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3.2 La dominance oculaire de visée

3.2.2 Mesurer l’intensité de la dominance oculaire de visée

Des études ont montré que le choix de l’œil dominant de visée pouvait dépendre de facteurs contextuels tels que la position de l’œil dans l’orbite ou la main utilisée (Khan & Crawford,2001; Carey,2001;Carey & Hutchinson,2013). Comme illustré en Figure3.1b,Khan & Crawford(2001) ont présenté à leurs participants onze anneaux répartis horizontalement à hauteur des yeux sur la tota- lité du champ visuel, de 50° à gauche à 50° à droite. A chaque essai, une indication sonore indiquait aux participants l’anneau qu’ils devaient saisir. Ils devaient maintenir leur regard fixe sur l’endroit où était accroché l’anneau indiqué et approcher ce dernier de leur visage dans un mouvement fluide du bras, sans le faire sortir de la « ligne de visée ». Les auteurs recueillaient ensuite l’œil vers lequel était dirigé l’anneau. Afin que le facteur manipulé soit bien l’orientation des yeux dans l’orbite et non l’orientation de la tête par rapport au tronc, cette dernière était maintenue droite pendant toute l’expérience grâce à une mentonnière. Les résultats montrent qu’à partir de 15.5° d’excentricité les participants approchaient toujours l’anneau vers l’œil ipsilatéral, quelle que soit la dominance ocu- laire initiale du participant. Notons cependant que bien que ce résultat était trouvé pour les deux mains, l’angle à partir duquel l’œil de visée basculait dépendait de la main utilisée pour réaliser la tâche. De manière intéressante,Carey & Hutchinson(2013) ont proposé d’utiliser la valeur d’angle à partir de laquelle se faisait la bascule comme indicateur de l’intensité de la dominance oculaire. Plus l’angle à partir duquel le participant n’utilise plus son œil dominant (mesuré par letest du trou dans la carte) est grand, plus l’intensité de la dominance oculaire serait élevée. Cependant, tout comme Khan & Crawford (2001), ils montrent que leur mesure dépend de la main utilisée pour réaliser la tâche : les participants avaient tendance à viser plus souvent avec l’œil ipsilatéral à la main utilisée. Il est alors délicat d’utiliser une mesure dépendante de la main utilisée pour quantifier l’intensité de la dominance oculaire.

L’équipe de Dalton (Dalton et al., 2015; Ho et al., 2018) a par la suite proposé une adaptation dunear-far alignment test dans laquelle les participants étaient placés devant une échelle graduée et devaient aligner leurs deux index joints avec une croix située au centre de l’échelle (voir Figure

3.1c). L’utilisation simultanée des deux mains empêchait ici toute contamination de la mesure de dominance oculaire par un éventuel effet de la main utilisée pour réaliser le test. Les participants devaient fermer un œil et indiquer la graduation sur laquelle leurs index s’étaient « déplacés » (du fait de la vision binoculaire, l’occlusion d’un œil donne l’impression que les objets se déplacent ipsilatéralement dans l’espace). Les participants répétaient ensuite l’opération en fermant l’autre œil. Les auteurs proposent que l’œil dominant est celui pour lequel le déplacement est le plus petit lorsqu’il est ouvert. Autrement dit, c’est celui engendrant le déplacement le plus grand sur l’échelle

Chapitre 3. La dominance oculaire

lorsqu’il est fermé. Pour obtenir le « score » de dominance oculaire, Dalton et al. (2015) puis Ho et al.(2018) proposent d’additionner les mesures obtenues avec l’œil gauche et l’œil droit. Un score négatif indiquerait alors une dominance oculaire gauche et un score positif une dominance oculaire droite. De plus, ils montrent que les scores inférieurs à 2 en valeur absolue sont le signe d’une faible dominance oculaire tandis que les scores supérieurs à 2 signent une forte dominance oculaire. Comme la dominance oculaire perceptive, il semblerait donc que la dominance oculaire de visée se mesure de manière quaternaire. Notons toutefois que la méthode proposée par l’équipe de Dalton présente plusieurs inconvénients. Premièrement, le score de dominance oculaire recueilli est basé sur une réponse orale concernant le percept des participants, auquel l’expérimentateur n’a pas accès. Il est alors difficile de vérifier que le participant réalise correctement le test. Cela est d’autant plus contraignant que certains participants expriment des difficultés pour aligner leurs doigts avec la croix, et perçoivent parfois deux images de leurs index joints. Dans le cas d’une image doublée, Ho et al.(2018) recommandent de demander au participant d’aligner le centre des deux images de doigts perçues avec la croix. Cependant, avec cette méthode le score de dominance obtenu est alors irrémédiablement proche de zéro. Le deuxième inconvénient est que la méthode de Dalton est basée sur le near-far alignment test, qui est loin d’être le test le plus fiable pour estimer la dominance oculaire (Handa et al.,2004b;Seijas et al., 2007; Rice et al.,2008). Notons d’ailleurs que lors d’une analyse supplémentaire des données présentées dans l’Article 5 (page175,Tagu et al.,2018a), nous avons montré que chez un même individu l’œil dominant obtenu au test de Dalton ne correspondait pas toujours à celui obtenu autest du trou dans la carte. Enfin, le troisième inconvénient de cette méthode est que le score de dominance obtenu varie en fonction de la distance utilisée pour réaliser le test (Ho et al.,2018), ce qui met en doute sa fiabilité.

