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Les va-et-vient et la souplesse des jeux résidentiels

CHAPITRE 1. La catégorie allegamiento au Chili : variations sur une conception locale du rapprochement résidentiel familial

II. Silvia « passe » tous les soirs

II.3. Les va-et-vient et la souplesse des jeux résidentiels

Pendant l’entretien, j’essayais de bien distinguer les nombreux mouvements résidentiels qu’ont connus Sergio et Silvia, tout au long de leur vie commune. Alors, Silvia a lancé une phrase, qui, pour elle, résumait l’ensemble de leur trajectoire : « Nous avons transité par

beaucoup d’endroits, mais toujours ici même » (E59, 2014). En revenant plus tard sur cette

phrase, je me suis étonnée du fait qu’il s’agit d’une véritable « formule », c’est-à-dire d’une manière très synthétique de donner beaucoup d’informations. Elle résume les éléments fondamentaux d’une trajectoire résidentielle assez complexe et, en utilisant un langage paradoxal, elle rend bien compte des tensions qui en font partie, comme j’essaierais de le montrer par la suite.

J’ai pu identifier neuf déménagements du couple en vingt-cinq ans. Cela implique, jusqu’en 2002, au moins un déménagement tous les deux ou trois ans, ce qui représente une trajectoire résidentielle assez mouvementée (« nous avons transité par beaucoup d’endroits »). Néanmoins, ces nombreux déménagements n’ont jamais dépassé une distance de 1,5 kilomètres environ (« mais toujours ici même »), et s’articulent autour de deux pôles : la maison de Gloria, la sœur aînée de Mario, et l’impasse où se trouve la maison des parents de Silvia. Regardés dans leur ensemble, ces mouvements résidentiels tracent un modèle assez cohérent : “ils consistent en des rapprochements et des éloignements successifs du couple par rapport à la maison des parents de Silvia”. C’est justement au moment où elle a pris conscience du caractère très répétitif de leurs mouvements résidentiels, que Silvia a éclaté de rire et a lancé la formule évoquée plus haut.

Les va-et-vient

Dans la figure 11, j’ai essayé de schématiser cette trajectoire. La maison des parents de Silvia (A) se trouve dans une impasse avec un accès privé, où il y a dix-huit maisons identiques

et mitoyennes disposées en « u ». Dans cet ensemble, la maison des parents Erler est la « maison

E ». Alors qu’ils habitaient encore dans le petit « appartement d’intérieur » (C0), situé dans la cour de la maison de la sœur de Sergio (B), le couple a commencé à chercher une maison plus spacieuse pour la louer, lorsque Silvia est tombée enceinte de leur deuxième enfant. Ils ont alors trouvé disponible la maison contiguë à celle des Erler, la « maison D » (C1) :

SERGIO : Après, nous sommes partis…

SILVIA : Dans une maison là-même, ici, à côté…

SERGIO : C’est la maison suivante, nous avons loué celle-là, la D. (E59, 2014)

Lorsque je leur ai demandé comment et qui avait trouvé cette maison, Silvia m’a répondu :

SILVIA : C’était parce que nous venions toujours là [rires] ! Alors, je ne sais plus qui nous l’a dit, je ne sais pas si c’est ma mère, je ne m’en rappelle pas. Car je viens toujours voir ma mère, alors, je ne sais pas si c’était nous-mêmes qui l’avons découverte ou si ma mère nous a prévenus [...]. Cette opportunité est juste apparue, sûrement car nous avions des contacts. (E59, 2014)

Il y a plusieurs éléments à souligner dans cette réponse. D’abord, le fait que selon Silvia, elle et son mari avaient l’habitude de « venir toujours » chez sa mère. Cela explique, d’une part, le fait qu’ils aient été au courant des offres de location de maisons dans les alentours et, d’autre part, qu’ils y avaient « des contacts ». Silvia est née dans la maison où ses parents habitent encore ; ils connaissent donc très bien les habitants de l’impasse. De plus, ces passages quotidiens, très souvent à pied, chez les parents de Silvia, expliquent aussi que le couple ait été intéressé par l’opportunité de déménager dans une nouvelle maison permettant de poursuivre cette habitude. Cela, d’autant plus qu’ils avaient un enfant en bas âge et un autre qui allait bientôt arriver et que les parents Erler F. étaient souvent disponibles pour les garder chez eux66. Ensuite, est également mentionné dans cet extrait le rôle qu’aurait éventuellement joué Adriana, la mère de Silvia, en les prévenant de la disponibilité de la maison voisine, ce qui suggère un intérêt aussi de la part des parents Erler F. à préserver ou à accroître le rapprochement résidentiel avec leur fille.

