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La révolution laslettienne du ménage dans les sciences sociales

CHAPITRE 3. L’approche configurationnelle : nouveaux sentiers conceptuels pour l’étude des proximités résidentielles familiales

I. Autour du « ménage » : constructions et déconstructions d’une unité d’analyse hégémonique

I.1. La révolution laslettienne du ménage dans les sciences sociales

Si elle existe depuis longtemps comme catégorie administrative de recensement, et depuis les classiques de la sociologie et la démographie comme catégorie analytique, la

formalisation scientifique définitive du ménage ou household84 peut à juste titre être attribuée à Peter Laslett et à ses collègues du Cambridge Group, dans le cadre disciplinaire de la démographie historique de la famille (Ibid.)85. Rétrospectivement, la publication en 1972 du célèbre ouvrage collectif dirigé par Laslett et Wall, Household and Family in Past Times (Laslett et Wall (eds.) 1972) a déclenché une véritable révolution au sein des sciences sociales. D’abord, car les premiers résultats de cette recherche ont remis en cause l’une des hypothèses les plus largement acceptées des théories de la modernisation, à savoir, celle d'une simplification évolutive du groupe familial domestique face aux logiques de fonctionnement d'une société de plus en plus urbaine et industrialisée (Le Play 1884 ; Durkheim 2002 ; Parsons and Bales 1955). Sans s’opposer au fait même d’une corrélation entre nucléarisation et modernisation, et en la renforçant, au contraire, les analyses apportées par Laslett et ses co-auteurs montraient néanmoins que la prédominance de la configuration nucléaire de la famille en Angleterre et dans certaines zones du Nord de l’Europe avait largement précédé l'industrialisation. Cela a permis à Laslett d’avancer l’hypothèse qu’une telle « exception européenne » (Ruggles 2010) au niveau de l’organisation domestique de la vie familiale n’a pas été une conséquence de l’industrialisation, mais une précondition de celle-ci. Cette inversion de la causalité dans la modélisation du rapport entre nucléarisation familiale et révolution industrielle en Europe a eu, à l’époque, l’effet d’un véritable tremblement de terre dans le milieu scientifique. Cependant, la « nouvelle orthodoxie sociologique » (Kertzer 1991, p. 158) ainsi inaugurée a commencé à être contestée assez vite, et une avalanche de travaux empiriques s’est chargée, au long des décennies suivantes, d’en rendre évidentes les limites86.

84 Jusqu’à recemment la principale différence entre la tradition anglo-saxonne du household et celle française du ménage était que la seconde considérait seulement la condition de partager le même toit (corésidence), tandis que la première y ajoutait la condition de partager un même budget et de cuisiner ensemble (Bonvalet 2003). Cependant, à partir de 2005, les enquêtes publiques auprès des ménages en France ont modifié leur définition du ménage, en le rapprochant du sens anglo-saxon ; il désigne désormais « l'ensemble des personnes (apparentées ou non) qui partagent de manière habituelle un même logement (que celui-ci soit ou non leur résidence principale) et qui ont un budget en commun ». http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/liste-definitions.htm#def_M (visité le 26 juillet 2018).

85 Laslett lui-même reconnaît que sa propre notion de ménage a été fortement influencée par la notion précédemment proposée par Louis Henry, dans son Manuel de démographie historique publié en 1967, à laquelle il a néanmoins apporté des variations significatives (Laslett 1972a).

86 « […] the understandings that gained currency in the 1970s and have subsequently become widely accepted among sociologies can no longer withstand historical scrutiny […] a) those who claim that the European preindustrial past was characterized by nuclear family households have misled us; b) the whole enterprise of branding major areas of Europe as having a particular type of household system is misleading… there are theoretically significant differences in household forms within such regions […] » (Kertzer 1991, p. 156-157)

Au-delà de l’hypothèse sociologique, le plus durable héritage de la révolution laslettienne a été plutôt la construction même de la catégorie de household, et de la typologie qui en découle, Laslett ayant ainsi réussi à cristalliser une référence standard pour l’étude comparée des groupes domestiques (Hammel et Laslett 1974). Ce modèle a rapidement dépassé les contours disciplinaires de la démographie historique de la famille, pour se répandre transversalement partout dans le monde et à travers toutes les disciplines des sciences sociales. Dans cette ligne, selon Paul-André Rosental, la caractéristique principale de l’œuvre laslettienne a été « l’adoption du ménage comme unité d’observation exclusive » (2002, p. 108) de la vie domestique, ce qui selon Bonvalet et Lelièvre (1995), est allé de pair avec l’identité famille-ménage.

