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1.1 Architecture neurophysiologique du système visuo-moteur

1.1.1 La voie rétino-géniculo-striée

Comme indiqué dans la Figure1.3, les 90% des fibres du nerf optique de chaque œil formant la voie rétino-géniculo-striée vont se rejoindre au niveau du chiasma optique afin de subir une semi- décussation. Les informations en provenance des hémirétines nasales de chaque œil (≈ 60% des fibres) vont décusser afin d’être projetées sur le CGL controlatéral, tandis que les fibres en prove- nance des hémirétines temporales (≈ 40% des fibres) vont continuer leur route vers le CGL ipsilatéral. Notons qu’à la proportion différente de fibres provenant des hémirétines nasale et temporale (Curcio & Allen,1990) s’ajoute une différence de densité, avec des projections de l’hémirétine nasale vers le CGL (Connolly & Van Essen,1984;Williams et al.,1995) et le CS (Sterling,1973;Hubel et al.,1975; Tigges & Tigges,1981;Itaya & Van Hoesen,1983) plus denses et plus larges que les projections de l’hémirétine temporale. Ces asymétries entre les hémirétines nasale et temporale vont jouer un rôle crucial pour notre propos. En effet, elles vont se répercuter tout au long des voies visuelles (Williams et al.,1995; Sylvester et al.,2007; Tychsen & Burkhalter,1997) et in fine engendrer des asymétries perceptives et motrices importantes. Ces asymétries seront traitées dans le Chapitre2 et étudiées dans lesArticles 4 et 5 de cette thèse.

Chaque CGL relaie ensuite l’information visuelle vers le V1 ipsilatéral. Par conséquent, toute l’in- formation visuelle présentée dans l’hémichamp visuel gauche (i.e., présentée à l’hémirétine nasale de l’œil gauche et à l’hémirétine temporale de l’œil droit) est traitée initialement par l’hémisphère cé- rébral droit, et toute l’information visuelle présentée dans l’hémichamp visuel droit (i.e., présentée à l’hémirétine nasale de l’œil droit et à l’hémirétine temporale de l’œil gauche) est traitée initialement par l’hémisphère cérébral gauche (voir Figure1.3). Concernant l’information perçue en fovéa, deux théories s’opposent : certains suggèrent qu’elle est traitée simultanément par les deux hémisphères, tandis que d’autres proposent que la partie gauche de la fovéa est traitée par l’hémisphère droit et sa partie droite par l’hémisphère gauche (pour revue, voir Ellis & Brysbaert,2010). Notons que les deux hémisphères peuvent communiquer entre eux à des stades ultérieurs du traitement de l’infor- mation (voirvan der Knaap & van der Ham,2011, pour revue), c’est pourquoi l’information visuelle périphérique est dite être traitée initialement par l’hémisphère controlatéral. Dans la voie rétino- géniculo-striée, ce traitement controlatéral de l’information visuelle s’effectue au niveau du CGL et de V1. Tout au long de cette voie visuelle, l’information est codée de manière rétinotopique. Cela signifie que deux points adjacents sur la rétine vont être traités par deux populations de neurones adjacentes du CGL et de V1.

Chaque CGL est organisé en six couches se distinguant par l’œil et par le type des cellules gan- glionnaires (M ou P) dont provient l’afférence rétinienne (voir Figure1.4). Ainsi, les axones issus des

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Figure 1.3 – La voie rétino-géniculo-striée. La semi-décussation des fibres du nerf optique en provenance des hémirétines nasales permet que l’hémichamp visuel gauche (en rouge) soit traité par le cortex visuel primaire droit, et que l’hémichamp visuel droit (en vert) soit traité par le cortex visuel primaire gauche. Chaque œil envoie ainsi des informations aux deux hémisphères, mais chaque hémisphère ne reçoit l’information que d’un seul hémichamp visuel. Figure adaptée deGazzaniga et al.(2001, pp.121-161)

cellules ganglionnaires de l’œil ipsilatéral forment des synapses sur les couches 2, 3 et 5 du CGL. Les couches 1, 4 et 6 reçoivent quant à elles les axones des cellules ganglionnaires de l’œil contro- latéral (Hubel,1988). De plus, les couches ventrales du CGL sont constituées de neurones ayant de plus gros corps cellulaires (cela se voit par la couleur plus foncée des couches 1 et 2 dans la Figure