Lorsque je leur ai demandé comment et qui avait trouvé cette maison, Silvia m’a répondu :

66 Selon mes interlocuteurs, les parents de Sergio étaient, eux aussi, très disponibles pour garder leurs petits-enfants. Cependant, ils étaient beaucoup plus âgés que les grands-parents maternels et leur santé s’était détériorée avant la naissance de leurs derniers petits-enfants.

SILVIA : C’était parce que nous venions toujours là [rires] ! Alors, je ne sais plus qui nous l’a dit, je ne sais pas si c’est ma mère, je ne m’en rappelle pas. Car je viens toujours voir ma mère, alors, je ne sais pas si c’était nous-mêmes qui l’avons découverte ou si ma mère nous a prévenus [...]. Cette opportunité est juste apparue, sûrement car nous avions des contacts. (E59, 2014)

Il y a plusieurs éléments à souligner dans cette réponse. D’abord, le fait que selon Silvia, elle et son mari avaient l’habitude de « venir toujours » chez sa mère. Cela explique, d’une part, le fait qu’ils aient été au courant des offres de location de maisons dans les alentours et, d’autre part, qu’ils y avaient « des contacts ». Silvia est née dans la maison où ses parents habitent encore ; ils connaissent donc très bien les habitants de l’impasse. De plus, ces passages quotidiens, très souvent à pied, chez les parents de Silvia, expliquent aussi que le couple ait été intéressé par l’opportunité de déménager dans une nouvelle maison permettant de poursuivre cette habitude. Cela, d’autant plus qu’ils avaient un enfant en bas âge et un autre qui allait bientôt arriver et que les parents Erler F. étaient souvent disponibles pour les garder chez eux67. Ensuite, est également mentionné dans cet extrait le rôle qu’aurait éventuellement joué Adriana, la mère de Silvia, en les prévenant de la disponibilité de la maison voisine, ce qui suggère un intérêt aussi de la part des parents Erler F. à préserver ou à accroître le rapprochement résidentiel avec leur fille.

67 Selon mes interlocuteurs, les parents de Sergio étaient, eux aussi, très disponibles pour garder leurs petits-enfants. Cependant, ils étaient beaucoup plus âgés que les grands-parents maternels et leur santé s’était détériorée avant la naissance de leurs derniers petits-enfants.

FIGURE 11 :TRAJECTOIRE RESIDENTIELLE DU COUPLE VARGAS E. PAR RAPPORT AUX PARENTS ERLER F.(1989-2014)

SOURCE :ÉLABORATION PERSONNELLE

SOURCE : ÉLABORATION PERSONNELLE

Maisons de Silvia et Sergio Zoom Distance en km/min en voiture Direction du déménagement C 1-4 Maison des parents de Silvia (A) et de la sœur de Sergio (B)

En 1992, les Vargas E. ont donc loué la maison contiguë à celle des parents de Silvia. Cette maison convenait mieux à la nouvelle taille de la famille, qui comptait déjà deux enfants. Néanmoins, ils n’y sont restés que trois ans. Selon Sergio, « nous aurions

pu y rester », mais les anciens locataires de la maison principale de sa sœur sont partis

(Gloria vivait à ce moment-là dans le Sud), et celle-ci l’a proposée en location à son frère. Cette offre était liée au fait que Sergio venait de perdre son emploi :

SERGIO : Pendant ce temps-là, on habitait dans cette maison ici [la maison D], mais j’ai perdu mon emploi. J’ai commencé à travailler occasionnellement avec mon frère et un autre ami dans l’entreprise de construction, mais c’était pas un travail stable. Alors, dans l’entre-temps, on est allés vivre dans la maison de ma sœur. (E59, 2014)

