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Le ménage débordé : l’essor des conceptualisations alternatives

CHAPITRE 3. L’approche configurationnelle : nouveaux sentiers conceptuels pour l’étude des proximités résidentielles familiales

I. Autour du « ménage » : constructions et déconstructions d’une unité d’analyse hégémonique

I.2. Le ménage débordé : l’essor des conceptualisations alternatives

Si la catégorie, et plus largement l’approche du household, se sont imposées de manière durable dans la littérature mainstream des sciences sociales contemporaines consacrée à l’étude

de la vie domestique, elle a aussi très vite été la cible de critiques provenant de disciplines et traditions intellectuelles diverses. Cela a donné lieu à plusieurs propositions alternatives pour l’étude des formes contemporaines de la vie domestique, notamment en contextes urbains occidentaux. Tout en étant marginales par rapport à la perspective dominante, celles-ci ont fourni un corpus très riche en termes conceptuels et méthodologiques (Rosental 2002).

Nonobstant l’hétérogénéité des sujets de recherche et des disciplines, le trait commun de ces travaux est une approche marquée par l'observation inductive des décalages entre les « pratiques » et les « règles » structurant les rapports de parenté, résidentiels ou de production domestique. Cette distinction, comme cela est bien connu, est à la base du travail développé par Pierre Bourdieu sur les « stratégies familiales » (Bourdieu 2000 ; Bourdieu 1972). En critiquant la perspective structuraliste, l'approche bourdieusienne « montre la nécessité de suivre la succession des comportements au sein des familles plutôt que de la supposer unilatéralement dictée par l'obéissance à des règles » (Rosental 2002, p. 124). Cette objection bourdieusienne est importante dans le cadre du débat sur l'unité d'analyse pertinente pour les configurations domestiques, car les présupposés théoriques du modèle du ménage sont souvent appliqués sur les réalités étudiées comme s’il s’agissait de règles structurantes de l’action. Or, selon Bourdieu, il faut « éviter de donner pour le principe de la pratique des agents la théorie que l'on doit construire pour en rendre raison » (Bourdieu et Lamaison 1985, p. 3). Les approches qui priorisent la restitution inductive des pratiques et des règles indigènes permettent de saisir les contours des unités domestiques comme le produit des praxis inscrites dans la durée, c’est-à-dire comme « une invention permanente, indispensable pour s'adapter à des situations indéfiniment variées, jamais parfaitement identiques » (Ibid., p. 9). Les configurations domestiques sont ainsi pensées « comme des formes à expliquer plutôt qu'à considérer comme acquises » (Rosental 2002, p. 124).

Dans cette section, je présente une sélection des conceptualisations alternatives au ménage, qui cherchent à dépasser certains des réductionnismes ou limitations que j’ai analysés plus haut. J’ai choisi d’exposer les concepts qui ont été particulièrement significatifs pour le développement de ma propre démarche conceptuelle. Ce recueil embrasse un arc temporel qui va des travaux pionniers de l’ethnographie urbaine anglaise menés dès la fin des années 1950, jusqu’aux apports plus récents de sociologues, démographes et anthropologues français.

« Fusion de ménages » : le travail pionnier de l’ethnologie anglaise

Je commence par faire mention d’un travail pionnier et devenu classique de l’ethnographie urbaine anglaise, dont l’influence en France a été conséquente. L’ouvrage

Family and kinship in East London (Willmott et Young 1957 ; Willmott et Young 2010), est le

résultat d’une enquête ethnographique développée par Peter Willmott et Michael Young dans un quartier ouvrier de l’Est de Londres. Publié pour la première fois en 1957, ce travail a ouvert la voie à la recherche sur les modalités contemporaines de proximité familiale dans le contexte urbain des pays développés. S’appuyant sur un travail ethnographique et quantitatif approfondi portant sur les formes de vie des habitants d’un quartier ouvrier de l’est londonien et ses alentours, Willmott et Young ont démontré l’importance de la parenté « étendue » dans l’organisation domestique de la vie quotidienne dans les milieux populaires urbains.

