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CHAPITRE II : PRÉ SENTATION DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN

Carte 6: Les lieux de réemploi étudiés dans le Grand Paris

II.2.2. Le questionnaire : outil d’enquête au service des acteurs ?

Lors de notre observation à la ressourcerie du 14è arrondissement de Paris (R4), nous avons également administré un questionnaire auprès des usagers. L’observation et le questionnaire ont donc permis de compléter nos entretiens même si le caractère unique de ces enquêtes, qui a lieu dans un contexte particulier d’une ressourcerie60, limite les possibilités de généraliser les résultats.

58 Nous faisons partie de la Direction de la prévention et de la valorisation des déchets d’Est Ensemble qui regroupe 9 communes de Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Montreuil, Les Lilas, Le Pré-Saint- Gervais, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville).

59 L’Agence métropolitaine des Déchets Ménagers, principal syndicat intercommunal de gestion des déchets du Grand Paris.

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La ressourcerie du 14e (R4) a ouvert ses portes en 2015 aux Grands Voisins, un espace d’occupation temporaire situé sur l’ancien site de l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul. En 2012, l’hôpital a fermé et le site a été cédé à la Ville de Paris, qui projette l’aménagement d’un nouveau quartier. Pendant la vacance, l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris confie l’ensemble du site de 4 hectares à une association spécialisée dans l’hébergement d’urgence et l’accueil de personnes vulnérables en 2012. En 2014, des réflexions sont menées sur la diversification des activités, car la Ville de Paris souhaite ouvrir le site à d’autres usagers dont les riverains et touristes. À partir de 2015, le site ouvre ses portes à plusieurs associations et professionnels. En 2015, lorsque nous avons réalisé notre terrain, le site hébergeait plus de 500 personnes en difficultés, le plus souvent sans- papiers ou en situation d’isolement. Parallèlement, d’autres associations se sont installées, des étudiants, des ateliers d’artistes et des espaces de travail collaboratif. Sa fréquentation est donc fortement diversifiée, l’espace est partagé par des publics aux profils socio-économiques et aux usages très contrastés. Le site constitue donc une expérience urbaine particulière, dont les usages et la fréquentation diffèrent du quartier aisé de Montparnasse-Raspail. La ressourcerie, située à l’entrée du site attire à la fois des résidents et usagers du site, mais aussi des visiteurs occasionnels et des habitants du quartier. Tout comme notre observation, les résultatsdu

91 Lors de notre terrain en 2016, la ressourcerie (R4) était à ce moment-là une jeune structure de moins d’un an, avec un avenir incertain puisqu’elle disposait d’un bail précaire de deux ans. La responsable souhaitait mieux connaître son activité, obtenir un retour de ces clients afin de communiquer sur la réussite de son activité auprès de la mairie, pour garantir l’obtention d’un nouveau bail. Nous avons alors créé un questionnaire qui avait une double utilité comme le montre l’affiche ci-dessous. Pour notre recherche, il permettait d’obtenir des informations factuelles sur la clientèle que nous pourrions comparer avec nos observations sur le terrain. Pour la responsable de la structure, ce questionnaire permettait de connaître la perception de la ressourcerie chez ses usagers et de leur demander par le biais du questionnaire de déclarer leur soutien à la pérennisation de l’association.

questionnaire réalisé au sein de cette ressourcerie sont donc à replacer dans ce contexte particulier. Après notre terrain, le site tel qu’il était au moment de notre observation a fermé en 2017 pour laisser place aux travaux d’aménagement d’un nouveau quartier. En 2018, des personnes hébergées y résident toujours, et quelques bâtiments sont ouverts au public. La ressourcerie a déménagé dans un autre bâtiment et dispose d’un nouveau bail temporaire.

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Figure 9 : Affiche de présentation de la démarche d’enquête visible sur la table de passation des questionnaires

Réalisation : F.Rassat, 2016 (l’affiche a été anonymisée lors de la rédaction de la thèse). Nous avons administré soixante-dix questionnaires dans la boutique. Nous posions nous même les questions aux enquêtés et écrivions sur la feuille à côté d’eux. Ce questionnaire a été administré sur cinq jours entre février et mars 2016, à plusieurs horaires et plusieurs jours de la semaine et du weekend, afin de toucher un maximum de clientèle.

La passation du questionnaire nous a amené à une position délicate au sein de la ressourcerie. Notre statut de doctorante sur le réemploi des objets, non caché mais pas forcément connu de tous, est devenu très visible. L’enquête n’ayant pas fait l’objet d’une information préalable à toute l’équipe par la directrice, notre activité est apparue curieuse pour certains. Nous sommes devenue « celle qui fait des recherches sur nous » (selon un employé), position délicate qui a développé une distance interactionnelle avec certains employés et bénévoles. Notre statut de chercheure a créé une distance relationnelle, notamment avec les plus jeunes, bénévoles, étudiants ou employés en service civique pour qui nous n’étions plus une des leurs, jeune bénévole étudiante profitant de son temps de loisirs pour s’engager ou s’investir dans une association, mais une chercheure ayant pour travail de

93 les étudier, avec une incompréhension assez importante sur la finalité de mon travail. Au contraire, cette passation de questionnaire nous a rapproché de la responsable de la structure, pour qui nous réalisions en partie cette enquête dont nous lui confierons rapidement les premiers résultats. Même si cette période de passation du questionnaire a impacté fortement notre observation participante, la réalisation d’un tel questionnaire n’aurait pas été possible sans ce temps de bénévolat qui a participé à l’établissement d’une relation de confiance et d’échanges réciproques avec la responsable.