En effet, Laslett affirme que, dans le modèle sous-jacent à ce groupe de travaux, « the resident familial group alone is in question, not the kinship network, nor any 'familial' relationships between distinct households » (Laslett et Wall (eds.) 1972, p. IX, cité par Rosental 2002). C’est dans le réductionnisme radical de son opérationnalisation, délibérément assumé et minutieusement justifié par l’auteur en s’appuyant sur des critères méthodologiques, que réside une bonne partie du succès du cadre d’analyse laslettien87. Dans l’introduction de l’ouvrage collectif (Laslett 1972a)88, Laslett affirme que le mot household désigne un « groupe domestique de corésidence » (coresident domestic group), dont l’appartenance « non arbitraire » des individus est déterminée par la conjonction de trois critères cumulatifs : ils dorment habituellement sous le même toit (locational criterion) ; ils partagent un certain nombre d’activités (fonctional criterion) ; « ils ont un lien de sang ou d’alliance les uns par rapport aux autres » (kinship criterion) (Ibid., p. 25). Si l’auteur précise bien qu’historiquement, dans les listes de recensement, le troisième critère n’est pas empiriquement universel, puisque l’on trouve des situations où certains individus remplissent les deux premiers critères, mais ne pas le dernier (notamment, des locataires ou des domestiques), dans la

87 Je tiens à faire justice aux multiples précautions que Laslett lui-même a prises, de manière presque obsessionnelle, par rapport à la justification de ses choix et aux réductionnismes qu’ils impliquaient, en anticipant presque toutes les critiques qui lui ont été postérieurement adressées. Néanmoins, les répercussions de son travail ont largement dépassé le cadre original de sa mise en place, et l’héritage de son modèle, de ses catégories et typologisations a été beaucoup moins scrupuleux et grossier que sa formulation première. De même, nonobstant l’intention de l’auteur de restreindre son modèle à des enjeux purement méthodologiques, il entraîne aussi de forte présupposés théoriques et normatifs. En somme, dans la durée, le mainstream des sciences sociales a fini par faire de ce qui n’avait été formulé que comme « simply the rules which have to be observed if surviving documentary evidence is to be made usable for comparative domestic group analysis » (Laslett 1972a, p. 24), une véritable « orthodoxie » de l’organisation domestique et familiale (Kertzer 1991).

88 J’utilise aussi comme référence la traduction partielle de cette introduction en français réalisée par Antoinette Chamoux (Laslett 1972b).

pratique, il y a dans sa conceptualisation du ménage une supposition de convergence entre le critère résidentiel, fonctionnel et familial (Bender 1967). Cela laisse clairement apparaître le choix de l’auteur de classer et nommer les types de ménage en fonction des types de structure familiale qu’ils abritent (simple family household, extended family household, multiple family

household, non-familial household, etc.), classification pour laquelle le noyau conjugal

(conjugal family unit), formé par « le mari, sa femme et leurs enfants légitimes », est d’ailleurs la référence de base89.

L’« orthodoxie » laslettienne du household dont parle Kertzer (1991) a réussi à s’imposer comme unité d’analyse prédominante dans l’étude de l’organisation domestique, et plus largement de la vie familiale, jusqu’à présent (Yanagisako 1979). Comme le montrent plusieurs auteurs, les nombreuses critiques postérieures ont ciblé notamment ses hypothèses et modèles explicatifs, mais le concept même de household et ses présupposés ont été beaucoup plus rarement mis en cause de manière substantielle (Ibid. ; Kertzer 1991 ; Puschmann et Solli 2014 ; Wilk 1991). Même au sein de l’anthropologie, surtout d’influence anglo-saxonne, habituée à traiter avec des conceptualisations complexes de la parenté et de l’organisation domestique, cette nouvelle catégorisation a été reçue avec enthousiasme. À partir des années 1970, éclatait une crise disciplinaire causée, d’une part, par les vagues de scepticisme quant à l’efficacité des approches classiques fondées sur la recherche de combinaisons entre kinship