Cette démonstration a mis en cause les principales hypothèses sociologiques en vigueur à l’époque, notamment celle du rapport entre une organisation nucléaire de la vie domestique et les contraintes de la vie urbaine moderne. Or, les auteurs montrent que non seulement les rapports de parenté continuent à être significatifs pour les individus habitant dans les quartiers ouvriers étudiés, mais qu’ils structurent concrètement l’organisation résidentielle même et plusieurs aspects de leur vie domestique. Ainsi, la valorisation de la continuité des rapports intergénérationnels au long du cycle de vie des individus constitue le fondement de toute une production de stratégies spécifiques, comme par exemple l'appropriation de logements vacants à proximité du domicile parental, souvent sous la responsabilité des « mères ». En outre, Willmott et Young montrent que le fait d’habiter près les uns des autres facilite le maintien des rapports en face-à-face quotidiens entre les membres d’une famille étendue. Voici un paragraphe qui me semble exemplaire des pratiques observées par les auteurs, d’ailleurs étonnamment semblables à celles que j’ai observées sur mon terrain. Cet extrait montre également la mise en valeur des perspectives indigènes de la part des auteurs à l’heure d’élaborer leurs catégories analytiques :

« Passer » [popping in]95 pour bavarder et prendre le thé, c'est de la routine et cela se fait tous les jours. Ces récits éclairent d'un jour nouveau l'idée que nous avons du ménage. Vivre ensemble, manger ensemble : c'est considéré comme faire partie d'un même ménage. Mais qu'en est-il lorsqu'on passe une bonne partie de son temps chez quelqu'un d'autre et qu'on y prend ses repas (ou même simplement le thé)

95 Le terme anglais popping in, traduit en français par « passer », veut dire littéralement « apparaître ». Tant ce sens en anglais que le choix de la traduction française rappellent de manière évidente la catégorie indigène

régulièrement ? Eh bien jusqu'à un certain point les ménages fusionnent [household merged]. C'est surtout visible quand les deux familles vivent effectivement dans la même maison [... mais] cela se voit aussi chez des ménages qui ne vivent pas du tout sous le même toit. Cette femme habite à cinq minutes de chez sa mère et pourtant : Je vais déjeuner chez Mum. [...] Pour beaucoup de femmes, la vie quotidienne ne tient pas uniquement dans une seule maison, celle où l'on dort ; elle s'étend sur au moins deux maisons dans lesquelles elles passent régulièrement une partie de leur temps. (Ibid., p. 38)

Avec le concept de « fusion de ménages » (merged household), les auteurs cherchent à capter un niveau de l’organisation domestique observé sur leur terrain qui ne parvient pas à être saisi avec le concept de household tout court. Ce que les yeux de l’ethnographe constatent est que l’étendue des pratiques domestiques quotidiennes des individus, et notamment des femmes, ne respecte pas les barrières attendues du « ménage » indépendant, mais implique la participation d’individus rattachés à plusieurs ménages, même lorsque ceux-ci ne partagent pas la même « maison ». Puisque la « fusion de ménages » embrasse souvent une étendue spatiale qui dépasse les limites du « domicile », concerne plusieurs maisons situées à une distance variable et permet de se rendre visite au quotidien. L’ensemble des résultats et conclusions apportés par les auteurs – trop nombreux pour être résumés ici –, montrent assez clairement que le développement des pratiques liées à la production domestique, comme par exemple l’alimentation, a une incidence sur la manière de configurer l’espace résidentiel et, de même, affectent les formes que prennent les rapports de parenté, par exemple entre mère et filles adultes ou entre grand-mère et petits-enfants.

Le contexte intellectuel dans lequel Willmott et Young ont publié leurs résultats a été très innovant, et même révolutionnaire, notamment parce qu’il a remis en cause les postulats fonctionnalistes sur la famille urbaine, qui étaient en plein essor dans les années 1950. Cependant, on peut aujourd’hui estimer que la production conceptuelle des auteurs pour rendre compte de tels résultats n’est pas allée assez loin. Si elle rend visible les limitations des notions très installées à l’époque de household et nuclear family, elle n’arrive pas à les dépasser et à lui substituer un nouvel appareil conceptuel. Comme on l’a vu précédemment, les pratiques de « fusion de ménages » dépassent souvent l’étendue de la corésidence et englobent plusieurs maisons situées à proximité, ce qui implique que cette logique ne peut être captée simplement en recourant au concept laslettien d’extended family household (« famille élargie »), puisque celui-ci reste enfermé entre les murs de la corésidence. Or, les auteurs semblent ne pas avoir conscience de toutes les implications de leur propre découverte, puisqu’ils utilisent en effet

assez souvent le concept d’extended household pour la décrire, comme synonyme de merged

household :