Il est cependant devenu de plus en difficile de remplir les questionnaires, d’une part parce que certains clients déjà enquêtés revenaient en boutique, mais également parce que nous modifions l’organisation de la boutique. Notre enquête devenait trop intrusive dans la vie quotidienne du lieu. Nous avons donc poursuivi le questionnaire par internet, via un formulaire Google. Le questionnaire a été diffusé par le biais de la newsletter et de la page Facebook de l’association, ainsi que celle du lieu associatif d’occupation temporaire sur lequel se trouvait la ressourcerie. Ce questionnaire en ligne s’est déroulé entre le 8 et le 30 avril 2016. Nous avons arrêté sa diffusion lorsque nous avons atteint le seuil des soixante-dix personnes qui étaient venues au moins une fois à la ressourcerie, un échantillon qui pouvait facilement être comparé à celui de l’enquête réalisée sur place.

Le questionnaire administré sur place est appelé Panel 1, il est composé de douze questions (voir Annexe 4). Les cinq premières questions portent sur les pratiques en ressourcerie (fréquentation, achat, don), les questions 7 à 12 portent sur le profil sociologique de l’enquêté et son lieu d’habitation. Les profils économiques des enquêtés sont peu détaillés, car la collecte de ces données reste compliquée au sein de ces associations, qui ne souhaitent pas, par principe, connaître la situation socio-économique de leurs usagers. La question 6 est une question ouverte portant sur la représentation subjective de la ressourcerie : « La ressourcerie, c’est quoi pour vous, si vous deviez l’expliquer à un.e ami.e ». Le Panel 2 qui correspond au questionnaire administré sur internet se compose de vingt questions (voir Annexe 5). Nous avons repris l’ensemble du formulaire du Panel 1, auquel nous avons ajouté huit questions. Cinq d’entre elles portent sur les pratiques dans les autres lieux de réemploi, dont quatre questions sans proposition de réponses, mais pour lesquelles les enquêtés ont répondu sommairement par oui ou non (questions 9 à 11) car les questions posées n’étaient

94 pas suffisamment ouvertes et n’incitaient pas à des réponses détaillées. Enfin, trois demandes d’informations ont été ajoutées concernant la situation personnelle (composition de la famille, profession) au cours de l’administration du panel 1. Nous avons également demandé le lieu de travail, car certaines personnes venaient à la ressourcerie parce qu’elles travaillaient à proximité et non parce qu’elles habitaient le quartier, ce qui pouvait modifier les résultats concernant l’origine géographique des usagers. Les deux questionnaires ont fait l’objet d’un traitement sous Excel. Les questions ouvertes ont d’abord été retranscrites dans un tableau, puis codées manuellement sous forme de mots-clés.

L’observation participante et le questionnaire ont donc suscité un intérêt pour les sciences sociales chez les acteurs associatifs du terrain. La situation de précarité dans laquelle ils sont pour la plupart et la volonté de revendication de droit et de financement auprès des institutions publiques, les amènent à prêter une attention particulière à notre statut. L’expertise du chercheur est en effet vue comme un moyen de prendre du recul sur l’activité quotidienne et d’agir comme un outil de légitimation de leur action. Cependant, le doctorant est pris dans la temporalité de la thèse et des exigences académiques très éloignées de celles du terrain et de l’analyse opérationnelle. Cette participation sur le terrain s’est terminée par un constat en demi-teinte : si la production de données n’aurait pas pu se faire sans la participation et la bienveillance des acteurs du terrain, nous avons eu des difficultés à « rendre le change » et à réaliser un don/contre-don au-delà des « petits coups de main » en tant que bénévole. De plus, par manque de temps libre, cet engagement associatif a dû prendre fin lorsque nous avons considéré que les données collectées étaient suffisantes. Nous restons néanmoins au courant et à l’affut autant que possible des évolutions de nos terrains.

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Section 3 : Des contextes et outils diversifiés pour étudier des pratiques de

réemploi

Les recycleries pèsent a priori toutes les matières collectées. Lors de nos observations, nous avons constaté que toutes les collectes n’étaient pas systématiquement pesées et que les méthodes employées amenaient à des imprécisions. De plus, lors de la vente, les objets ne sont pas comptabilisés par poids mais par type. Dans ce contexte, il nous a semblé peu opportun de réaliser une analyse des bilans de matières, telle qu’elle est faite pour d’autres secteurs des déchets (Bahers 2012; Durand et al. 2012; Barles 2010). Dans notre recherche, principalement centrée sur une analyse qualitative, nous nous appuyons plus particulièrement sur l’analyse des politiques, discours et pratiques pour étudier les circuits, les liens de proximité et les synergies qui y prennent part dans une gestion plus durable de la ville. La proximité s’affirmant comme « une des composantes clés de cette gestion durable de l’assainissement urbain » (Carré, Chouli, Deroubaix, 2006, p. 2), nous tenterons de l’appliquer à notre objet de recherche. La création de circuits de proximité comme alternative aux réseaux des déchets urbains unifiés est également à compléter par des enjeux de proximité entre les habitants, les récupérateurs, les gestionnaires et les déchets qui seront questionnés par rapport aux lieux de réemploi.