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L’opportunité de participer à son sujet d’étude : l’observation participante en recyclerie

CHAPITRE II : PRÉ SENTATION DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN

Carte 6: Les lieux de réemploi étudiés dans le Grand Paris

II.2.1. L’opportunité de participer à son sujet d’étude : l’observation participante en recyclerie

L’observation ethnographique permet de s’immerger sur la longue durée au sein d’un milieu d’interconnaissance, de prendre part au terrain d’étude pour l’observer de l’intérieur (Broqua 2009). Elle est souvent utilisée au moment de la pré-enquête pour appréhender le terrain. Pourtant, nous l’avons utilisée après notre terrain principal, en la considérant comme une méthode d’approfondissement des connaissances et d’enrichissement des entretiens. L’objectif n’est pas de réaliser un travail ethnographique complet, déjà effectué au sein d'une ressourcerie (voir à ce sujet la thèse de doctorat de Stéphanie Messal, 2014), mais de compléter le terrain principal par une approche plus participative qui facilite aussi l’accès aux usagers.

56 Selon Delphine Corteel, qui réalise une recherche-action au sein d’une ressourcerie. Propos recueillis lors de son intervention : « Enquêter sur le faire, faire avec et se faire embarquer. Récit d’une enquête dans une association du secteur de la réduction des déchets », Atelier Deuxième Vie des objets, EHESS, 7 décembre 2017.

87 C’est à l’occasion d’un entretien dans une ressourcerie57, en décembre 2015, que la responsable nous a proposé de revenir un jeudi, jour de fermeture au public, lorsque les employés et bénévoles travaillent ensemble et partagent le déjeuner. Cette proposition fut le point de départ d’une observation participante de six mois, de décembre 2015 à juin 2016 en tant que bénévole, à raison d’une à deux journées de bénévolat par semaine, ce qui nous a également laissé le temps de travailler en parallèle sur la littérature, de faire des va-et-vient entre la pratique et la théorie.

La structure, située dans le 14e arrondissement de Paris (R4 sur la carte 6), venait d’ouvrir en septembre 2015, l’organisation du travail et l’aménagement de la boutique étaient encore en phase d’élaboration et nous avons donc eu la possibilité de suivre in situ, la vie d’une nouvelle ressourcerie. L’équipe de bénévoles était composée de quelques réguliers et beaucoup de personnes occasionnelles. Les tâches étaient très diversifiées et nous avons pu régulièrement en explorer de nouvelles. Nous y avons ainsi effectué :

- pesage et tri des nouveaux dons : objets et vêtements ; - sélection des livres à envoyer aux revendeurs ;

- prix et mise en rayon (livres, vaisselle, vêtements adultes et enfants) ; - création d’une vitrine et mise en scène des meubles ;

- tenue de la caisse ;

- nettoyage et entretiens des locaux ;

- participation aux fêtes évènementielles de l’association.

Les journées d’ouverture au public ont été l’occasion d’échanges informels avec les usagers, d’observation de leur comportement dans la boutique et de repérage des clients réguliers. Les jours de fermeture ont été plus propices aux conversations avec les bénévoles et les employés. Notre statut au sein de la ressourcerie (R4) était assez ambigu, évolutif au fil du temps et des situations. Entre bénévoles, la conversation portait principalement sur l’aménagement ou des objets réceptionnés, mais rarement sur des sujets personnels. Nous n’avons donc pas mentionné systématiquement notre statut de chercheure, sans toutefois le cacher. Si la discussion s’orientait vers la vie professionnelle, nous assumions notre statut, en nous

57 Étant donné qu’il s’agit d’une recyclerie généraliste adhérente du Réseau des Ressourceries, nous la désignons par le terme ressourcerie.

88 présentant comme « étudiante faisant une thèse de doctorat sur le réemploi des objets ». La responsable de la ressourcerie nous présentait également souvent de cette manière. Les bénévoles et employés étant d’origines très diversifiées (étudiants en service civique, chômeurs de longue durée, migrants, retraités, artistes), notre statut de doctorante n’a pas détonné dans cette diversité. Cependant, le sujet de notre recherche a suscité des interrogations et de la curiosité, le travail d’une doctorante étant souvent méconnu pour les non-initiés.

« L’observation à découvert » dans la structure est par contre réalisée « incognito » (Arborio et Fournier 2015, p. 91) vis-à-vis des usagers de la ressourcerie. Ceux qui donnent et achètent des objets nous ont toujours considérée comme un membre de l’équipe de la ressourcerie, une personne à qui demander des conseils, des informations et des prix des objets. Il a donc fallu faire semblant, donner le change face aux clients en intégrant les normes et savoir-faire des travailleurs, notamment lorsque nous étions seule à gérer la caisse.