Nous proposons d'adopter le terme, employé par les anthropologues, de « famille élargie », chaque fois que nous serons sûrs que cette combinaison de familles forme, jusqu'à un certain point, une seule et même unité domestique. (Ibid., p. 38-39)

En outre, le concept de « fusion de ménages », lui-même, reste conceptuellement dependant du paradigme qu’il veut dépasser. Même en recourant au concept de merged

households, le household continue à être l’unité fondamentale de référence, à laquelle on

« ajoute » quelque chose.

« Fronts de parenté » : les apports de la microhistoire

Dans son ouvrage Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du

XVIIe siècle (Levi 1989), paru en 1985, l’historien italien Giovanni Levi forge le concept de

« fronts de parenté » pour décrire un niveau émergent de l’organisation domestique observé dans certains groupes d’habitants dans un village italien au XVIIe siècle. Celui-ci concerne des pratiques très spécifiques d’appropriation de l’espace pour constituer des ensembles résidentiels formés par des groupes de parents entre lesquels les formes de mutualisation et échanges de toute sorte se montrent extrêmement récurrents et durables. Critique de l’histoire sociale et de la démographie historique, l’approche de la micro-histoire, dont Levi est le fondateur, cherche explicitement à déconstruire les catégories par lesquelles on construit les faits sociaux comme « objets », pour accéder aux « pratiques » dont la sociabilité est faite, en faisant de l’historiographie une démarche véritablement ethnographique (Rosental 2002). Du fait du parti pris de restituer la vie domestique à une micro-échelle spatio-temporelle, la démarche historiographique se libère de la dépendance aux listes administratives nominatives, et peut recourir à une pluralité de sources historiques par lesquelles l’historien peut accéder aux rapports et pratiques concrets. Cela permet de restituer les arrangements domestiques effectifs, sans imposer des unités d’analyse nécessaires aux recensements. Ainsi, le concept de « fronts de parenté » permet de saisir des « configurations possibles », fortement « élastiques » « de parents et d’alliés qui coopèrent ». Un front de parenté « ne se structure pas comme un groupe uniforme d'individus ayant des devoirs et des droits égaux, mais comme un ensemble différencié et hiérarchisé, quoique fortement cohérent » (Levi 1989, p. 77-78).

Sous l’emprise de cet ouvrage, le concept de « fronts de parenté » a été plus récemment appliqué à l’étude historique des formations urbaines en France. À partir de l’observation « des résidents d’une petite rue située dans un faubourg de Lille, Loos » dès le milieu du XIXe siècle et jusqu’à la moitié du XXe, Juliette Hontebeyrie étudie les rapports entre les formes d’organisation de la vie domestique et l’urbanisation (Juliette Hontebeyrie 2010). Elle y retrouve « de véritables ‘fronts de parenté’ qui font coexister sur un espace réduit des grappes de ménages apparentés ». Ces unités domestiques complexes et dynamiques se caractérisent par des formes intenses d’échange et de solidarité : « travail en commun, circulation quasi-exclusive des professions dans la parenté, hébergements (des parents mais aussi des frères et sœurs) au moment de la vieillesse, etc. » (Hontebeyrie et Rosental 1998, p. 130-133)

À la différence du concept de « fusion de ménages », celui de « fronts de parenté » réussit à se détacher radicalement des concepts tels que « ménage » ou « famille » pour décrire un niveau de l’organisation domestique qui englobe plusieurs unités domestiques plus restreintes, plusieurs noyaux familiaux apparentés et dont l’étendue résidentielle peut comprendre plusieurs maisons et rues avoisinantes.