systems et residence rules pour saisir l’organisation pratique et effective de la vie domestique

et familiale observée sur le terrain (Needham 1974 ; Needham (ed.) 1971 ; Pina Cabral 1989 ; Pina Cabral 1986), et, d’autre part, par les critiques profondes de l’ethnocentrisme avec lequel ces schémas de classification avaient été construits (Schneider 1980 ; Schneider 2004 ; Firth, Hubert et Forge 1970). Dans ce contexte intellectuel, la catégorie de household s’est présentée comme une possibilité prometteuse de dépasser les approches classificatoires et structuralistes de la parenté, en offrant une nouvelle voie pour saisir les unités d’organisation effective de la vie domestique (Pina-Cabral 1989, p. 330), non réductibles aux seules règles de résidence ni aux systèmes de filiation, mais façonnées aussi par des facteurs économiques, politiques, démographiques et de cycle de vie (Kertzer 1991, p. 156) 90. On l’a vu, la notion de household

89 « From the point of view of the experience of the persons in that community at the date in question, the nuclear family household constituted the ordinary, expected, normal framework of domestic existence. » (Laslett 1972a)

90 Cela dit, c’est aussi au sein de l’anthropologie, historique ou sociale, que les premières critiques des limitations de la catégorie de household ont vu le jour (Pina Cabral 1989 ; Rosental 2002 ; Goody 1972 ; Bender 1967).

avait pour ambition de capter d’un seul coup l’organisation résidentielle, fonctionnelle et familiale, en même temps qu’elle était porteuse de promesses sur les possibilités de simplifier l’analyse formelle comparée entre des contextes culturels et temporels divers.

Dans les paragraphes suivants, je discute de manière critique deux aspects de la catégorie laslettienne de household telle que celle-ci s’est imposée dans le mainstream des sciences sociales, aspects dont les conséquences conceptuelles et méthodologiques sont particulièrement importantes pour les enjeux de cette thèse. Le premier élément tient à l’échelle à partir de laquelle est délimité le groupe de « résidence commune », c’est-à-dire à la définition de ce qu’est « to share the same physical space » (Hammel et Laslett 1974, p. 76). Il s’agit de l’échelle du « domicile » administrativement défini comme tel et, par conséquent, de la corésidence comme fixation aprioritique des contours dont on observe et restitue la vie domestique. Le deuxième élément consiste en une convergence forcée de trois dimensions ou critères structurants de la vie domestique dans une même unité, à savoir, la résidence, la parenté et la subsistance commune. Or, les exemples ethnographiques et historiques montrant un décalage empirique, et même une différenciation « logique » (Bender 1967) entre ces trois dimensions, sont nombreux.

La tyrannie de la corésidence : un triple réductionnisme

Trois formes de réductionnisme découlent de la définition laslettienne de ménage. La première assume que les limites du groupe domestique sont celles de la corésidence, et elle impose une définition univoque et figée des critères par lesquels un groupe domestique est délimité. La deuxième est l’association simpliste et purement formelle entre décohabitation et néolocalité. La troisième consiste en une identification entre la résidence et la catégorie administrative de « domicile », et à une dévaluation concomitante du statut de la résidence en tant que « maison », c’est-à-dire en tant que réalité matérielle et symbolique concrète.

- Corésidence et groupe domestique

L’approche du household fait coïncider les contours d’une unité domestique avec la condition de corésidence, entendue comme « vivre sous le même toit ». Dès lors, tout ce que l’on peut observer se réduit aux relations sociales internes aux ménages (relationships within

familial groups), et exclut les relations entre les ménages (relationships between them) (Laslett

Children who have left home are not included ; nor are kin and affines who live close by, even if they collaborate so closely in the productive work of the family that for economic purposes they form part of it, and may frequently or usually take their meals at the family table. (Ibid., p. 27)

