de l’économie sociale et solidaire sans but lucratif d’une part, professionnels-entrepreneurs cherchant à maximiser les profits de la revente d’objets d’autre part. Toutefois, dans cette sous-partie, nous analyserons uniquement leurs pratiques de récupération et les flux d’objets qu’ils captent et échangent. Les brocanteurs ont plusieurs modes d’acquisition des objets. Ils achètent des meubles chez des particuliers, dans des salles de ventes97 ou chez d’autres brocanteurs en réalisant une plus-value à la revente. Certaines de leurs activités de valorisation peuvent ainsi s’apparenter aux pratiques de réemploi des recycleries, même si les objectifs finaux sont très différents.

Nous avons constaté que la circulation des objets entre marchands d’occasion et associations existe et certains objets de faible valeur peuvent aussi bien se retrouver chez un brocanteur qui débarrasse un appartement, ou chez une association, en fonction des préférences des donneurs. Les brocanteurs chinent dans des structures associatives dans lesquelles parfois, ils trouvent des objets de valeur à faible prix. Certains brocanteurs interrogés donnent également à la recyclerie de leur quartier des objets qu’ils estiment non vendables dans leur boutique et collectés dans le cadre d’un débarras98. Il y a donc une circulation d’objets entre les différents acteurs.

Les brocanteurs99 rencontrés disposent de petites boutiques de quartier et attirent principalement une clientèle locale comme les associations. Les objets circulent donc en partie à l’échelle locale. Ils passent de main en main, des habitants du voisinage vers la boutique du brocanteur puis vers les acheteurs du quartier ou associations locales. La

97 Dans nos entretiens, les salles de ventes citées sont celles de Drouot situées 9, rue Drouot, Paris 9e arrondissement et 21, rue d’Oran, Paris 18e arrondissement.

98 En effet, lors de la collecte, les brocanteurs distinguent les objets de valeur qu’ils peuvent revendre en boutique, de la « drouille ». Celle-ci désigne les objets de peu de valeur collectés en même temps que les biens de qualité lors d’un débarras d’appartement.

99 Il s’agit de brocanteurs de quartier qui ne s’inscrivent pas forcément dans des rues connues pour la chine. Les brocanteurs des Puces ou de quartiers connus pour cette activité attirent une clientèle beaucoup plus large que celle du quartier.

154 proximité géographique encourage les échanges d’objets à l’échelle du quartier voire de l’arrondissement. Cependant, plus l’objet dispose d’un potentiel de valorisation mercantile élevé, plus sa mobilité est forte. En effet, les brocanteurs sont à la recherche d’objets à revendre. Pour cela, ils n’hésitent pas à chiner en dehors du quartier, dans les salles de vente, chez les autres brocanteurs, lors de ventes professionnelles en région et dans des associations.

À la différence des objets, les textiles ne circulent pas de la même manière à l’échelle d’un quartier. Ils relèvent à la fois du réemploi et du recyclage. Ils peuvent être collectés par des associations (recycleries, œuvres caritatives, …) qui revendent une partie dans leurs boutiques et en distribuent gratuitement aux plus démunis par le biais des vestiaires. Leur surplus est confié à des collecteurs privés de textiles ou de l’économie sociale et solidaire comme le Relais (structure d’insertion du réseau Emmaüs). Ces collecteurs de textiles, qui peuvent également collecter directement dans la rue par point d’apport volontaire, trient les textiles dans des entrepôts situés en zone industrielle. Une partie des textiles est destinée au réemploi, en France et surtout à l’étranger, et une autre partie est recyclée ou transformée en chiffons pour l’industrie. Les fripiers, très présents dans le sud du 18e arrondissement dans le secteur touristique de Montmartre achètent quelques vêtements à des gens du quartier. Ceux spécialisés dans les vêtements hauts de gamme chinent également chez d’autres brocanteurs et dans les salles de vente. Cependant, la majorité se fournit auprès de grossistes dont les lots proviennent du monde entier. Les fripes américaines et nord européennes sont particulièrement prisées par la clientèle de ces boutiques.

