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3.2 La dominance oculaire de visée

3.2.3 Bases neurophysiologiques de la dominance oculaire de visée

Seyal et al. (1981) sont les premiers à s’être intéressés aux bases cérébrales de la dominance oculaire de visée. Dans leur étude, les participants étaient placés devant un damier noir et blanc s’inversant toutes les secondes. Selon les essais, un cache oculaire était placé sur leur œil dominant ou leur œil non dominant (mesuré par lenear-far alignment test). Leur tâche était de maintenir le regard fixe sur un point situé au centre de damier pendant que leurs potentiels évoqués visuels étaient mesurés par électroencéphalographie. Les auteurs ont montré que les potentiels évoqués visuels de l’œil dominant avaient une plus grande amplitude et une latence plus courte que ceux de l’œil non dominant, proposant pour la première fois une latéralisation corticale liée à la dominance oculaire. Ce résultat a par la suite été confirmé en IRMf parRombouts et al.(1996), qui ont mesuré l’activité des aires occipitales en stimulant alternativement l’œil dominant et l’œil non dominant des participants avec une diode électroluminescente. Leurs résultats montrent que la stimulation de l’œil dominant entraine une activation plus importante de V1 que la stimulation de l’œil non dominant.

Erdogan et al.(2002) se sont quant à eux intéressés aux asymétries structurelles liées à la domi- nance oculaire. Ils ont pour cela demandé à des participants ayant un œil dominant droit ou gauche (d’après lenear-far alignment test) de réaliser une imagerie par résonance magnétique anatomique (IRMa). Leur analyse a montré que le V1 droit des participants ayant un œil dominant droit était plus étendu que leur V1 gauche, et que le V1 gauche des participants ayant un œil dominant gauche était plus étendu que leur V1 droit. Autrement dit, les résultats deErdogan et al.(2002) suggèrent que le V1 ipsilatéral à l’œil dominant est anatomiquement plus étendu que le V1 controlatéral. L’étude en magnétoencéphalographie deShima et al.(2010) a corroboré cette relation entre l’œil dominant et le V1 ipsilatéral. Les auteurs ont en effet montré que la stimulation de l’œil dominant entrainait une plus grande activation du V1 ipsilatéral que du V1 controlatéral, mais que la stimulation de l’œil non dominant n’entrainait aucune asymétrie dans les activations émanant de V1. Au total, les études de Erdogan et al. (2002) et de Shima et al.(2010) montrent l’existence d’une relation privilégiée entre l’œil dominant et le V1 qui lui est ipsilatéral, tant au niveau anatomique qu’au niveau fonctionnel.

Récemment,Chaumillon et al.(2018) ont réalisé une étude en électroencéphalographie étudiant la rapidité du transfert inter-hémisphérique de l’information visuelle en fonction de la dominance oculaire. Les participants devaient réaliser un paradigme de Poffenberger (Poffenberger,1912, décrit dans la section2.1.1du Chapitre2) pendant que leurs potentiels évoqués visuels étaient enregistrés. Leur tâche était de détecter le plus rapidement possible une diode électroluminescente présentée à gauche ou à droite en utilisant alternativement leur main gauche ou leur main droite. Dans le Chapitre2, nous avons évoqué le fait que le temps de transfert inter-hémisphérique de l’information visuelle est plus court de l’hémisphère droit vers l’hémisphère gauche que de l’hémisphère gauche vers l’hémisphère droit (Marzi et al.,1991;Marzi,2010).Chaumillon et al.(2018) ont montré que cette asymétrie dépendait en fait de la dominance oculaire des participants, le temps de transfert inter- hémisphérique étant plus court de l’hémisphère ipsilatéral vers l’hémisphère controlatéral à l’œil

3.2. La dominance oculaire de visée

dominant des individus. L’asymétrie classiquement trouvée montrant un avantage du transfert de l’information de l’hémisphère droit vers l’hémisphère gauche (Marzi et al.,1991;Marzi,2010) serait ainsi due à la plus forte proportion d’individus ayant un œil dominant droit dans la population (Bourassa et al.,1996). De manière intéressante, une analyse de localisation de sources a montré que chez les participants droitiers l’asymétrie de transfert inter-hémisphérique avait principalement lieu dans les gyrus médian et supérieur du cortex occipital, ce qui est compatible avec une implication de V1 (Chaumillon et al.,2018). Chez les gauchers cependant, l’asymétrie était parfois localisée dans les régions pariétales postérieures. Les auteurs font toutefois remarquer que l’échantillon plus réduit de participants gauchers (sept individus par groupe contre onze par groupe pour les participants droitiers) pourrait avoir engendré plus de variabilité dans les données obtenues. Au final, l’étude de Chaumillon et al.(2018) confirme l’existence d’une relation privilégiée entre l’œil dominant et l’hémisphère qui lui est ipsilatéral, et ce quelle que soit la latéralité manuelle des participants.

Dans le Chapitre2, nous avons vu que V1 faisait partie des bases neurophysiologiques des asy- métries naso-temporales (ANT). Au vu des études décrites dans la présente section, il semblerait que V1 fasse également partie des bases neurophysiologiques de la dominance oculaire. Cette structure commune aux bases neurophysiologiques des ANTs et de la dominance oculaire pourrait expliquer pourquoi les différences individuelles de l’ANT du pic de vitesse des saccades permettent une estima- tion de l’intensité de la dominance oculaire (Vergilino-Perez et al.,2012a). Toutefois, les mécanismes précis amenant les ANTs saccadiques à servir d’indicateur de l’intensité de la dominance oculaire restent inconnus. Une piste intéressante est que la relation fonctionnelle entre l’œil dominant et le V1 ipsilatéral trouvée en magnétoencéphalographie parShima et al.(2010) dépendait de l’hémiré- tine stimulée. En effet, seule la stimulation de l’hémirétine temporale (i.e., l’hémichamp nasal) de l’œil dominant engendrait une activation plus forte du V1 ipsilatéral que du V1 controlatéral à l’œil dominant. La stimulation de l’hémirétine nasale n’engendrait aucune asymétrie entre les activations des V1 gauche et droit. Ainsi, il semblerait que la relation privilégiée œil dominant – V1 ipsilatéral soit étroitement liée à l’hémirétine temporale. Or, l’ANT des colonnes de dominance oculaire dans V1 favorise les afférences de l’hémirétine nasale. Ainsi, chez les individus ayant une forte dominance oculaire, la relation privilégiée entre l’hémirétine temporale de leur œil dominant et le V1 ipsilatéral pourrait masquer l’avantage de l’hémirétine nasale (hémichamp temporal) classiquement observé et expliquer l’absence d’ANT sur les pics de vitesse de leurs saccades. A l’inverse, les individus ayant une faible dominance oculaire ne présenteraient pas (ou peu) cette relation entre l’hémirétine tem- porale de leur œil dominant et le V1 ipsilatéral, permettant l’observation d’une ANT sur les pics de vitesse de leurs saccades. Cette piste sera abordée dans la discussion de l’Article 5 de cette thèse, présenté page175. Je reconnais néanmoins qu’elle mérite d’être confirmée par des études en neu- roimagerie s’intéressant à l’intensité de la dominance oculaire telle que décrite parVergilino-Perez et al.(2012a).

Chapitre 3. La dominance oculaire