Malgré les efforts de l’auteur pour démontrer le contraire, ces propos révèlent les préjugés sur lesquels la catégorie de household a été construite, et qui n’ont fait que s’accroître avec la naturalisation postérieure du concept dans les sciences sociales. Comment justifier le fait que, dans la restitution de la vie domestique d’un groupe donné, on exclut d’emblée ceux qui n’appartiennent pas stricto sensu au groupe corésident ? Notamment lorsqu’il s’agit de parents ou de proches qui habitent à proximité et qui participent quotidiennement aux activités constitutives de la vie domestique, telles que cuisiner, manger ou élever les enfants ? Comme on le verra plus tard, le constat de l’insuffisance du schéma binaire corésidence/non corésidence pour rendre compte de la manière dont la vie domestique a effectivement lieu, a orienté plusieurs efforts conceptuels pour rendre compte d’un continuum de possibilités de l’étendue de la proximité résidentielle ou propinquity sur laquelle la vie domestique est produite (Bender 1967 ; Yanagisako 1979).

En autre, peut-on fixer a priori les critères qui délimitent le groupe corésident lui même ? Par exemple, cuisiner, manger ou dormir ensemble (Verdon 1979). L’évidence empirique montre en effet que les critères qui définissent quels individus se considèrent comme « vivant ensemble » relèvent toujours de catégorisations et pratiques indigènes, contextuellement situées, et dont la signification peut varier d’un terrain à l’autre. C’est ce qu’a, par exemple, révélé une ethnographie récente sur la vie domestique en Haïti (Dalmaso 2014). Cette étude fait d’abord le constat que l’idée de « régularité » peut être difficilement fixée lorsqu’il s’agit de comprendre qui « habite » chez qui, car la mobilité quotidienne des gens est très intense et qu’une même personne peut manger et dormir dans des maisons différentes au cours de la même semaine. Ensuite, cette ethnographie montre qu’il n’y a pas de superposition parfaite entre ceux qui dorment ensemble et ceux qui mangent ensemble, et que le critère indigène pour délimiter le groupe de résidence commune est très dynamique et englobe d’ailleurs plusieurs maisons.

Comme l’a remarqué Sylvia J. Yaganisako dans sa revue critique de la littérature anthropologique sur le household, la question de ce que veut dire empiriquement la corésidence reste toujours ouverte :

Innumerable problematic cases in the ethnographic literature can be adduced to illustrate the difficulties

in defining the boundaries of household. These cases raise questions about how to treat residential groupings that move through a seasonal cycle of dispersal and concentration, how to handle the movement of personnel between dwelling units, [...] whether to define as a single household the huts or houses that share a common yard [...]. (Yanagisako 1979, p. 164)

Laslett lui-même avait abordé cette question problématique à travers la distinction entre

household et houseful (Laslett et Wall (eds.) 1972 ; Hammel et Laslett 1974)91. Selon lui, un

household est le groupe occupant une « habitation » (dwelling), tandis qu’un houseful est le

groupe occupant des « locaux » (premises), ce qui peut correspondre à un seul bâtiment ou bien à plusieurs bâtiments contigus. Si cette distinction lui a permis d’inclure dans son modèle la « situation d’un ensemble de ménages habitant la même maison » (Laslett 1972b, p. 856), elle n’élargit que très marginalement son critère fondamental de corésidence. De plus, cette distinction est très marginalement utilisée dans les analyses du Cambridge Group et a été rapidement oubliée, au point que le mot houseful est presque introuvable dans l’ensemble de la littérature sur le household.

- Corésidence et néolocalité

Une autre conséquence liée à la survalorisation du groupe de corésidence comme unité d’analyse de la vie domestique tient à la surestimation, voire l’attribution erronée, des règles et pratiques dites de « néolocalité ». Dans le cadre laslettien, il y a une solution de continuité entre corésidence et non corésidence, car toute possibilité intermédiaire de ce qu’on a nommé « quasi-cohabitation » (Pfirsch 2008 ; Gollac 2011 ; Cribier 1992) est a priori exclue du champ d’analyse. Ainsi, lorsqu’on observe qu’un enfant marié ne fait pas partie du soi-disant groupe de corésidence, on assume l’indépendance résidentielle du jeune couple marié par rapport à leurs parents ou « néolocalité » (Barry et al. 2000). Or, si l’on en revient aux propos de Laslett cités au début de cette section, il est fréquent que, résidant dans leur propre logement, certains des enfants mariés participent activement à des pratiques domestiques quotidiennes avec les membres du household des parents de l’un des conjoints. Dans ce type de situations, peut-on attribuer une logique de néolocalité, au même titre que lorsque l’enfant adulte décohabite et n’a des relations en face-à-face qu’occasionnellement avec ses parents ?

