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1. Evolution de la prise en compte du risque sanitaire et phytosanitaire de l’Antiquité à nos jours

1.2. Dynamique récente des acteurs

1.2.2. Rôle des acteurs privés

La prise en compte du risque sanitaire est apparue, en Europe, avec la création en 1955 de l’Organisation Internationale de Lutte Biologique (OILB)35. L’objectif de cette organisation est, comme son nom l’indique, de promouvoir le développement de la lutte biologique. Dès le début des années 1970, l’OILB a défini des seuils de tolérance pour de nombreuses cultures. Ces seuils sont désormais à la base du concept de la production intégrée. La production intégrée est une philosophie davantage qu’une réponse à un cahier des charges précis. Plus précisément, elle promeut la mise en œuvre de techniques respectueuses de l’environnement en considérant que l’utilisation des pesticides n’est acceptable que si elle s'opère en dernier recours.

La production intégrée a été, au milieu des années 1970, un argument commercial mis en avant pour valoriser davantage la production (Codron et Habib, 2003). Toutefois, le succès commercial escompté n’a pas été au rendez-vous. Pour comprendre ce « non succès », il nous

34 « [IPM is a management approach that] encourages natural control of pest population by anticipating pest

problems and preventing pest from reaching economically damaging levels. All appropriate techniques are used such as enhancing natural enemies, planting pest resistant crops, adapting cultural management and using pesticides judiciously ».

faut nous attacher à l’expérience italienne qui, elle, a été un succès en 1985. La valorisation de la production de pommes dans la région du Trentin a reposé sur le respect du cahier des charges établi sur la base des principes établis par l’OILB. Le succès de cette initiative tient au fait qu’elle repose sur une implication collective de grande ampleur qui a été coordonnée par les pouvoirs publics et relayée par les organisations commerciales (Codron et Habib, 2003). L’implication de l’ensemble des acteurs est alors une des clefs de ce succès. Par ailleurs, le fait que les aides européennes soient orientées sur des incitations à adopter la production intégrée alors qu’elles le sont sur d’autres aspects en France à travers des programmes nationaux et plus précisément la prime à l’herbe a également contribué au succès de cette initiative (Codron et Habib, 2003). Enfin, le dernier facteur clef de ce succès est lié à la concentration géographique de la production.

L’essor de la production intégrée a été par la suite freiné par la définition de la notion d’« Agriculture Raisonnée » (AR) en 1993. A cette époque, l’association Forum de l’Agriculture Raisonnée Respectueuse de l’Environnement (FARRE), constituée d’organisations professionnelles agricoles, de firmes phytosanitaires et d’industries de l’agroalimentaire, en définit le concept. L’AR a pour vocation de communiquer auprès des consommateurs sur les pratiques, mises en œuvre par les producteurs, plus respectueuses de l’environnement (Codron et Habib, 2003 ; de Sainte Marie, 2010). Ainsi, alors que la production intégrée a une vocation productive, l’agriculture raisonnée a une vocation commerciale.

Peu avant l’apparition de l’AR, en 1992, une demande de labellisation « Production fruitière intégrée » est exprimée auprès du Comité de Valorisation pour la Production Fruitière Intégrée (COVAPI) par Carrefour. Par la suite, Auchan suit cette initiative en demandant une labellisation « Filière Agriculture Raisonnée ». Cette « intrusion d’acteurs de la distribution dans un domaine jusque-là réservé aux producteurs agricoles suscite, en réaction, une inflation de demandes de CCP présentées par des organisations de producteurs. Ces derniers revendiquent, pour eux-mêmes, le bénéfice de la valeur ajoutée et de l’image associée à une référence environnementale » (de Sainte Marie, 2010, p. 156). La Commission Nationale des Labels et des Certifications de produits agricoles et alimentaires (CNLC) pose alors la question de la légitimité à définir comme conformes des pratiques ou modes de production qui ne sont pas définis par le cadre règlementaire (de Sainte Marie, 2010). Cette commission constitue, sur la demande du Ministère de l’Agriculture, un groupe de réflexion afin de clarifier la notion d’Agriculture Raisonnée. En juin 1999, la production intégrée est assimilée à l’agriculture raisonnée. Son objectif est implicitement redéfini et « vise à maîtriser l’impact de l’activité de la production agricole sur l’environnement » (de Sainte Marie, 2010, p. 158). De fait, toute production labellisée Agriculture Raisonnée renvoie à des pratiques plus respectueuses de l’environnement mais pas à des produits plus sains. Aucune communication ne peut alors être faite aux consommateurs sur la qualité des produits.

