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2. Quantifier l’utilisation des produits phytosanitaires : Réflexions théorique et empirique

2.3. Quantification, mesure et modélisation de l’utilisation des produits phytosanitaires

2.3.1. Fondements théoriques : Quand répondre aux exigences croissantes de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires renvoie à un

2.3.1.2. Innover ou maximiser sous contrainte

L’entrepreneur décrit par Schumpeter est un acteur considéré indépendamment de ses caractéristiques intrinsèques. Il innove parce qu’il a le goût d’innover. En ce sens, il se distingue d’un entrepreneur rationnel. L’analyse de l’entrepreneur schumpétérien est alors un examen psychologique et de ce fait, l’origine même de la décision d’innover n’est pas considérée. Alors que dans la théorie néo-classique la notion d’innovation apparaît comme une « boîte noire », dans la vision schumpétérienne, c’est la notion d’entreprise qui reste à appréhender (Tremblay, 1997).

Schumpeter considère que seul le caractère innovateur de l’entrepreneur est déterminant dans l’adoption d’une innovation. Dans ce cadre, se pose la question de l’importance des caractéristiques intrinsèques de cet entrepreneur, des spécificités de son entreprise et de la prise en compte de l’environnement dans lequel il évolue.

Pour répondre à cette question, il est indispensable de prendre en compte en premier lieu les objectifs que se fixe l’entrepreneur, et plus précisément la maximisation du profit dans le cadre de l’adoption d’une nouvelle innovation (McCown, 2001 ; Wallace et Moss, 2002 ; Crampes et Encanoua, 2007 ; Janssen et Van Ittersum, 2007).

Le processus d’innovation relève d’une dynamique individuelle, depuis la « découverte » de l’innovation jusqu’à « sa mise en œuvre » éventuelle (Rogers, 1962). La décision d’adopter une nouvelle innovation relève substantiellement de la comparaison des coûts et bénéfices relatifs à cette innovation et aux pratiques mises en œuvre au moment où l’entrepreneur envisage cette adoption (Dosi, 1988 ; Diederen et al., 2003). Il est à noter que l’adoption d’une innovation se fait comparativement aux pratiques jusque-là mises en œuvre. Adopter une innovation revient alors à mettre en perspective deux alternatives.

En agriculture, les exigences en termes de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires se renforcent. Or, la réponse à ces exigences dépend du revenu attendu, et plus précisément par l’écart de revenu entre les pratiques déjà mises en œuvre au moment où l’exploitant envisage d’adopter une nouvelle innovation et les pratiques novatrices relatives à cette innovation (Nowak, 1987). L’expression du profit est elle-même conditionnée par les rendements. Afin de prendre en compte l’impact de l’utilisation des produits phytosanitaires sur les rendements, il est commun de décomposer l’expression des rendements en une partie

fixe et une partie aléatoire (Just et Pope, 1978 ; Feder et al., 1985). Cette décomposition autorise le fait que l’utilisation des produits phytosanitaires ait un effet opposé sur la moyenne et la variance des rendements (Feder et al., 1985) : une telle spécification est d’autant plus appropriée dans le cadre de l’utilisation des produits phytosanitaires que de nombreux travaux soulignent qu’une utilisation plus intensive de ces produits implique une diminution de la moyenne des rendements et une augmentation de leur variance (Feder et Umali, 1993 ; Sunding et Zilberman, 2000 ; Shiferaw et al., 2009). La formalisation retenue est telle que :

𝑦 = 𝑓 𝑥 + 𝑔(𝑥)𝜀 [1]

Avec y les rendements, x l’utilisation des produits phytosanitaires et 𝜀 une variable aléatoire de moyenne nulle (Just et Pope, 1978). Les fonctions f et g permettent de prendre en compte la non-linéarité possible de l’utilisation des produits phytosanitaires sur la moyenne et la variance des rendements.

Ainsi, l’adoption d’innovations environnementales, c’est-à-dire l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement, n’est effective que si le producteur maximise son revenu (McCown, 2001 ; Wallace et Moss, 2002 ; Crampes et Encanoua, 2007 ; Janssen et Van Ittersum, 2007). Or, si le revenu dépend en partie des rendements, celui-ci est également conditionné par la valorisation de la production sur le marché et des coûts induits par le changement de pratiques.