1.4). Ces couches ventrales sont appeléesmagnocellulaires et reçoivent les axones de cellules gan- glionnaires de type M de la rétine. Les quatre couches les plus dorsales sont quant-à elles appelées parvocellulaires et reçoivent les axones des cellules ganglionnaires de type P de la rétine (Shapley & Perry,1986). Comme les cellules ganglionnaires dont ils reçoivent les afférences, les neurones des couches magnocellulaires ont de plus gros champs récepteurs que les neurones des couches parvo- cellulaires. Par ailleurs, la voie magnocellulaire est insensible aux longueurs d’ondes mais permet la

Figure 1.4 – Couches

cellulaires du CGL. Cette coupe transversale d’un

CGL de macaque montre

que chaque CGL est organisé en six couches. L’œil ipsila- téral projette sur les couches 2, 3 et 5 tandis que l’œil controlatéral projette sur les couches 1, 4 et 6. Figure adaptée deHubel(1988, p.65)

Chapitre 1. Le système visuo-moteur

détection des faibles contrastes, des basses fréquences spatiales et des variations temporelles. La voie parvocellulaire permet quant à elle la discrimination des longueurs d’ondes, des hautes fréquences spatiales et des détails (Shapley & Perry,1986).

L’information visuelle est ensuite projetée depuis le CGL vers le V1 ipsilatéral. C’est la pre- mière structure corticale en charge du traitement de l’information visuelle. Comme tout le néocor- tex, chaque V1 est organisé en six couches de neurones. Cependant, la couche IV du cortex visuel peut être subdivisée en trois sous-couches IVA, IVB et IVC. Les neurones du CGL projettent es- sentiellement vers la couche IVC, cette dernière pouvant d’ailleurs être encore subdivisée en deux sous-couches additionnelles, les couches IVCα et IVCβ (Livingstone & Hubel, 1988). En effet, les couches magnocellulaires du CGL projettent sur la couche IVCα et les couches parvocellulaires du CGL projettent sur la couche IVCβ. Tout au long de la voie rétino-géniculo-striée, la ségrégation entre les voies magno- et parvocellulaires est donc préservée. La couche IVC de V1 projette en- suite vers les cellules pyramidales des couches III et IVB. Ce sont ces dernières qui se chargeront de transmettre l’information visuelle aux autres structures cérébralesvia la substance blanche.

Comme le montre la Figure1.5, à cette organisation laminaire de V1 s’ajoute une organisation en colonnes. En effet, les travaux deHubel & Wiesel(1962,1969,1977) ont révélé que la couche IVC du cortex visuel était organisée en colonnes de dominance oculaire, recevant alternativement les fibres en provenance de l’œil gauche et de l’œil droit. Au total, ces études montrent que la couche IVC est agencée en petites portions de cortex en fonction du type des cellules ganglionnaires et de l’œil dont proviennent les afférences. C’est seulement lors de la projection des cellules de la couche IVC vers les couches III et IVB que les informations des deux yeux commencent à se combiner. En revanche, la ségrégation entre les couches parvocellulaire et magnocellulaire reste conservée dans la mesure où la couche IVCα (magnocellulaire) projette principalement vers la couche IVB tandis que la couche IVCβ (parvocellulaire) projette vers la couche III. Par ailleurs, hormis la couche IV, toutes les couches de V1 sont organisées en colonnes d’orientation regroupant des neurones répondant sélectivement à une orientation donnée. Dans V1, seules la couche IV et de petites zones appelées «taches » sont insensibles à l’orientation du stimulus visuel. Les taches sont en revanche les seules zones (en dehors de la couche IVCβ) sensibles aux changements de longueur d’onde. Au final, toutes

Figure 1.5 –Organisation en colonnes du cortex visuel primaire. La couche IVC du cortex visuel primaire est organi- sée en colonnes de dominance oculaire re- cevant alternativement les informations de l’œil gauche et de l’œil droit. Les autres couches de V1 sont majoritairement bino- culaires. Par ailleurs, excepté la couche IV toutes les couches de V1 sont organisées en colonnes d’orientation. Les « taches » sont les seules zones de ces couches insensibles à l’orientation des stimuli vi- suels. Figure tirée de Bear et al. (2007, p.347)

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les zones en dehors des taches permettent de coder la forme des objets, et les taches permettent d’en coder la couleur.

