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1.3 Les liens entre sélections saccadique et attentionnelle

2.1.1 Asymétries fonctionnelles

2.1.2 Préférences latérales . . . 57 2.2 Asymétries du système visuo-moteur . . . 59 2.2.1 Asymétrie naso-temporale . . . 59 2.2.2 Asymétrie centripète-centrifuge . . . 63 2.2.3 Autres asymétries du système visuo-moteur . . . 65

Dans le Chapitre 1, nous avons vu que les paramètres des saccades oculaires pouvaient être in- fluencés par les propriétés physiques des stimuli visuels et par les buts de l’observateur. L’un des objectifs de cette thèse est d’étudier si ces paramètres peuvent également être modulés par la do- minance oculaire des individus. Notamment, de par les bases neurophysiologiques de la dominance oculaire (abordées à la section 3.2.3 du Chapitre3), nous prévoyons que cette dernière engendre des asymétries entre les paramètres des saccades dirigées vers les hémichamps controlatéral et ip- silatéral à l’œil dominant. Cependant, avant d’étudier les asymétries liées à la dominance oculaire, nous devons connaître les asymétries préexistant dans le système visuo-moteur. Dans ce chapitre, avant d’aborder les asymétries du système visuo-moteur je présenterai les asymétries fonctionnelles classiquement décrites ainsi que les préférences latérales de l’Homme.

2.1

Asymétries « classiques »

2.1.1

Asymétries fonctionnelles

Bien qu’il soit désormais admis qu’une fonction cognitive donnée est gérée par un large ré- seau neuronal bi-hémisphérique (Bradshaw & Nettleton,1981), certaines latéralisations demeurent (Hervé et al.,2013). Bradshaw & Nettleton (1981) proposent que ces asymétries fonctionnelles se- raient des différences quantitatives plutôt que qualitatives : l’hémisphère « spécialisé » dans une

Chapitre 2. Asymétries perceptives et motrices

fonction cognitive donnée est celui dans lequel se situe le point de départ du réseau neuronal dédié à cette fonction cognitive, et dans lequel ce réseau est le plus étendu. Il n’a cependant pas l’exclu- sivité du contrôle de la fonction cognitive en question. Néanmoins, nous verrons que cet avantage quantitatif suffit à engendrer des asymétries comportementales importantes entre hémichamps vi- suels gauche et droit, et entre hémicorps gauche et droit (pour revues, voirSerrien et al.,2006;Dien, 2008). Il y a plus de cent-cinquante ans, Dax(1836) etBroca(1861) présentaient déjà leurs études des cerveaux de patients aphasiques, démontrant le rôle prépondérant de la troisième circonvolu- tion frontale gauche dans l’articulation du langage. Cette découverte a engendré de nombreuses recherches sur les relations entre fonctions langagières et hémisphère gauche, et amené notamment Wernicke (1900) à découvrir l’implication du cortex temporal gauche dans la compréhension du langage. Il faudra attendre plusieurs années pour que les chercheurs commencent à s’intéresser aux fonctions de l’hémisphère droit, et montrent sa relation avec les aptitudes visuo-spatiales (Semmes, 1968). La spécialisation de l’hémisphère droit pour les aptitudes visuo-spatiales va revêtir une im- portance cruciale pour notre propos étant donnée la nature visuo-spatiale de la tâche de saccades oculaires.