Même s’ils payaient un loyer, Silvia et Sergio considèrent que celui-ci était bas par rapport à la taille et au confort de cette maison (« c’était une maison beaucoup plus

grande, avec beaucoup plus de jardin ») ; et du fait de la situation professionnelle précaire

de Sergio, il était plus rassurant d’être locataire de sa sœur, dans l’éventualité où ils ne pourraient pas payer le loyer dans les délais accordés. Ils ont donc accepté l’offre de Gloria et, en 1995, ils ont refait le même chemin que trois ans auparavant, mais dans le sens inverse et pour s’installer cette fois-ci dans la maison principale (C2) : « nous sommes

revenus à nouveau dans la même maison, mais dans la maison principale ». (E59, 2014)

Un an plus tard, alors que Sergio avait retrouvé un emploi, Gloria a été contrainte de revenir s’installer à Santiago. Elle a alors demandé à son frère de libérer sa maison dans un délai d’un an. C’est Gloria elle-même qui a recommandé à son frère de profiter de ce nouveau déménagement pour s’acheter une maison et « arrêter de jeter l’argent à

la poubelle ». En suivant son conseil, Sergio et Silvia ont commencé à économiser pour

payer l’apport demandé pour le crédit immobilier, ainsi qu’à chercher une maison. Ils voulaient une « maison avec jardin, pas un appartement ». Ils ont alors envisagé deux arrondissements possibles : San Miguel, où ils avaient toujours habité, et La Florida, un arrondissement voisin en plein développement immobilier à ce moment-là et qui était devenu un vrai symbole de l’accès à la propriété pour les classes moyennes à Santiago68:

SERGIO : Nous avons regardé ici [à San Miguel] et à La Florida […], car c’étaient des maisons avec jardin […] et ce n’était pas loin d’ici. Mais, après coup, on s’est rendu compte que bien que

68 Voir figures 2 et 3 dans l’Introduction Générale. Plus loin dans la thèse, j’analyserai un autre cas issu des classes moyennes professionnelles où le couple a déménagé à La Florida. Voir chapitre 6 (I).

ce n’était pas loin, [il y a] le trafic, pour arriver et sortir de là-bas c’est un chaos, alors, heureusement qu’on n’y est pas partis. (E59, 2014)

Entre ces deux alternatives envisagées, ils ont finalement choisi de rester, encore une fois, « ici même ». Or, cela ne veut pas seulement dire dans le même arrondissement, San Miguel, mais littéralement « ici même » :

SERGIO : Il y a eu une opportunité avec la maison d’en face de ma belle-mère. On a commencé les négociations, mais à la fin, il y a eu un problème, on n’est pas arrivés à un accord. Mais là, cette maison-ci a été disponible, au même moment ! (E59, 2014)

« Cette maison-ci », celle qu’ils ont finalement achetée et où nos conversations

ont eu lieu, c’est en fait la « maison B » (C3 dans la figure 11) de la même impasse où se trouvent les maisons E et D déjà mentionnées. Il est intéressant de remarquer que la maison qu’ils ont failli acheter se trouvait aussi dans l’impasse en question (« en face de

ma belle-mère »). D’après cela, la préférence du couple pour cette impasse apparaît très

nettement, ainsi que le fait que les opportunités pour y trouver une maison à acheter n’ont pas manqué. En 1995, Silvia et Sergio ont alors parcouru une troisième fois les 1,5 kilomètres qui les séparaient des Erler F., quoique cette fois-ci pour accéder à la propriété.

Et les va-et-vient continuent, mais à petite échelle

Bien que les Vargas E. aient accédé à la propriété en achetant la maison qu’ils considèrent comme leur « maison définitive », leurs va-et-vient ne se sont pas arrêtés là. Comme on peut le voir dans la figure 11, la deuxième moitié de leur trajectoire résidentielle est marquée par trois moments, d’une durée variable, où ils ont dû déménager de manière temporaire chez les parents de Silvia. Pour la première fois dans l’histoire de la proximité résidentielle entre les couples Vargas E. et Erler F., ils ont connu la corésidence.