Cette impossibilité de valoriser auprès des consommateurs les pratiques mises en œuvre par les producteurs est renforcée par le rapport établi à la demande du Ministre de l’Agriculture (Paillontin, 2000). Dans ce rapport, la qualité des produits est distinguée de la

qualité de l’environnement. De fait, dans le premier cas, la valorisation des efforts réalisés doit passer par le marché alors qu’elle doit transiter par l’intermédiaire des soutiens politiques dans le second cas. En effet, l’environnement y est défini comme un bien public dont la gestion doit être prise en charge par des règlementations publiques visant à compenser, par des subventions, les efforts faits par les producteurs. Le décret du 25 avril 200236 définit officiellement les principes de agriculture raisonnée. Or, ces principes ont fait débat dans la mesure où près de la moitié des revendications correspondaient à des exigences qui étaient déjà règlementaires.

La crise de la vache folle a été l’événement déclencheur d’un changement de comportement de la grande distribution, tant à l’égard des consommateurs que des fournisseurs de produits agro-alimentaires. Garantir l’innocuité des produits est ainsi devenu un des enjeux que se sont fixés les distributeurs (Codron et al., 2005b). La principale modification des filières tient à leur organisation et à une plus grande articulation des acteurs de l’aval avec l’amont. Il est à noter que les effets de cette crise bovine se sont répandus indirectement à l’ensemble des filières agricoles (Codron et al., 2002 ; Codron et al., 2005b). Dans le cadre de la filière fruits et légumes, cette nouvelle organisation a été possible notamment du fait d’une part de la bonne image dont ces produits bénéficient et d’autre part de l’absence de crise au sein de cette filière. La nouvelle coordination des acteurs traduit alors une nécessité d’anticiper et de prévenir toute crise et de rassurer le consommateur.

Alors qu’au niveau français et allemand la stratégie mise en œuvre par les distributeurs est une stratégie individuelle, le Nord de l’Europe s’est organisée de façon collective. Ainsi, dès 1998, les distributeurs du Nord de l’Europe, et plus précisément la Grande-Bretagne, les Pays- Bas, la Belgique et certains pays scandinaves, ont établi le référentiel Eurep-Gap. Ce référentiel identifie les bonnes pratiques agricoles à mettre en œuvre (Codron et al., 2002). Dans ce cadre, le contrôle est délégué à un organisme tiers. Tout l’enjeu est de faire en sorte que les distributeurs puissent mobiliser un seul référentiel et non pas une multiplicité (Codron et al., 2002 ; Codron et al., 2005b).

Dans tous les cas, les « standards sont construits sur la base des standards publics, nationaux ou internationaux et sont donc plus contraignants que la réglementation de l’Union Européenne » (Codron et al., 2005b, p. 92). La grande distribution est ainsi le principal acteur privé qui a renforcé sa stratégie en définissant des standards qui font référence notamment à des normes de traçabilité et de sécurité alimentaire. Elle a notamment défini des cahiers des charges qui lui sont propres et qui vont, de fait, au-delà des exigences européennes imposées. Ces exigences plus poussées diffèrent d’une enseigne à l’autre. Un producteur ne peut être certifié que s’il répond au cahier des charges imposé. Chaque certification est alors un passeport pour la commercialisation dans la mesure où il permet d’accéder à un marché spécifique.

Au-delà des cahiers des charges propres à chaque enseigne, il existe différentes certifications auxquelles doivent se référer les producteurs pour accéder à certains marchés. TESCO ou GlobalGap, anciennement Eurep-Gap, en sont les principales. Alors que TESCO est une certification indispensable à la commercialisation dans les enseignes anglaises37, qu’elles soient localisées en Grande Bretagne ou non, GlobalGap a une portée plus large, puisque reconnue au niveau international. Dans le cadre d’une certification GlobalGap, le cahier des charges aborde de nombreux aspects allant de la conformité du processus de production aux conditions de sécurité des employés38. Ces « bonnes pratiques agricoles » (GAP : Good Agricultural Practices) peuvent être adoptées au niveau de l’exploitation (option 1) ou au niveau d’un groupe de producteurs (option 2). La certification est une réponse privée de la grande distribution, de reconnaissance internationale. Elle formalise des pratiques qui peuvent être qualifiées de majeures, comme le fait d’être en possession des listes LMR sur les marchés de destination ou de mineures, comme le fait de faire appel à un laboratoire chargé des analyses de résidus qui soit accrédité par les autorités nationales compétentes, ou avec un statut de recommandation, comme le fait de respecter la procédure d’échantillonnage.