La clientèle des friperies n’est pas forcément locale. Les boutiques attirent les touristes et une clientèle de la région parisienne venus dans le quartier pour les friperies, les magasins de vêtements dégriffés et les boutiques de tissu situés au pied de la butte Montmartre. Les territoires de récupération, d’achat et de revente de vêtements et textile ne se situent donc pas à l’échelle locale. À la différence du réemploi des objets, principalement local à l’échelle de quelques quartiers voire d’une ville, le réemploi du textile est mondialisé.

À l’exception du textile, le terrain exploratoire dans le 18e arrondissement a mis en évidence les circuits de réemploi existant entre professionnels et associations. La proximité géographique encourage la circulation d’objets entre brocanteurs et associations installés dans des quartiers limitrophes. Au-delà des acteurs du réemploi, la proximité participe également à la structuration de services liés au réemploi (prêt de matériel, livraison, sensibilisation à la

155 prévention des déchets,). En effet, les ressourceries n’hésitent pas à collaborer avec d’autres acteurs situés dans leur voisinage.

Par exemple, sur le site de la ressourcerie R4, la proximité géographique a permis de mettre en place des collaborations et des synergies entre acteurs comme le montre le schéma (figure 19)

Figure 18:Des synergies collectives motivées par la proximité géographique

Cette ressourcerie échange des biens et des services avec d’autres associations et entreprises du site (voir schéma ci-dessous). Elle collabore avec d’autres structures soit pour échanger des objets ou pour proposer des services. Par exemple, grâce à sa collaboration avec une association d’insertion de déménageurs, la ressourcerie propose une livraison à domicile. La proximité géographique a permis de développer :

« une sorte de réseau avec d’autres associations du site qui ont de vrais besoins d’équipements pour les logements et foyers. Par exemple, un canapé monumental vraiment plus dans l’air du temps, invendable, mais de qualité, pour un usage collectif c’était parfait […] Ce sont des réseaux qui se font localement » (Rebecca, R4).

En dehors du contexte particulier d’un site d’occupation temporaire dans lequel s’est installée la ressourcerie R4, le schéma ci-dessus, peut aisément être adapté à l’échelle du

156 quartier, ou la structure de réemploi s’associe à d’autres acteurs du territoire afin d’échanger des compétences, des savoirs faire et des objets, et de développer des circuits de valorisation des objets territorialisés à l’échelle locale.

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Conclusion chapitre III : des lieux de réemploi ancrés dans les quartiers

Ce chapitre montre l’intérêt d’appréhender le réemploi via une analyse des proximités. Celle-ci peut se traduire géographiquement : à l’échelle locale, du quartier où se met en place des circuits de réemploi. Les recycleries tissent des liens, échangent des objets et des services avec des structures de proximité. Les rapports entre les différents acteurs du territoire (recycleries, associations caritatives, professionnels de l’occasion, entreprises locales, habitants, …) se matérialisent par les échanges d’objets et de services. Les relations entre ces acteurs, leur interconnaissance et le fait qu’ils partagent un même espace de vie (le quartier) participent à la fabrique de territoires de revalorisation des rebuts ancrés à l’échelle locale. Cette approche par les proximités amène ainsi à interroger la place de l’action des habitants et des groupes sociaux dans la prise en charge des rebuts, et plus généralement dans la relation avec l’environnement urbain. Il conviendra dans la partie 3 de qualifier à partir de cette analyse des relationnels le rôle de ces acteurs dans la fabrique de la ville.

Par ailleurs, nous avons constaté que les recycleries, lieux de concentration des rebuts, sont situées au cœur des quartiers, proches des habitations alors même que les autres lieux de gestion des déchets (déchèteries, centres de tri sélectif, incinérateurs) restent généralement relégués en périphérie des villes ou en zone industrielle comme le montre la mise en perspective historique de la section 1. Il conviendra donc dans le chapitre IV de déterminer pourquoi et comment la proximité avec les recycleries est acceptée par les habitants alors qu’il s’agit de lieux de concentration des rebuts. Nous tenterons de caractériser ce renversement du rapport aux rebuts en recyclerie.

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CHAPITRE IV : LES RECYCLERIES : DES LIEUX DE