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Section I. Diversité terminologique du rebut

I.1.4. Une pluralité de lieux dédiés aux rebuts

Certains termes permettent également de qualifier les lieux dédiés ou marqués par les déchets. Nous présentons ici quelques mots qui seront repris dans la suite de notre travail. Comme les décharges désignés « lieux de l’ordure » (Pierrat 2014), les lieux des rebuts sont le fruit des relations entre des acteurs, une portion d’espace, un processus (récupération, valorisation) autour d’un objet (le rebut)24. Ces lieux sont de formes diverses, constituant des lieux de ventes à haute valeur ajoutée du secteur marchand (brocante, marché aux Puces, friperie), des moments d’échanges informels qui relèvent de relations commerciales domestiques (garages sales, car boot sales et vide-greniers) ou des boutiques associatives à vocation sociale et solidaire (recyclerie, charity shops, thrift shops …). Leur traduction ne va pas forcément de soi, car certains désignent des manifestations qui ne prennent place que dans un contexte culturel et géographique particulier. Nous revenons ici sur certains termes issus de travaux sur lesquels nous nous appuierons dans la suite de notre travail.

Certaines activités sont temporaires comme les garage sales (littéralement vente de garage), des évènements informels et ponctuels destinés à la vente de biens usagés à proximité d’une résidence privée. Les vendeurs sont des particuliers qui ne sont pas taxés sur leur vente et revendent des biens accumulés chez eux ou collectés chez des proches. Ils se sont développés face à l’essor de la société de consommation et de la périurbanisation à partir des années 1930 (Ortar 2017). Ils sont fréquents en Amérique du Nord et tendent à se développer en France. Au Royaume-Uni, des évènements assez similaires sont nommés car boot sales (Gregson et al. 2013), où des particuliers vendent les objets de consommation dont ils ne se servent plus, à l’origine, en les sortant du coffre de leur voiture. À la différence des garage

sales, les car boot sales sont organisées sur des terrains à usage collectif (parc, école), où il

23 Repair Café : lieu de remise à neuf et de maintenance d’objets électroniques, petit électroménager voire objets en bois et textile. Ces lieux sont la plupart du temps éphémères, organisés sur une journée, par des bénévoles. 24 L’approche par les lieux et l’analyse des lieux de réemploi seront développées par la suite.

faut payer un droit d’installation et peuvent ainsi se rapprocher des vide-greniers en France ou des « marchés à réderies »25 dans la Somme (Debary et Tellier 2004).

Dans le secteur de l’occasion, au-delà des lieux temporaires (vide-greniers, brocantes sur les trottoirs), des lieux de commerces d’occasion sont installés de manière pérenne, formant des marchés aux Puces (Porte de Saint Ouen à Paris) ou des commerces de rue (brocanteurs). Ce sont des lieux de revalorisation dans le sens où un objet chiné va bénéficier d’une requalification symbolique lors de la revente. Ces objets déchus sont en cours de réhabilitation. Toutefois et nous y reviendrons par la suite, le secteur de l’occasion à visée uniquement lucrative se distingue de celui de l’économie sociale et solidaire, dans lequel se trouvent des lieux de réemploi issus de réseaux spécialisés, les œuvres caritatives et d’insertion.

En France, les structures les plus connues de récupération et revente à visée non lucrative sont issues du groupement Emmaüs. Elles partagent une vision commune, de solidarité et d’accueil qui s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de l’Abbé Pierre. Les boutiques d’occasion d’Emmaüs sont souvent appelées « bric-à-brac » pour souligner le caractère hétéroclite de la marchandise de seconde main revendue. Les boutiques Emmaüs s’inscrivent d’abord dans une optique sociale et non dans un but de prévention des déchets. Les œuvres caritatives s’inscrivent dans la même dynamique, utilisant le réemploi à des fins sociales. L’activité de réemploi crée des postes souvent occupés par des personnes en grande difficulté et constitue une source de revenus utilisée pour les œuvres sociales des associations. D’autres structures de réemploi davantage orientées vers la réduction des déchets existent. Elles sont notamment appelées recyclerie ou ressourcerie, expressions qui semblent trouver leurs origines au Québec. Dans les années 1990, plusieurs groupes de citoyens opposés à l’installation de nouveaux incinérateurs sur le territoire du Canada se réunissent en collectif : le FCQGED (Front Commun Québécois pour une Gestion Écologique des Déchets). Ils prônent une gestion écologique et démocratique des déchets-ressources. Selon eux, chaque personne est concernée par les déchets et doit ainsi pouvoir participer aux décisions et actions concernant leur gestion à l’échelle locale. La coalition Action Re-buts à Montréal, organisation à but non lucratif faisant partie du FCQGED, s’oppose à la création d’un 25 « Les marchés à réderies sont apparus dans la Somme au cours du XIXe siècle. […] En 1888, un acte administratif qualifie cette manifestation de “marché dit à la Réderie qui consiste en la mise en vente de vieux objets, tels que ferraille, meubles, livres, etc., d’oiseaux et de lapins pour amateurs” [arrêtés municipaux du 16 juin 1814 et du 10 avril 1888]. […] Le terme réderie désigne un objet usagé au point de n’être presque plus rien; un objet devenu peu de chose » (Debary et Tellier 2004, §4-5)

