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Section I. Diversité terminologique du rebut

Section 2 : Analyser la prévention des déchets chez les acteurs du réemploi Notre recherche s’inscrit principalement dans un terrain parisien que nous avons mis

I.2.1. L'émergence de la notion de prévention des déchets

« La prévention désigne toutes mesures prises avant qu’une substance, une matière ou un produit ne deviennent un déchet, lorsque ces mesures concourent à la réduction d’au moins un des items suivants :

- la quantité de déchets générés, y compris par l’intermédiaire du réemploi ou de la prolongation de la durée d’usage des substances, matières ou produits, - les effets nocifs des déchets produits sur l’environnement et la santé humaine, - la teneur en substances nocives pour l’environnement et la santé humaine dans les substances, matières ou produits » (ADEME 2016 p. 10).

La prévention permet d’anticiper une atteinte à l’environnement à la différence du principe de pollueur-payeur qui vise à réparer les dégâts commis. Le risque est connu et il est anticipé afin d’être évité. Dans le domaine des déchets, la prévention est mise en œuvre à travers des objectifs de réduction de la production de déchets et de limitation de leur nocivité. Les notions de prévention et de gestion des déchets en France comme aux États-Unis doivent être distinguées, comme nous le montre ce schéma.

Figure 5: La prévention au sein du cycle de vie d'un produit

Source : ADEME, [en ligne] https://ile-de-france.ademe.fr/domaines-dintervention/dechets/contexte, consulté le 18/08/2017

Sur la figure 5, la prévention des déchets couvre l’ensemble des étapes de production et consommation d’un produit avant qu’il n'acquiert le statut de déchet. Une fois qu’il est considéré comme un déchet, l’objet ou la matière est pris en charge par le système de gestion qui correspond à la collecte, le recyclage ou d’autres moyens de valorisation (compostage, incinération, …). La prévention des déchets n’a donc pas pour sujet le déchet, mais un objet qui devient, au cours de son processus de consommation un rebut. Le réemploi est la dernière phase avant la gestion des déchets, il constitue l’ultime possibilité d’éviter le passage du rebut au déchet, grâce à la mise en place de flux détournés permettant de réintroduire le rebut dans le système de consommation.

La prévention est inscrite dans la législation européenne et française. La loi cadre de juillet 197526 relative à l’élimination de déchets et à la récupération des matériaux est adopté le même jour que la directive européenne relative aux déchets. Cette loi a pour objectif de prévenir ou réduire la production et la nocivité des déchets, en agissant notamment sur la fabrication et sur la distribution des produits. Elle cherche à limiter le transport des déchets en distance et volume. Elle mentionne également la nécessité de valoriser les actions visant à obtenir, à partir des déchets, des matériaux réutilisables et de l’énergie, et à réduire les quantités de déchets produits. Cette loi sera successivement complétée notamment par la loi

26 « La loi de 1975 a été successivement complétée par celle du 1 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets et aux installations classées pour la protection de l'environnement, la loi Barnier du 2 février 1995, la loi du 27 février 2002 "démocratie et proximité", la loi Bachelot du 30 juillet 2003 et l’ordonnance du 8 septembre 2005 portant simplification en matière d’ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) et d’élimination des déchets » (Van Lang 2016 p. 504).

du 13 juillet 1992 qui interdit entre autres, la mise en décharge à partir de 2002 de tout matériau pouvant être valorisé.

Dès 1991, une hiérarchie des modes de gestion est introduite par la directive européenne n° 91/156/CEE qui préconise en premier lieu la prévention ou la réduction de la production des déchets et leur nocivité. Il s’agit principalement d’encourager les procédés techniques visant à réduire la production de déchets et l’utilisation de ressources naturelles afin de limiter leur impact environnemental. Toutefois, dans les années 1990, les politiques publiques sur les déchets insistent plus sur le recyclage que sur la prévention. Les actions passent d’abord par l’apparition de nouveaux acteurs, notamment les éco-organismes qui encouragent le recyclage et cherchent à limiter l’impact de la production de biens sur l’environnement. En effet, les industriels de certains secteurs ont pour obligation de prendre en charge la gestion de la fin de vie de leur produit, sur le principe du pollueur-payeur pensé en termes de cycle de vie d’un produit. Les filières REP (Responsabilité Elargie des Entreprises) sont créées et peuvent fonctionner de deux façons. D’une part, les producteurs développent leur propre filière de collecte et de traitement à travers un éco-organisme organisationnel qui contractualise avec des prestataires de collecte et de traitement. Des acteurs de l’économie sociale et solidaire peuvent alors contractuellement travailler avec ces éco-organismes notamment en tant qu’opérateur de tri27. D’autre part, les producteurs peuvent déléguer leur mission à un éco-organisme contributif ou financier agréé par l’État. Cet éco- organisme récolte les contributions des producteurs et les reverse aux collectivités locales qui assurent la collecte et le tri des déchets. Les filières REP se sont principalement développées à partir de 1993 en France avec la création d’Éco-emballage, puis se sont étendues à d’autres secteurs (déchets électriques et électroniques en 2006, textile en 2007, déchets d’ameublement en 2012).