Ce sont les travaux de Roger W. Sperry qui vont dynamiser les recherches sur la spécialisation hé- misphérique et permettre sa popularisation auprès du grand public.Sperry(1981) a examiné les per- formances de patientssplit-brain, i.e., ayant subi une ablation du corps calleux, l’amas de substance blanche situé entre les deux hémisphères cérébraux et permettant à ces derniers de communiquer entre eux. Au début du vingtième siècle, le corps calleux était parfois sectionné en cas d’une épilepsie pharmaco-resistante afin d’éviter qu’elle ne se propage d’un hémisphère à l’autre.Sperrya montré que l’impossibilité des hémisphères de ces patients à communiquer entre eux permettait d’observer la réponse spécifique de chaque hémisphère à une tâche donnée. Pour cela, il a utilisé un paradigme en hémichamps visuels divisés consistant à maintenir le regard du patient en fixation centrale et à présenter un stimulus dans un hémichamp visuel uniquement. Ainsi, du fait du croisement des voies optiques (voir la Figure1.3du Chapitre1) le stimulus est traité par l’hémisphère controlatéral, et uniquement par cet hémisphère chez les patientssplit-brain puisque l’absence de corps calleux empêche le transfert inter-hémisphérique de l’information.Sperrymontre par exemple que la main droite (controlée par l’hémisphère gauche) des patientssplit-brain ne peut saisir que les objets pré- sentés dans leur hémichamp visuel droit, tandis que leur main gauche (contrôlée par l’hémisphère droit) ne peut saisir que les objets présentés dans leur hémichamp visuel gauche. Cette méthodolo- gie, qui a valu à Sperry l’obtention du Prix Nobel de Physiologie ou Médecine en 1981, a ensuite été largement utilisée afin de mettre en évidence la latéralisation des fonctions cognitives (pour revue, voirGazzaniga,2005). Ainsi, la capacité des patientssplit-brain à réaliser des tâches langagières dans leur hémichamp visuel droit uniquement (Gazzaniga,1982) et des tâches visuo-spatiales dans leur hémichamp visuel gauche uniquement (Nebes,2005;Corballis et al.,1999) a confirmé la latéralisation des aptitudes langagières et visuo-spatiales dans les hémisphères gauche et droit, respectivement.

Les recherches menées sur des patientssplit-brain ont cependant été critiquées en raison de la présence de connexions inter-hémisphériques sous-corticales résiduelles (Lambert,1991;Corballis, 1994). L’ablation ne concerne d’ailleurs souvent qu’une partie du corps calleux, laissant un transfert

2.1. Asymétries « classiques »

possible de l’information d’un hémisphère à l’autre par les fibres restantes n’ayant pas été section- nées. Le transfert inter-hémisphérique de l’information revêt une importance cruciale pour le trai- tement cortical de l’information, et a inspiré une autre ligne de recherches s’y étant spécifiquement consacrée. Afin de mesurer le temps de transfert inter-hémisphérique chez les sujet sain,Poffenber- ger(1912) a proposé d’utiliser une tâche de détection visuelle dans un paradigme en champs visuels divisés. Dans son paradigme, les participants devaient maintenir leur regard en fixation centrale et une cible visuelle apparaissait aléatoirement dans leur hémichamp visuel gauche ou droit. Leur tâche était d’appuyer le plus rapidement possible sur un bouton-réponse avec l’une de leurs mains à l’apparition de la cible visuelle. Dans la tâche dePoffenberger (voir aussi Marzi, 1999, pour une description du paradigme), les participants devaient réaliser plusieurs blocs successifs en utilisant alternativement leur main gauche et leur main droite. Pour chacune des mains, la comparaison des temps de réaction manuels pour les cibles apparaissant à gauche et à droite permettait une estimation du temps de transfert inter-hémisphérique. Prenons l’exemple d’un bloc dans lequel les participants répondent avec leur main droite. Dans les essais dans lesquels la cible visuelle apparait dans l’hémi- champ droit, la stimulation visuelle est traitée par le V1 gauche. La main droite étant gérée par le cortex moteur primaire gauche, aucun transfert inter-hémisphérique de l’information visuelle n’est alors requis pour initier la réponse motrice manuelle. Cependant, lorsque la cible visuelle apparait dans l’hémichamp gauche, elle est traitée par l’hémisphère droit qui doit donc transmettre l’infor- mation visuelle au cortex moteur gauche afin d’initier la réponse motrice de la main droite.Poffen- berger(1912) propose d’estimer le temps de transfert inter-hémisphérique en soustrayant les temps de réaction obtenus à ces deux conditions, et ce pour chacune des mains. Les conditions dans les- quelles les participants répondent avec leur main droite donneraient alors une estimation du temps de transfert de l’information visuelle de l’hémisphère droit vers l’hémisphère gauche, tandis que les conditions dans lesquelles ils répondent avec leur main gauche donneraient une estimation du temps de transfert de l’hémisphère gauche vers l’hémisphère droit. La méta-analyse deMarzi et al. (1991) sur seize études ayant utilisé le paradigme de Poffenberger suggère que le temps de trans- fert inter-hémisphérique n’est pas équivalent selon l’hémisphère dont l’information provient (voir aussiMarzi,2010). Il serait en effet plus rapide de l’hémisphère droit vers l’hémisphère gauche (≈2.3 ms en moyenne) que de l’hémisphère gauche vers l’hémisphère droit (≈5.3 ms en moyenne). Nous verrons cependant dans la section3.2.4du Chapitre3que cette asymétrie de temps de transfert de l’information pourrait être liée à la dominance oculaire des individus (Chaumillon et al.,2014).