incinérateur dans l’est de Montréal. Dans ce contexte, elle cherche à créer à l’échelle locale de nouvelles initiatives visant à l’appropriation collective de la problématique et permettant de communiquer sur la question sociale des déchets. Re-buts propose ainsi la ressourcerie :

« Conçue en opposition et comme alternative aux “déchetteries” proposées par la Ville de Montréal dans son plan de gestion, la ressourcerie transforme radicalement l’approche préconisée par celle-ci dans la gestion actuelle des déchets. Le projet vise en priorité un traitement communautaire et écologique des déchets plutôt qu’un traitement centralisé et régional. En effet, la ressourcerie est une entreprise socio-économique basée sur les 3R. Elle est fondée sur l’éducation, la sensibilisation et la recherche sur la réduction, propose des programmes d’emplois visant à réparer et à revendre différents objets (la réutilisation), crée des emplois communautaires reliés au recyclage et au compostage, et développe différents programmes d’entraide visant les commerces, les institutions et les entreprises d’une communauté » (Séguin et

al. 1999 p. 71‑72).

Le concept de ressourcerie sera repris par des associations de récupération des objets en France, suite à un voyage associatif au Québec. Il sera ensuite labellisé en France par le Réseau des Ressourceries, une association nationale regroupant des associations adhérentes à une charte des valeurs et principes permettant d’accéder à la labellisation. Le Réseau des Ressourcerie définit le concept par quatre fonctions :

- La collecte séparative des déchets encombrants et des déchets d’activités économiques,

- La valorisation (nettoyage, réparation en vue du réemploi) ou étape de démantèlement des objets non réutilisables pour les envoyer en filière de recyclage,

- La revente directe à faible prix, - La sensibilisation à l’environnement.

Le Réseau Francilien du Réemploi (REFER) utilise le terme recyclerie pour désigner les lieux de réemploi spécialisés. Ils désignent par ressourceries les lieux de réemploi généralistes qui répondent aux quatre critères ci-dessus. L’ADEME proposera d’utiliser le terme de recyclerie pour désigner les associations exerçant la même activité hors du label. Par commodité, nous utiliserons de manière générique recyclerie pour désigner l’ensemble des lieux de réemploi sauf lorsque la distinction entre les structures généralistes et spécialisées sera nécessaire.

En anglais, les structures de réemploi à vocation sociale sont appelées thrift shops (boutique d’occasion, d’aubaine) ou charity shops (boutique d’occasion dont les bénéfices sont versés à des œuvres sociales). Les bénéfices liés à la vente des objets permettent de

développer l’activité d’insertion, ou de financer des activités à vocation sociale et solidaire. Les charity shops ne se consacrent initialement pas à la prévention des déchets. Comme le réseau Emmaüs en France et les œuvres caritatives, elles ont d’abord pour objectif d’aider les personnes les plus vulnérables.

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En conclusion, les recherches sur la récupération montrent une pluralité de termes qui décrivent chacun une réalité sociale particulière s’inscrivant dans des contextes spécifiques. Un objet peut être considéré comme un rebut, un déchet ou une matière valorisable en fonction des contextes sociaux, historiques, économiques et du lieu où il se situe. La diversité des structures de réemploi soulève de nombreuses questions. Y-a-t-il réellement des différences de pratique entre ces structures ? Pourquoi certaines se sont-elles emparées de la problématique de la prévention des déchets ? Ces questions seront au cœur de notre thèse et nous nous attacherons à y répondre lors de notre analyse par une enquête réalisée en Île-de- France et une mise en perspective dans un autre contexte, à New-York, qui permettra de souligner les spécificités françaises nationales et la circulation des expériences de récupération. Au cours de notre travail, nous montrerons qu’il est nécessaire de s’appuyer sur la diversité lexicale liée à la récupération pour analyser nos terrains.

Section 2 : Analyser la prévention des déchets chez les acteurs du réemploi