Nous n’avions pas d’a priori sur les éléments à observer et nous n’avons pas réalisé de grille d'observation. Nous avons souhaité laisser libre cours à l'expérience et mené une « observation flottante » (Pétonnet 1982, p. 39) comme lors du terrain exploratoire. Cependant, cette absence de préparation en amont du terrain n’annule pas le caractère scientifique de notre enquête. Ce terrain est une occasion de remettre à plat nos questionnements, d’enrichir les données obtenues par les entretiens, de comprendre de l’intérieur le fonctionnement d’une association. Au cours de cette période de bénévolat à la ressourcerie, nous avons poursuivi nos entretiens avec les autres structures. Notre expérience

in situ a permis d’enrichir les questions de la grille d’entretien et a donné un certain crédit aux

yeux des enquêtés. Certains responsables de structures ont ainsi demandé comment nous nous organisions à la ressourcerie R4 (sur le tri, les prix, …), cherchant à échanger des savoir-faire et des conseils, nous considérant comme l’une des leurs et une personne à part entière de l’association.

L’observation participante s’est avérée aussi extrêmement utile pour saisir l’ambiance de la structure de réemploi, les relations sociales au sein de l’équipe (employés et bénévoles) et avec les usagers. Elle permet :

« une connaissance du dedans » de « pratiquer une anthropologie du familier dont le but est d’expliciter […] les multiples opérations que les acteurs

89 effectuent sans leur prêter attention parce qu’elles composent l’ordinaire de

leur vie » (De La Pradelle, in Corbillé, 2013, p. 13).

L’observation participante est une expérience personnelle, peu transposable et demeure toujours unique (Broqua 2009). Les éléments que nous restituons ne sont pas reproductibles, car déduits de notre analyse personnelle. Même si le terrain a fait l'objet de prise de notes (celles-ci se faisant a posteriori), le filtre de la mémoire a provoqué une sélection non maîtrisée de l’information (Petit, 2001, p. 12). L’écriture du journal et les comptes-rendus des journées ont également été laborieux, car ils exigeaient d’avoir identifié a priori ce qui était important, méritant d’être écrit. C’était la première fois que nous mobilisions l’observation participante comme méthode de recherche et elle n’est pas au centre de notre enquête, mais complémentaire. Les données obtenues par le biais de l’observation ne sont donc pas directement mobilisées comme telles dans la thèse, elles sont utilisées pour appuyer, nuancer ou compléter les propos recueillis par le biais des entretiens et des questionnaires.

Nous avons également été sollicitée par un réseau de réemploi pour participer à l’organisation des conférences de la Fête de la Récup’ 2016, évènement annuel des recycleries parisiennes affiliées au réseau. C’est donc comme bénévole, mais également en tant que chercheure que nous avons participé à la programmation des conférences et à leur bon déroulement le jour même. Cette expérience nous a permis d’établir dans une certaine mesure, une réciprocité entre notre travail de recherche et l’action au service de nos sujets. (Arborio et Fournier 2015). Nous donnions de notre temps libre à ces acteurs en échange d’une présence à leur côté et un accès à leurs données sur le réemploi. Ainsi, les observations à découvert que nous avons réalisées se sont accompagnées d’une participation à la fois comme bénévole, mais également en tant que chercheure.

Enfin, au cours de la dernière année de doctorat, nous avons occupé un poste de chargée de mission prévention des déchets à Est Ensemble, Établissement Public Territorial

90 du Grand Paris58. Certaines missions nous ont amené à être en lien avec les acteurs du réemploi, préalablement rencontrés au cours de notre enquête. Pour les associations, nous devenions au côté d’autres établissements institutionnels, comme le Conseil Régional ou le SYCTOM59, des potentiels financeurs de leurs activités. Dès le départ, nous ne souhaitions pas inclure cette mission en collectivité dans le processus d’enquête participante. En effet, cette expérience arrivant en fin de parcours de thèse, après une première écriture du manuscrit, les informations obtenues n’ont pas fait l’objet d’un traitement analytique scientifique. Toutefois, ce poste nous a indéniablement permis d’approfondir notre compréhension des enjeux du réemploi et en particulier les aspects financiers et politiques. Bien qu’elle soit tenue à l’écart de notre enquête, cette expérience amène donc à préciser certains éléments de notre recherche.