Ensemble, les études utilisant le paradigme de Poffenberger et celles impliquant des patientssplit- brain ont amené le transfert inter-hémisphérique au cœur des recherches s’intéressant aux asymé- tries fonctionnelles. La théorie de Banich propose d’ailleurs que les hémisphères ne fonctionnent que très rarement séparément (Banich, 1998; Weissman & Banich,2000; Banich,2003; Yoshizaki et al., 2007). Cela ne serait le cas que pour l’exécution de tâches simples (e.g., juger si deux lettres sont perceptivement identiques : « A » est identique à « A » mais différent de « B »). Pour la réalisation de tâches plus complexes (e.g., juger si deux lettres ont le même nom : « A » a le même nom que « a » mais pas que « b »), les deux hémisphères seraient recrutés afin de combiner leurs ressources et de réaliser la tâche le plus efficacement possible (Weissman & Banich,2000). Notons toutefois que cette

Chapitre 2. Asymétries perceptives et motrices

théorie conserve le postulat que la plupart des fonctions cognitives seraient initialement traitées par un hémisphère donné. Il semblerait que cette latéralisation engendre un avantage attention- nel dans l’hémichamp controlatéral à l’hémisphère spécialisé pour la tâche à réaliser (Kinsbourne, 1970). Ainsi, lors de la réalisation d’une tâche de nature langagière (comme par exemple une tâche de décision lexicale), nos performances sont meilleures (pourcentages de bonnes réponses plus éle- vés ou temps de réaction plus courts) lorsque le mot est présenté dans l’hémichamp visuel droit que lorsqu’il est présenté dans l’hémichamp gauche (e.g.,Mishkin & Forgays,1952;Nicholls et al., 2001; Hunter & Brysbaert,2008;Vergilino-Perez et al., 2012b). A l’inverse, nos performances sont meilleures dans l’hémichamp visuel gauche que dans l’hémichamp droit pour la réalisation d’une tâche visuo-spatiale comme par exemple l’évaluation de la distance entre deux cibles ou l’évaluation de la symétrie d’une figure géométrique (e.g.,Kimura,1973;Sheehan & Smith,1986;Brysbaert,1994; Marsolek et al.,2002).

La relation entre la partie gauche de l’espace et la spécialisation de l’hémisphère droit pour l’at- tention visuo-spatiale peut également être abordée par la clinique et l’étude de patients héminégli- gents (pour revues, voirVallar,1993,1998). Suite à une lésion de la jonction temporo-pariétale droite, ces patients sont incapables de porter attention à la partie gauche de l’espace, et parfois même à leur hémicorps gauche. Lors de la copie d’un dessin ou lors de l’estimation du milieu d’une ligne, ces pa- tients ne vont alors recopier que la partie droite du dessin ou réaliser une erreur de bissection vers la droite (e.g.,Kandel et al.,2000;Kerkhoff,2001). Certaines patientes ou certains patients vont même jusqu’à ne se maquiller ou ne se raser que la partie droite de leur visage (Bartolomeo et al.,2007;Ma- kashvili & Nikoleishvili,2017). Les troubles attentionnels bien plus prononcés et handicapants des patients héminégligents par lésion droite que des patients héminégligents par lésion gauche (Val- lar, 1998) ont considérablement renforcé l’idée d’un contrôle majoritairement droit des fonctions visuo-spatiales, et plus particulièrement de l’attention visuo-spatiale (Mesulam,1981,1999;Nicholls & Roberts,2002; Thiebaut de Schotten et al.,2011;Toba et al.,2011; Szczepanski & Kastner,2013). Chez le sujet sain, les performances à une tâche de bissection de lignes semblent également rendre compte de la latéralisation de l’attention visuo-spatiale. Contrairement aux patients héminégligents, les participants sains n’estiment pas le milieu d’une ligne plus à droite qu’il ne l’est, mais plus à gauche (Bowers & Heilman,1980). Ce phénomène, baptisépseudonégligence, serait du à l’implica- tion majoritaire de l’hémisphère droit dans la tâche de bissection de lignes (en raison de la nature visuo-spatiale de la tâche). Cela engendrerait une sur-représentation de l’hémi-espace gauche, ame- nant à la négligence d’une partie de l’hémi-espace droit (pour revue, voirJewell & McCourt,2000). C’est ce qui a par la suite été appelé un biais attentionnel vers l’hémichamp gauche, présent lors de la réalisation de tâches visuo-spatiales en raison de la spécialisation de l’hémisphère droit pour l’attention visuo-spatiale (e.g.,Mesulam,1981,1999;Nicholls & Roberts,2002;Toba et al.,2011;Zago et al.,2017). Ce biais attentionnel a été confirmé par les données de la neuro-imagerie (e.g.,Szcze- panski & Kastner,2013;Zago et al.,2017) montrant une activation majoritaire de l’hémisphère droit lors de la réalisation de tâches visuo-spatiales. Il semblerait que l’une des principales composantes du réseau attentionnel soit le faisceau longitudinal supérieur (FLS) faisant communiquer les cortex pariétal et frontal (pour revue, voir Corbetta & Shulman,2002). Grâce à l’imagerie par résonance