91 Dans sa traduction en français de l’Introduction du livre de Laslett et Walla (1972), Antoinette Chamoux traduit household comme « ménage » et houseful comme « maisonnée » (Laslett 1972).

Comme on le verra à partir de plusieurs de mes études de cas, la néolocalité peut être seulement apparente, ou du moins fortement relativisée en tant qu’« idéologie de la parenté » (Firth, Hubert et Forge 1970), lorsqu’on élargit l’étendue de l’observation des rapports domestiques au-delà de la corésidence. J’avance ainsi l’hypothèse que l’association simple et purement formelle entre décohabitation et logique de néolocalité, qui est implicite dans l’approche du household, est contestée lorsqu’on porte attention aux continuités relationnelles entre les ménages. Comme le laissaient déjà entrapparaître les récits indigènes analysés dans le chapitre 2 ainsi que l’histoire de l’allegamiento chez Victoria dans le chapitre 1, l’analyse approfondie de mon terrain, que je développerai dans les prochains chapitres, oblige à repenser, avec la notion de ménage, celle de néolocalité. À partir des cas que j’ai rencontrés à Santiago, on observe plusieurs nuances et gradations dans la mise en place pratique de l’indépendance résidentielle des nouveaux couples, ainsi que des modalités de contournement de la règle – plus ou moins explicite, plus ou moins contraignante selon les milieux– de la néolocalité.

- Corésidence, domicile et maison

Je mentionne enfin une troisième conséquence de l’identification laslettienne entre unité domestique et groupe de corésidence. De manière assez paradoxale, le formalisme de la définition de household ne néglige pas seulement les rapports domestiques en dehors des limites d’une même résidence, mais aussi le statut anthropologique de la « résidence » elle-même. Malgré la centralité du critère résidentiel dans la définition d’une unité d’analyse, dans les faits, la « résidence » n’est ici qu’une catégorie formelle de classification statistico-administrative correspondant au « domicile ». Le lieu de résidence, le logement, est supposé comme étant là, conçu comme un contenant préexistant et externe aux rapports familiaux domestiques, mais il n’a pas d’existence en tant que réalité concrète, à la fois matérielle et symbolique, où la vie domestique a effectivement lieu.

C’est notamment au cœur du tournant contemporain de l’anthropologie de la parenté que cette critique du household a été formulée par le biais d’une revendication de la catégorie de « maison » et de house. Dans l’ouvrage collectif About the House : Lévi-Strauss and

Beyond92, des anthropologues dirigés par Janet Carsten et Stephen Hugh-Jones critiquent la

92 Je ne rentrerai pas ici dans la discussion largement polémique autour de l’idée lévi-straussienne de « société à maison » (Lamaison et Lévi-Strauss 1987), à laquelle cet ouvrage consacre plusieurs pages.

tendance à sous-estimer la dimension architecturale et proprement physique dans les analyses anthropologiques de la résidence et de la vie domestique. Ils proposent un « langage alternatif de la maison », focalisé sur les liens entre les significations architecturales, sociales et symboliques de celle-ci » (Carsten et Hugh-Jones (eds.) 1995, p. 2 traduction libre de l’anglais). Par rapport à la catégorie anthropologique de household, celle de house ici proposée souligne le caractère indigène et émergent de ce qui constitue dans chaque contexte une « maison », ainsi que l’idée que celle-ci ne doit pas être conçue comme une « chose », un réceptacle objectif dans lequel la vie se déroule, mais comme un processus dynamique dans lesquels les aspects physiques, relationnels et symboliques sont intégrés (Motta 2014, p. 125-126).

Résidence, parenté, subsistance : une convergence forcée

La formulation laslettienne du household superpose trois dimensions de la vie domestique : la résidence, la parenté et la subsistance commune. L’idéal-type à partir duquel se structure entièrement la typologie laslettienne des ménages est celui du family household : le groupe formé par les individus qui dorment régulièrement ensemble, qui partagent les activités essentielles pour assurer la vie quotidienne et qui forment une « famille », c’est-à-dire ont des