Dans les années 2000, l’Union Européenne cherche à prendre en compte les enjeux du développement durable dans un contexte d’élargissement de l’Union. En effet, les systèmes de gestion des déchets des nouveaux pays membres sont pour certains largement en dessous des objectifs de valorisation en envoyant la quasi-totalité des déchets en décharge. C’est ainsi que la Commission Européenne adopte le 21 décembre 2005 une communication intitulée « Mise en œuvre de l’utilisation durable des ressources : la stratégie thématique pour la

27 Dans la filière textile par exemple, l’éco-organisme Eco-TLC conventionne avec des opérateurs de tri tels que les entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire, comme Le Relais, qui participe au réemploi des textiles.

prévention et le recyclage des déchets »28 dont résulte la directive cadre sur les déchets du 19 novembre 200829. Celle-ci reprend la notion de prévention déjà présente dans les textes législatifs30 et en fait la priorité pour tous les États Membres. La hiérarchie des modes de gestion des déchets s’articule autour de la:

a) prévention (réduction à la source, réemploi, …); c) recyclage et la valorisation organique ;

d) autre valorisation, notamment valorisation énergétique ; e) élimination » (dir. 2008 n°98 du 19 novembre 2008).

L’objectif est de tendre vers une société du recyclage et de la récupération même si dans les faits, cette hiérarchie n’est pas aussi stricte et de nombreux aménagements sont prévus. Le texte reste évasif sur la prévention des déchets, car le potentiel de prévention dépend de nombreux facteurs dont la croissance économique. L’impact environnemental étant difficile à calculer pour chaque mode proposé, aucun objectif précis n'est indiqué sur ce sujet.

« Les États membres prennent des mesures pour encourager les solutions produisant le meilleur résultat global sur le plan de l’environnement. Cela peut exiger que certains flux de déchets spécifiques s’écartent de la hiérarchie, lorsque cela se justifie par une réflexion fondée sur l’approche de cycle de vie concernant les effets globaux de la production et de la gestion de ces déchets » (dir. 2008 n°98 du 19 novembre 2008).

Cette directive sera ensuite transposée en droit français. La hiérarchie est reprise intégralement sauf que la prévention, qui n’est pas une opération de traitement des déchets, est présentée dans un alinéa séparé, tout en étant considérée comme une priorité (ADEME 2013). Cela signifie que la prévention est exclue de la hiérarchie en France et n’est pas une obligation pour les producteurs et détenteurs de déchets, qui sont seulement obligés de respecter la hiérarchie des modes de traitement. Toutefois, la France lance un Plan national de

28 Communication de la Commission, du 21 décembre 2005, intitulée: « Mise en œuvre de l'utilisation durable des ressources: une stratégie thématique pour la prévention et le recyclage des déchets » [COM(2005) 666 - Non publié au Journal officiel], [En ligne] http://publications.europa.eu/resource/cellar/ed086ac9-d3c7-47f9-a6e6- 8dbd0121bd6f.0007.02/DOC_2, consultée le 12/02/2018

29 Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), Pub. L. No. 32008L0098, OJ L 312 (2008). http://data.europa.eu/eli/dir/2008/98/oj/fra , consulté le 05/07/2018.

30 Dès la loi de 1975, la notion de prévention apparait. Elle devient une priorité dans la gestion des déchets lors de la résolution adoptée par le Conseil, le 24 février 1997 sur une stratégie communautaire pour la gestion des déchets. Le réemploi et le recyclage doivent être préférés à la valorisation énergétique des déchets, dans la mesure où ils représentent la meilleure option écologique. Ce sera la directive de 2008, reprenant ces éléments, qui fera l’objet d’une application au sein des États membres.

prévention de la production des déchets (2004) qui fixe un cadre de référence et définit des objectifs qui seront prolongés par les lois Grenelles 1 et 2. Ces dernières renforcent la prévention des déchets, en proposant un objectif de réduction de 7 % de la production d’ordures ménagères et assimilés par habitant, pour les cinq prochaines années. Elles encouragent aussi le recyclage des déchets ménagers.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) du 18 août 2015 introduit dans le code de l’environnement la notion d’économie circulaire. Celle-ci peut se définir comme :

« un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du produit, vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement. L’économie circulaire est basée sur 6 éléments principaux : l'utilisation modérée et la plus efficace possible des ressources non renouvelables respectueuse de leurs conditions de renouvellement, l’éco conception et la production propre, une consommation respectueuse de l’environnement, la valorisation des déchets en tant que ressources et le traitement des déchets sans nuisance » (Daudey et Hoibian 2014 p. 46).