2.1. Asymétries « classiques »

magnétique par tenseur de diffusion (analyse du réseau de substance blanche),Thiebaut de Schot- ten et al. (2011) ont examiné comment l’anatomie du FLS différait entre les deux hémisphères. Le FLS est décomposable en trois sous-faisceaux : les FLS dorsal (FLS I), médian (FLS II) et ventral (FLS III). Les auteurs montrent que si le FLS I est distribué symétriquement entre les deux hémisphères, le FLS II a tendance à être plus dense dans l’hémisphère droit que dans l’hémisphère gauche, et le FLS III est fortement latéralisé à droite. De manière intéressante,Thiebaut de Schotten et al.(2011) montrent que le degré de latéralisation du FLS II corrèle avec le degré de pseudonégligence observé chez les individus. Autrement dit, les individus ayant un FLS II très latéralisé à droite sont ceux pour qui l’erreur de bissection est la plus à droite lorsqu’ils doivent estimer le milieu d’une ligne. Il semblerait ainsi que la bissection de ligne soit une tâche permettant d’estimer ledegré de latéralisa- tion de l’attention visuo-spatiale, et donc l’intensité du biais attentionnel présenté par des individus neurologiquement sains (voir aussiZago et al.,2017).

Il est important de garder à l’esprit que ce biais attentionnel n’est pas restreint à la tâche de bissection et peut être observé lors de la réalisation de nombreuses tâches visuo-spatiales. Lors d’une tâche de recherche visuelle consistant à indiquer l’identité d’une lettre (dire si c’est un « X » ou un « N ») présentée parmi d’autres lettres, Thomas & Nicholls (2018) ont par exemple montré que l’apparition soudaine d’un distracteur (un personnage de dessin animé) dans l’hémichamp visuel gauche améliorait les performances (i.e., diminuait les temps de réaction manuels pour répondre quant à l’identité de la cible) comparé aux essais sans distracteur. L’apparition d’un distracteur dans l’hémichamp visuel droit n’affectait cependant pas les performances des participants comparé à la situation sans distracteur, suggérant que cet effet était lié au biais attentionnel vers la gauche. Cela va avoir une importance cruciale pour notre propos dans la mesure où lesArticles 1 & 2 de cette thèse traitent de l’influence de la dominance oculaire sur les effets des distracteurs sur les paramètres des saccades. Nous verrons d’ailleurs que les effets du biais attentionnel sur l’EG et le RDE coexistent avec ceux de la dominance oculaire. Notons toutefois que contrairement aux études présentées dans cette thèse, dans l’expérience deThomas & Nicholls(2018) les participants devaient maintenir leur regard fixe au centre de l’écran et les stimuli apparaissaient sur un cercle imaginaire autour de la croix qu’ils fixaient. Ils ne réalisaient donc pas de saccades oculaires.