Grâce à l’étude des troubles présentés par deux patientes cérébro-lésées,Goodale & Milner(1992) (voir aussiUngerleider & Mishkin,1982;Goodale et al.,1994) ont proposé qu’après V1 le traitement de l’information visuelle se divise en deux voies corticales. La première patiente, DF, présentait une lésion bilatérale du cortex occipito-temporal suite à un empoisonnement au monoxyde de carbone. Cela a provoqué chez elle une agnosie visuelle des formes : elle était incapable de reconnaitre la forme, la taille et l’orientation des objets. DF était cependant tout à fait capable de réaliser des ac- tions visuellement guidées telles que saisir un objet (même si elle ne pouvait l’identifier visuellement) ou orienter sa main pour la faire passer à travers une fente. Cela suggère que la réalisation d’actions visuellement guidées n’était pas impactée par sa lésion occipito-temporale bilatérale. La deuxième patiente, RV, présentait quant à elle de larges lésions bilatérales du cortex occipito-pariétal suite à un accident vasculaire cérébral (AVC) à la jonction des artères cérébrales moyenne et postérieure. Suite à cela, elle présentait une ataxie optique : elle était incapable de réaliser des actions visuellement guidées vers les objets de l’environnement. Bien qu’elle reconnaissait visuellement les objets qui lui étaient présentés, elle était par exemple incapable de les saisir manuellement. Les troubles présentés par DF et RV suggèrent alors une double dissociation entre la vision pour la perception, permettant l’identification des objets, et la vision pour l’action, permettant de réaliser des actions visuellement guidées vers les objets de l’environnement visuel. Les auteurs ont ainsi proposé que V1 transmette les informations visuelles au cortex temporal inférieur par une voie ventrale afin d’identifier les ob- jets (voie de la «vision pour la perception », atteinte chez DF), et au cortex pariétal postérieur par une voie dorsale afin de réaliser des actions visuellement guidées (voie de la «vision pour l’action », at- teinte chez RV). A l’époque, les auteurs proposent que ces deux voies du traitement de l’information visuelle soient distinctes et indépendantes.

Les théories actuelles soulignent néanmoins que ces deux voies visuelles sont largement inter- connectées et ne sont donc pas totalement indépendantes (pour revues, voirMilner,2017;Rossetti et al., 2017). De récentes études (Fourtassi et al., 2013, 2017; Pisella et al., 2015; Pisella, 2017) ont d’ailleurs montré que certaines actions visuellement guidées étaient gérées par la voie ventrale. Il a ainsi été proposé de réviser la dissociation classique entrevoie ventrale dédiée à la vision pour la perception et voie dorsale dédiée à la vision pour l’action par une dissociation en termes de temps de traitement de l’information visuelle. La voie dorsale serait la voie rapide et la voie ventrale la voie lente du traitement visuel (Morel & Bullier,1990;Bullier et al.,1996;Bullier,2001). Cela expliquerait que les actions rapides « automatiques » soient gérées par la voie dorsale et les actions « volontaires » plus lentes par la voie ventrale. De la même manière, l’identification rapide de la forme globale des objets de l’environnement serait prise en charge par la voie dorsale tandis que la voie ventrale serait en charge de l’identification plus lente des détails de ces objets (Pisella,2017). De façon plus géné- rale, une vision dichotomique n’est peut-être pas la plus appropriée pour rendre compte justement de l’organisation réelle des voies visuelles (Rossetti et al.,2017). En plus de leurs connexions avec les autres aires cérébrales, les aires visuelles communiquent également entre elles, par un réseau com- plexe composé de plus de 300 connexions réciproques (Felleman & Van Essen, 1991). Les théories

Chapitre 1. Le système visuo-moteur

actuelles concernant les relations entre perception et action doivent donc prendre en compte ces connexions, et ne plus considérer les deux voies corticales du traitement de l’information visuelle comme indépendantes l’une de l’autre. Le passage des aires visuelles dorsales aux aires visuelles ventrales signerait ainsi le passage graduel des traitements automatiques aux traitements contrôlés (Pisella,2017;Rossetti et al.,2017).

Les relations entre perception et action peuvent également être examinées grâce à l’étude des saccades oculaires, qui montre par exemple que l’exécution d’un programme moteur vers un objet peut modifier notre perception de l’objet visé (e.g., Ross et al.,2001; Collins & Doré-Mazars,2006; Goettker et al.,2018). Ces mouvements oculaires très rapides sont analysés dans chacune des études présentées dans cette thèse. Dans la section suivante, je décrirai comment les saccades oculaires sont initiées,i.e., comment l’information visuelle de V1 est transformée en commande motrice pour contracter ou relâcher les muscles extra-oculaires.