La première des corésidences a duré cinq mois. Elle était due au décalage entre le moment où Sergio et Silvia devaient rendre la maison à Gloria et celui où ils ont reçu les clés de la maison qu’ils ont achetée. Plus tard, en 1999, soit deux ans après s’être installés dans cette dernière, Sergio a de nouveau perdu son emploi. Si la première fois, ils avaient reçu un coup de main de la sœur de Sergio, qui leur avait offert de louer sa maison bon marché, cette fois-ci, ils ont reçu l’aide des parents de Silvia. Selon le récit d’Adriana, la mère de Silvia, lorsque son beau-fils a perdu son emploi, elle et son mari ont dit à leur

fille : « venez chez nous, louez votre maison, mais ne risquez pas de la perdre car vous

ne pouvez plus payer le crédit » (E67, 2014). Dans le récit de Sergio et Silvia :

SERGIO : [Il y avait] le crédit hypothécaire, les enfants à l’école [privée], le monde continue […]. Alors, nous avons [décidé] de mettre notre maison en location […] et nous sommes partis chez mes beaux-parents.

SILVIA : Une folie, car tu laisses toutes tes choses, car tu ne peux pas emporter tout chez ta mère, quoi […]. Cela a été triste, car les enfants avaient leurs chambres, leurs choses à eux.

SERGIO : Nous n’avons pris que les lits avec nous. (E59, 2014)

Ayant la possibilité de s’installer chez les Erler F., Silvia et Sergio ont mis leur maison en location, ce qui leur permettait de continuer à payer le crédit hypothécaire et de « ne pas risquer de la perdre ». Les maisons de l’impasse comportant trois chambres, le jeune couple en a occupé une et les deux enfants une autre, tandis que les parents de Silvia sont restés dans leur chambre. Comme l’exprime l’extrait cité ci-dessus, cette deuxième corésidence avec les Erler F. a été beaucoup plus difficile à vivre pour les Vargas E. que la première, puisqu’ils ont été contraints de partir de leur propre maison, mais aussi car le séjour a été beaucoup plus long. Un an après, en 2000, juste au moment où ils auraient pu revenir chez eux, puisque Sergio avait retrouvé un emploi, l’entreprise lui a offert un poste dans une autre ville au Sud du pays. N’étant pas en condition de refuser cette offre, il a dû partir seul, car il y avait l’école des enfants et le travail de Silvia à Santiago. Dans ces circonstances et ne voulant pas « rester toute seule », Silvia a décidé de ne pas rentrer chez elle et de continuer à habiter chez ses parents. Quelques mois plus tard, Adriana a été diagnostiquée d’un cancer. Selon Silvia, cela a été une « bonne

coïncidence », car elle était chez sa mère et pouvait la soutenir plus facilement pendant le

début de son traitement. Ce faisant, les Vargas E. sont restés pendant trois ans chez les Erler F. et ne sont rentrés dans leur maison qu’en 2002.

Le troisième séjour de corésidence est survenu beaucoup plus tard, suite aux dégâts subis par la maison de Silvia et Sergio lors du fort tremblement de terre de 2010. Ils y sont restés trois ou quatre mois, le temps des travaux de reconstruction. Ce dernier séjour est décrit avec humour par Silvia comme « un chaos » car ses parents accueillaient alors également leur petit-fils aîné – le fils de la sœur aînée de Silvia, qui habitait en banlieue –, ainsi qu’un cousin de Silvia – le fils du frère de son père – qui venait d’arriver du sud du pays. Comme il y avait tellement de monde, Sergio raconte que ses beaux-parents ont décidé de s’installer pendant quelques mois dans l’appartement que la sœur

de Silvia a à la plage, en « laissant les rênes [de la maison] à Silvia », et celle-ci ajoute

« oui ! Ils m’ont laissé leur maison, quoi [rires] ! » (E59, 2014).