« Intimité à distance », « maisonnée » et « groupe de cause commune » : la recherche sur l’économie domestique dans la France contemporaine

La littérature relativement récente sur l’économie domestique dans la France contemporaine a été riche en termes de productions conceptuelles permettant de dépasser l’approche du ménage. Une partie importante de cette littérature a été développée autour de l’étude de la prise en charge quotidienne des personnes dépendantes. Les travaux de Geneviève Favrot-Laurens (1986), Attias-Donfut et Sylvie Renault (1994) et, plus récemment, ceux de Florence Weber et Agnès Gramain et coauteurs (Fontaine, Gramain et Wittwer 2007 ; Gojard, Gramain et Weber (eds.) 2003 ; Gramain et Weber 2001 ; Gramain et al. 2005), ont relevé le fait que, du point de vue des pratiques mobilisées autour du soin et de l’accompagnement d’une personne dépendante, des individus habitant des logements différents peuvent agir d’une façon semblable à ceux habitant un même logement. Ainsi, des relations quotidiennes entre individus apparentés ou proches qui n’appartiennent pas au même ménage peuvent se stabiliser de manière plus ou moins durable en fonction de la prise en charge des personnes dépendantes.

Ce corpus de littérature apporte une première distinction conceptuelle entre « intimité (ou cohabitation) partagée », où les rapports domestiques ont lieu en contexte de corésidence,

et « intimité (ou cohabitation) à distance », où le développement d’une « intimité » propre aux rapports quotidiens co-présentiels a lieu entre individus habitant des logements différents. Attias-Donfut et Renaut (1994) définissent l'intimité à distance comme une « formule d'habitat rapproché des générations [qui] représente une autre façon de vivre ensemble dans des espaces privés différenciés qui préservent l'intimité tout en permettant la proximité » (Attias-Donfut et Renaut 1994, p. 33).

S’intéressant aux manifestations de l’économie domestique au-delà de la prise en charge, Florence Weber a proposé une réappropriation de la catégorie anthropologique de « maisonnée ». Empruntant ce concept à l’anthropologie française du monde rural, et dans un effort pour dépasser le « grand partage » entre sociologie et anthropologie, Weber propose d’appliquer le concept de maisonnée à l’étude de la France urbaine contemporaine (Weber 2003). Cela, avec l’intention explicite de libérer l’analyse de la vie domestique des catégories juridico-administratives de « famille » et de « ménage », comme je l’ai mentionné précédemment (voir I.1.2)96. Dans ses premières formulations, Weber définit la maisonnée comme un « groupe d’individus qui partagent un même territoire domestique et entre lesquels s’établit une spirale d’échanges » (Weber 1998, p. 253). En parlant de « même territoire domestique », la question sur l’étendue spatiale des « spirales d’échanges » se libère des limites de la corésidence :

Le chez-soi ne se réduit pas au logement proprement dit, mais comprend une série de lieux appropriés collectivement, plus ou moins séparés du logement selon les cas, qui sont aussi, au même titre que le logement principal, des identifiants, des emblèmes ou des marqueurs du groupe domestique. (Ibid., p. 248)

C’est pourquoi, dans ses développements postérieurs, ce concept a été très utile pour saisir des unités domestiques transnationales en contextes migratoires, que l’on a appelées « maisonnées à distance » (Grysole 2018). Cela dit, le concept de maisonnée n’a pas pour vocation principale de saisir des unités résidentielles, mais des groupes de subsistance commune au sein desquels « les échanges n’apparaissent pas comme des moments isolables, mais prennent place dans une spirale ininterrompue » (Weber 1998, p. 253). Cette « logique de maisonnée » constitue pour Weber une dimension fondamentale de ce qu’elle appelle « parenté pratique » :

96 « [La maisonnée] ne correspond pas forcement au ménage (groupe de personnes cohabitantes) ni à la famille nucléaire (groupe constitué par un couple marié et ses enfants). » (Weber 2003, p. 89)

La maisonnée est donc définie comme l'unité de base de la parenté pratique, au sein de laquelle s'effectue une partie variable des tâches quotidiennes nécessaires à la survie matérielle de ses membres [...]. La maisonnée disparaît périodiquement pour laisser la place à des relations réciproques entre nouvelles maisonnées dans la parentèle. [...] Les mêmes personnes, au gré de leur histoire biographique, bien que toujours reliées entre elles par les mêmes relations de parenté (parents/enfants, germains), se trouvent à certains moments réunies au sein d'une seule maisonnée, à d'autres moments séparées par des relations de réciprocité le long d'un réseau de parentèle ». (Weber 2003, p. 89)

Ainsi, la notion weberienne de maisonnée a l'avantage d'être, par définition, le résultat émergent et dynamique de pratiques relationnelles effectives autour du problème de la subsistance commune entre des individus apparentés ou proches (incluant aussi des « quasi-parents »), cce qui permet de saisir les gradations qui vont des groupes d’intimité partagée jusqu’aux groupes d’intimité à distance.