Vergilino-Perez et al.(2012a) ont proposé de quantifier l’intensité de la dominance oculaire par l’analyse des différences individuelles trouvées sur l’ANT des pics de vitesse des saccades. En ef- fet, certains individus ne montrent aucune ANT sur le pic de vitesse, et ce quel que soit le type de saccades étudié (Boghen et al.,1974;Täumer et al.,1976;Abel et al.,1983;Galley,1989). Vergilino- Perez et al.(2012a) ont effectué un enregistrement binoculaire des mouvements oculaires des par- ticipants, qui devaient réaliser des saccades vers une cible apparaissant à 5°, 10° ou 15° à gauche ou à droite d’une croix de fixation centrale. L’expérience comprenait quatre blocs d’essais, dont un en gap-200, un en step et un en overlap-600 pour induire respectivement des saccades express, réactives et volontaires (voir les définitions dans le Chapitre 1, page 39). Le quatrième bloc était composé d’antisaccades : les participants devaient réaliser une saccade vers la position opposée à celle de la cible visuelle. Les participants étaient par ailleurs répartis en deux groupes selon leur dominance oculaire, mesurée par letest du télescope (Parson,1925). Les résultats sur le pic de vitesse, présentés en Figure3.3, montrent que si certains participants présentaient bien une ANT (i.e., pics de vitesse plus élevés vers la gauche avec l’œil gauche et vers la droite avec l’œil droit), d’autres présentaient des pics de vitesse toujours plus élevés pour les saccades dirigées vers l’hémichamp ipsilatéral à leur œil dominant, qu’elles soient nasales ou temporales (i.e., pics de vitesse plus rapides vers la gauche pour les deux yeux ou pics de vitesse plus rapides vers la droite pour les deux yeux). Le fait que le profil de pics de vitesse d’un participant donné ne varie pas selon le type de saccades (express,

3.2. La dominance oculaire de visée

Figure 3.3 –Patterns de pics de vitesse reflétant l’intensité de la dominance oculaire. Diffé- rences individuelles de pics de vitesse (en °/s) entre saccades vers la droite et saccades vers la gauche en fonction de l’œil (OG = œil gauche, OD = œil droit), de l’excentricité de la cible (5°, 10° ou 15°) et du type de bloc (step, overlap) pour deux sujets représentatifs de l’étude deVergilino-Perez et al. (2012a). Le sujet présenté en (a) montre des pics de vitesse toujours plus élevés vers un même hémi- champ quel que soit l’œil, signe d’une forte dominance oculaire (forte DO). Le sujet présenté en (b) montre quant à lui des pics de vitesse plus élevés vers la tempe (saccades vers la droite de l’œil droit et saccades vers la gauche de l’œil gauche) que vers le nez (saccades vers la gauche de l’œil droit et saccades vers la droite de l’œil gauche), signe d’une faible dominance oculaire (faible DO). * dif- férences significatives à p<.05,∼ différences marginales à p<.10. Figure adaptée de Vergilino-Perez et al.(2012a, p.3347).

réactives, volontaires, antisaccades) démontre la robustesse des résultats deVergilino-Perez et al. (2012a). Les auteurs ont proposé que les participants présentant une ANT classique (comme le sujet représentatif de la Figure3.3b) auraient une « faible » dominance oculaire tandis que ceux présen- tant un profil de pic de vitesse en lien avec leur œil dominant (comme le sujet représentatif de la Figure3.3a) auraient une « forte » dominance oculaire.Vergilino-Perez et al.(2012a) proposent ainsi une méthode de quantification de l’intensité de la dominance oculaire indépendante de la latéralité manuelle et fournissent une mesure objective à laquelle l’expérimentateur a directement accès. Il peut cependant paraître surprenant que les asymétries du système saccadique puisse être utilisées comme indicateurs de l’intensité de la dominance oculaire. Les liens entre ces deux facteurs seront étudiés dans l’Article 5, dans lequel nous proposons une origine neurophysiologique commune à la dominance oculaire et aux asymétries saccadiques dans V1. En effet, nous verrons dans la sec- tion suivante que l’œil dominant est en lien avec le V1 qui lui est ipsilatéral, et que cette relation pourrait contrecarrer l’ANT présente dans V1 entre les colonnes de dominance oculaire provenant de l’hémirétine nasale et celles provenant de l’hémirétine temporale (Tychsen & Burkhalter,1997; Toosy et al.,2001). L’Article 5 aura par ailleurs pour objectif d’affiner la quantification proposée par

Chapitre 3. La dominance oculaire

Vergilino-Perez et al.(2012a) afin d’aller au delà d’une mesure quaternaire et d’assigner à chaque individu un pourcentage de dominance oculaire.