Comprendre le mécanisme décisionnel lié à la réduction des produits phytosanitaires nécessite de mettre en perspective les pratiques avec les opportunités de marché. S’il est admis que les consommateurs ont des consentements à payer plus élevés pour des produits qui respectent davantage l’environnement (Lefebvre et al., 2014), il ressort que toutes les certifications ou pratiques plus respectueuses de l’environnement ne sont pas davantage valorisées sur le marché. Alors que la certification « Agriculture Biologique » (AB) est davantage rémunératrice sur le marché, toutes les certifications ne s’inscrivent pas dans ce schéma. Ainsi, sur le site de la certification « GlobalGap », il est possible de lire que : « la certification Global Gap est souvent associée à des prix rémunérateurs, avec la croyance que le fait d’être certifié se traduit par des prix plus élevés que ceux obtenus par ceux qui ne le sont pas. Ceci n’est pas tout à fait vrai. Oui, Global Gap ouvre des marchés pour vous mais il n’assure pas que ceux-ci soient mieux rémunérés. Les bénéfices de Global Gap sont davantage en termes de marchés que de prix »50. L’accès à des marchés est alors l’un des principaux enjeux relatifs à l’adoption de certification. Si l’utilisation des produits phytosanitaires n’est pas assimilable à une barrière tarifaire, elle relève davantage d’une barrière non tarifaire. Adopter une certification permet d’y palier et de bénéficier d’un accès à des marchés qui seraient, sinon, non accessibles.

50 ”Most people confuse global gap with higher prices, that is, they think that once you have been certified you

can charge higher prices that the one who hasn’t been. That is not very true. Yes, global gap opens up many markets for you, but it is not an assurance for better prices. So the benefits of global gap are more markets than more money”

Il est à noter que n’ont été considérées ici que les innovations environnementales identifiées en termes de certification. Or, il existe des pratiques environnementales qui ne sont pas certifiées. C’est notamment le cas des pratiques IPM. Dans ce cas, la rémunération sur le marché de la production issue de telles pratiques n’est pas non plus valorisée. Le large éventail de pratiques que recouvre cette terminologie ne permet pas d’être visible et donc identifié par le consommateur. Ainsi, alors que même que les consommateurs seraient plus enclins à valoriser des produits issus de pratiques IPM, la stratégie marketing de valorisation de cette production est délicate du fait de l’absence de labellisation (Lefebvre et al., 2014).

La mise en œuvre de pratiques plus respectueuses de l’environnement ne se traduit pas nécessairement par une plus grande rémunération de la production sur les marchés. Elle engendre toutefois des coûts fixes additionnels qui peuvent constituer un frein à leur adoption. Ces coûts sont soulignés comme étant l’un des facteurs clefs permettant de comprendre la non-adoption de nouvelles innovations (Just et al., 1980). L’hypothèse selon laquelle l’exploitant décide d’adopter une nouvelle innovation sur la seule base de la maximisation de son revenu doit également être discutée. A la maximisation de revenu, certains auteurs préfèrent alors la notion de maximisation de l’utilité (Fernandez-Cornejo et al., 1998). Dans ce cadre, l’adoption d’une nouvelle innovation est considérée au regard de différents critères et non plus en termes uniquement économiques. Dans ce cadre, la maximisation du revenu n’est qu’une des dimensions prises en compte par l’exploitant lors de sa décision d’adopter une innovation. Cette décision est conditionnée notamment par la volatilité des rendements, l’absence de rémunération par le marché ou l’importance des coûts fixes. L’adoption d’une innovation est le résultat d’un processus individuel où l’exploitant doit arbitrer entre deux alternatives (Vandeman et al., 1994 ; Sunding et Zilberman, 2000 ; Shiferaw et al., 2009). A ce stade, il est important de prendre en compte les caractéristiques des exploitants et de leur exploitation comme déterminants de l’adoption d’une innovation.

2.3.1.3. Les caractéristiques intrinsèques des entrepreneurs dans la décision