Figure 6: Schéma de l’économie circulaire

Source : ADEME, Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer : « Économie circulaire. Les avancées de la loi de transition énergétique pour la croissance verte », 2016, p. 5

Le Ministère de l’Environnement31 insiste davantage sur le caractère économique du concept. « Il s’agit de passer d’un modèle économique actuel « linéaire » (extraire,

produire, consommer, jeter) à un modèle « circulaire » intégrant l’ensemble du cycle de vie des produits, dès leur production écoconçue, pendant leur phase de consommation, et jusqu’à la gestion des déchets en résultant, avec l’objectif de « boucler la boucle » en réutilisant ou recyclant un maximum de matières » (Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer 2016 p. 5).

Dans le cadre de l’économie circulaire, le réemploi constitue un moyen d’allonger la durée d’usage des objets, permettant de retarder leur recyclage, comme le montre le schéma ci-dessus. Les restes sont d’abord considérés comme des ressources. L’économie circulaire va au-delà de la gestion des déchets et de la prévention, en proposant une réflexion plus large visant à trouver des solutions pour continuer à produire, tout en réduisant l’apport de nouvelles matières premières naturelles.

Les recycleries peuvent être considérées comme des acteurs de l’économie circulaire et nommées comme tels par les acteurs politiques. Elles sont ainsi mises en avant dans le livre blanc de l’économie circulaire du Grand Paris :

« Le développement des ressourceries et recycleries contribue à créer des écosystèmes territoriaux, qui mettent en avant l’être humain et ses potentialités, et permettent l’avènement d’une nouvelle économie respectueuse de l’environnement, recourant à l’emploi local et aux circuits de proximité »32.

En 2018, une nouvelle directive européenne33 réaffirme les ambitions de l’Union Européenne au regard de l’économie circulaire. Les déchets ressources deviennent des objets économiques, mais également politiques puisqu’ils permettent de réduire la dépendance à l’égard des matières premières étrangères à l’Union. La directive réaffirme l’importance du réemploi et reconnaît le rôle des acteurs de l’économie sociale et solidaire dans la réalisation de cet objectif.

« La prévention des déchets est la manière la plus efficace d’améliorer l’efficacité des ressources et de réduire l’incidence environnementale des déchets. Il importe donc que les États membres prennent des mesures

31 En 2016, il s’agit du Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer qui est devenu en 2017, le Ministère de la Transition écologique et solidaire.

32 Extrait du : Livre blanc de l’économie circulaire du Grand Paris, 2015, p. 14

33 Directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), Pub. L. No. 32018L0851, OJ L 150 (2018). http://data.europa.eu/eli/dir/2018/851/oj/fra consulté le 05/07/2018.

appropriées pour éviter la production de déchets et qu’ils suivent et évaluent les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ces mesures. Dans le cadre de ces mesures, les États membres devraient favoriser les modèles commerciaux, de production et de consommation innovants […], qui favorisent l’augmentation de la durée de vie des produits et qui promeuvent le réemploi, notamment par la mise en place et le soutien de réseaux de réemploi et de réparation, tels que ceux gérés par les entreprises de l’économie sociale, et de systèmes de consigne et de retour, et en encourageant la refabrication, la remise à neuf et, le cas échéant, la réaffectation des produits, ainsi que les plateformes de partage » (alinéa 29 de la Directive 2018 n° 851).

La Directive demande la création d’indicateurs fiables pour évaluer les taux de réemploi chez les États membres. Toutefois, les objectifs de réemploi ne sont pas clairement énoncés et restent associés à des objectifs de recyclage.

Aux États-Unis, nous retrouvons une volonté similaire de prendre en compte l’impact environnemental des déchets et de privilégier des solutions de traitements plus écologiques. Différents textes législatifs ont permis de légiférer sur la question. Les principes fondamentaux du traitement des déchets solides sont édifiés dans le Resource Conservation

and Recovery Act (RCRA) de 1976 et suivi par l’EPA (United States Environmental

Protection Agency). Le Pollution Prevention Act concentre l’attention des industriels, des politiques et du public sur la réduction des pollutions à la source. Cette dernière peut s’opérer par divers procédés de la conception du produit jusqu’à sa fabrication, en passant par son usage domestique. Alors que des moyens de réduction à la source existent, l’enjeu est d’encourager leur prise en compte effective par les industriels et le public. Une hiérarchie des modes de traitement des déchets existe également et préconise la prévention avant tout. Le programme intitulé Resource Conservation Challenge (2004) a eu pour objectif la promotion de la prévention des pollutions, du réemploi et du recyclage à travers un forum, dans un esprit « Grenelle ». Il permet ainsi d’engager toutes les parties, industriels, politiques et société civile dans la mise en place de nouvelles pratiques. Le triptyque « reduce, reuse, recycle » (3R) est particulièrement mis en avant par l’EPA et relayé à l’échelle locale, notamment au sein de la ville de New York.