Dans son évolution récente, notamment à partir de l’appropriation du terme par Sibylle Gollac, il me semble que le concept de maisonnée a gagné en précision conceptuelle et méthodologique comme unité d’analyse, c’est-à-dire quant aux critères par lequels ses contours se délimitent et il se constitue en tant qu’unité. Gollac a proposé de définir une maisonnée comme un « groupe de cause commune » dans le contexte de la vie domestique quotidienne :

La maisonnée désigne un groupe de coopération productive quotidienne, qui rassemble des personnes éventuellement apparentées et souvent corésidentes qui assurent ensemble la production nécessaire à la survie quotidienne de ses membres et se mobilisent autour de « causes communes » plus ou moins lourdes et exceptionnelles (comme la prise en charge de jeunes enfants, d’une personne âgée ou d’un adulte handicapé, ou comme l’entretien d’une maison, le fonctionnement d’une affaire familiale, etc.). (Gollac 2011, p. 187)

D’un point de vue analytique, l’identification d’une cause commune donnée, la prise en charge d’une personne dépendante par exemple, permet ensuite d’identifier de manière inductive les bornes d’une maisonnée. Ainsi, on peut, par exemple, identifier plusieurs maisonnées qui opèrent simultanément dans un groupe de parenté, dont les bornes ne coïncident pas nécessairement entre elles. Dans sa récente ethnographie sur les circulations transnationales d’enfants en contexte de migration des classes moyennes sénégalaises, Amélie Grysole (2018) montre la constitution de maisonnées simultanées au sein de groupes larges de parenté, autour de causes communes très spécifiques. Par exemple, les individus qui se chargent de l’alimentation quotidienne ne sont pas les mêmes que ceux qui s’occupent de la prise en charge des enfants dans une maison donnée. En même temps, autour d’une cause commune comme la scolarité des enfants, la maisonnée peut être constituée par des individus qui habitent dans la

même maison que l’enfant au Sénégal (qui s’assurent que l’enfant fait ses devoirs), d’autres qui habitent dans des maisons voisines (qui amènent l’enfant à l’école) et d’autres qui habitent aux États-Unis (qui envoient l’argent pour payer les frais de l’école privée et les fournitures scolaires).

Si la redéfinition de la maisonnée comme groupe domestique de cause commune est méthodiquement très efficace, il me semble important de souligner que, d’un point de vue terminologique et conceptuel, il n’est pas possible de les considérer comme synonymes. Dans le concept de « groupe de cause commune », on explicite, en effet, seulement la dimension de l’économie domestique, alors que la référence au « territoire » domestique partagé, où les spirales d’échange ont lieu, reste implicite. Or, la racine « maison » du concept de maisonnée conserve cette référence à la spatialisation.

« Famille-entourage locale » : la recherche sociodémographique sur la parenté contemporaine en Europe

Les propositions conceptuelles cherchant à se distancer de l’approche du ménage précédemment évoquées sont issues de disciplines distinctes de la démographie, où cette approche a vu le jour. Or, il est très intéressant de souligner qu’en France, c’est au sein même de la démographie qu’un mouvement critique de l’approche du ménage s’est développé à partir des années 1990. Depuis l’Institut National d’Études Démographiques (INED), et dirigé par Catherine Bonvalet, un ensemble de travaux ont été menés de manière systématique, en combinant des données quantitatives et qualitatives, pour comprendre et expliquer les modes d’organisation résidentielle et domestique des familles françaises.

Partant du même constat du réductionnisme et du manque de précision conceptuelle des concepts de « ménage » et « famille », Bonvalet et Lelièvre (1995) ont proposé la notion d'« entourage » familial, afin de pouvoir saisir les contours que prennent les rapports fréquents et intenses entre des personnes apparentées dans le contexte urbain contemporain. Leurs données ont montré que la « famille-entourage » peut prendre forme à travers plusieurs morphologies concrètes, chacune étant le résultat de déterminants spécifiques et ayant des