La dichotomie entre les fonctions langagières de l’hémisphère gauche et les fonctions visuo- spatiales de l’hémisphère droit n’est pas la seule spécialisation hémisphérique ayant été reportée. Les hémisphères cérébraux pourraient également se distinguer non pas par le contenu des infor- mations, mais par le type de traitement pour lequel ils sont « spécialisés » (pour revue, voirDien, 2008). Ainsi, l’hémisphère gauche serait plus efficace pour évaluer desrelations catégorielles quali- tatives entre les objets (e.g., au dessus ou en dessous) tandis que l’hémisphère droit évaluerait plus efficacement les relations de coordonnées quantitatives (e.g., à une distance de moins de trois milli- mètres ou de plus de trois millimètres) (Kosslyn et al.,1989,1998;Jager & Postma,2003). Une autre distinction ayant été proposée oppose le caractèreanalytique des traitements effectués par l’hémi- sphère gauche au caractèreconfigural de ceux effectués par l’hémisphère droit (Carey & Diamond, 1977). La distinction entre les traitements analytique et configural diffère de la distinction entre re- lations catégorielles et de coordonnées par le fait qu’elle renvoie à l’organisation interne d’un objet,

Chapitre 2. Asymétries perceptives et motrices

et non à la nature des relations entre différents objets. L’asymétrie hémisphérique entre traitements analytiques et configuraux pourrait d’ailleurs expliquer celle proposée entre aptitudes langagières et visuo-spatiales : la lecture requiert par exemple un traitement analytique afin d’identifier la forme des lettres composant les mots, tandis que la tâche de bissection de lignes demande un traitement configural de la ligne afin d’en estimer le milieu. Cette distinction a ensuite été généralisée aux pro- priétés des objets visuels, avec l’idée que l’hémisphère gauche serait spécialisé pour le traitement deshautes fréquences spatiales tandis que l’hémisphère droit serait spécialisé pour le traitement des basses fréquences spatiales (Sergent,1982,1983;Peyrin et al.,2003).Dien(2008) propose que les trois distinctions « relations catégoriellesvs. de coordonnées », « traitements analytique vs. configural » et « hautes vs. basses fréquences spatiales » pourraient être résumées par les résultats observés face à des stimuli ditshiérarchisés, comme par exemple une lettre (disons un T) composée à partir de plusieurs petits exemplaires d’une autre lettre (disons des petits E). Les expériences en champs visuels divisés montrent que le champ visuel droit est avantagé pour le traitementlocal des petits E, tandis que le champ visuel gauche est avantagé pour le traitementglobal du grand T (Martin,1979; Van Kleeck,1989; Fink et al.,1996;Brederoo et al.,2017). L’avantage de l’hémisphère gauche pour le traitement analytique, catégoriel et des hautes fréquences amènerait ainsi au traitement local de l’information dans l’hémichamp visuel droit, tandis que l’avantage de l’hémisphère droit pour le traitement configural, de coordonnées et des basses fréquences spatiales amènerait au traitement global de l’information dans l’hémichamp visuel gauche. De manière intéressante pour notre pro- pos, il a été proposé que la latéralisation des traitements local et global soit en partie localisée dans les aires visuelles du cerveau (Sasaki et al.,2001;Musel et al.,2013). Dans cette thèse, nous verrons que les effets de cette latéralisation co-existent avec ceux de la dominance oculaire. L’implication des aires visuelles dans la latéralisation des traitements local et global pourrait donc expliquer cette coexistence au vu de la place de V1 dans les corrélats neuro-anatomiques de la dominance oculaire (voir la section3.2.3du Chapitre3). Dans cette thèse, nous verrons que la spécialisation hémisphé- rique pour les traitements local et global peut (1) impacter l’effet d’un distracteur sur l’amplitude de la saccade dans un paradigme d’effet global (Article 2 page116), et (2) engendrer des performances de discrimination visuelle différentes entre hémichamps gauche et droit (Article 3 page134).

Depuis la mise en évidence des différentes dichotomies entre les deux hémisphères cérébraux décrites dans cette section, de nouveaux modèles de la latéralisation hémisphérique ont émergé afin de fournir une vision intégrée des asymétries fonctionnelles.Dien(2008) a par exemple proposé le modèle de Janus, selon lequel les hémisphères cérébraux auraient des rôles complémentaires et les asymétries fonctionnelles seraient liées à des considérations évolutives. Il propose que le rôle de l’hé- misphère gauche serait d’anticiper les scénarios futurs afin de choisir celui qui est le plus approprié, tandis que le rôle de l’hémisphère droit serait d’intégrer les informations actuelles aux informations passées afin de détecter immédiatement les événements nouveaux ou inattendus. Notons que le mo- dèle deDien(2008) propose un regard unifié sur les asymétries fonctionnelles « classiques », mais ne remet pas en question leur existence.

2.1. Asymétries « classiques »