Réversibilité et souplesse

On voit ici se produire un phénomène que l’on avait déjà entrevu dans l’analyse précédente sur la situation des Sabalsa R. À savoir, le fait que les enfants mariés qui ont déjà décohabité – plus fréquemment des filles, mais aussi des fils, comme on le verra dans d’autres cas –retournent vivre chez leurs parents dès qu’il se passe n’importe quel événement problématique. Lorsqu’il arrive quoi que ce soit qui met en cause le déroulement normal du quotidien, que ce soit de façon anticipée ou imprévue – par exemple, accouchement, maladie, chômage, aménagement, déménagement, conflits conjugaux –, la réponse la plus évidente est de rentrer chez les parents d’un des conjoints et de s’y s’installer temporairement, ce qui peut prendre de quelques semaines à plusieurs années.

Comme le cas des Vargas E. le montre de manière exemplaire, ce va-et-vient de la corésidence à une petite échelle s’inscrit dans un va-et-vient plus large, qui comprend ici une échelle de quelques rues, mais qui, dans d’autres cas, peut s’étendre bien au-delà. Par exemple, dans les situations où certains des enfants partent étudier ou travailler hors de la ville ou à l’étranger, et reviennent plus tard vivre auprès de leurs parents. On voit ainsi apparaître une « souplesse » des jeux résidentiels intergénérationnels, qui renvoie au caractère réversible dont semble revêtue l’expérience de la décohabitation des enfants adultes. Comme on l’a déjà vu au début du chapitre 1 à propos de l’histoire résidentielle de Victoria, tout se passe comme si les enfants comptent par défaut sur la disponibilité inconditionnelle de leurs parents pour les accueillir chez eux. Comme on le verra plus tard, cela n’est pas seulement le cas lorsque les relations parents-enfants sont harmonieuses, mais c’est aussi souvent le cas lorsqu’il y a des rapports conflictuels. Car, comme je le montrerai plus tard de manière plus approfondie, une telle attente ne découle pas de la qualité affective des relations filiales, mais de la qualité de la filiation « en soi », qui fait de cette attente une disposition de base, une sorte d’obligation morale dont le manque est objet de plaintes et de regrets. Ainsi, lorsque j’ai demandé à Silvia et Sergio comment les parents de Silvia avaient vécu leurs retours successifs, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient « rien à leur reprocher », qu’« ils n’ont jamais rien manifesté

[…] ils se sont adaptés à nous, au fait d’avoir des enfants à nouveau » (E59, 2014). De

son côté, Adriana m’a, elle aussi, dit : « pour nous, le fait de loger [les enfants,

petits-enfants, neveux] n’a jamais posé de problème ». (E67, 2014)

*

* *

L’analyse de la figure de l’« appartement d’intérieur », expression par laquelle Silvia et Sergio nomment la maison où a débuté leur vie de couple, me semble très éloquente d’une expérience indigène de la proximité résidentielle familiale. Celle-ci est caractérisée par un rapport ambigu, fait de tensions et de conciliations entre autonomie et dépendance résidentielle entre les générations, trait que j’ai pu rencontrer de manière transversale sur mon terrain, bien que sous des expressions variables : plus ou moins manifeste, conflictuel ou harmonieux, plus accentué du côté de l’autonomie ou de celui de la dépendance.

Chez les Vargas E., le vécu quotidien de la proximité résidentielle par rapport aux parents de Silvia, est fortement structuré par un type de pratique de la circulation entre les maisons, qui est exprimé dans le langage indigène par le verbe « passer ». Cette pratique se distingue clairement d’autres modalités de la circulation résidentielle, et donc d’actualisation de la coprésence ordinaire entre des individus habitant des maisons différentes, telles le fait de « déposer les enfants » ou « rendre visite ». La pratique exprimée par le verbe « passer » consiste à se rendre ou « apparaître » chez quelqu’un sans prévenir, souvent en rentrant sans même sonner, mais sans que cela constitue une véritable surprise, puisque cela se produit de manière routinière et assidue. Réciproquement, les uns savent que les autres vont « apparaître » à un moment ou un autre de la journée et attendent cette apparition. Si cela révèle une forte intimité entre les membres des différentes maisons, cette pratique suppose dans le même temps des rencontres brèves : en principe, on n’est pas censé s’installer longuement chez l’autre, mais seulement y « passer » pour « dire bonjour », vérifier que « tout va bien », sans pour