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1.3 Les liens entre sélections saccadique et attentionnelle

2.1.2 Préférences latérales

En plus des asymétries fonctionnelles décrites dans la section précédente, l’Homme présente de nombreuses préférences latérales, utilisant une main, un pied et un œil donnés plutôt que l’autre pour écrire, taper dans la balle et regarder dans un microscope, respectivement. Celle ayant été et étant encore aujourd’hui la plus étudiée est sans nul doute la latéralité manuelle. Une hypothétique relation entre la spécialisation de l’hémisphère gauche pour le langage et la forte proportion de droi- tiers dans la population a en effet attisé la curiosité des chercheurs (e.g.,Milner,1971;Bradshaw,1980; McManus & Bryden,1992; Stucchi & Viviani,1993; Perelle & Ehrman,1994; Knecht et al.,2000a,b; Khedr et al.,2002). Pourtant, les études phylogénétiques reportent l’existence d’une préférence pour la main droite chez nos cousins les primates, alors même qu’ils sont dénués de langage.Fagot & Vau- clair(1988a) ont fait réaliser à des gorilles une tâche consistant à aligner visuellement deux petites fentes à l’aide de l’une de leurs mains. Sept des huit gorilles ont utilisé leur main droite. Les mêmes auteurs ont par ailleurs trouvé des résultats similaires chez le babouin (Fagot & Vauclair,1988b). Au sein même de l’espèce humaine, des études basées sur l’analyse d’outils préhistoriques (Rugg & Mullane,2001; Dominguez-Ballesteros & Arrizabalaga,2015) et de peintures rupestres (Verbrugge, 1976; Groenen, 1988) montrent qu’il y a plus de 100 000 ans nos ancêtres étaient déjà 85 à 90% de droitiers, alors qu’ils n’avaient pas encore acquis l’écriture. Les peintures rupestres représentant des mains pouvaient être réalisées de deux façons : les mainspositives étaient réalisées en enduisant la main de peinture puis en appliquant la paume sur la paroi, et les mainsnégatives étaient réalisées en utilisant une main comme pochoir sur laquelle de la peinture liquide était projetée. En analysant 298 peintures dans 17 grottes françaises,Verbrugge(1976) a montré que la plupart des mains posi- tives représentaient des mains droites, et que les mains négatives étaient généralement des mains gauches. Les droitiers se servant de la main gauche comme appui, l’ensemble de ces données té- moigne donc bien d’une prévalence de la main droite chez nos ancêtres (voir aussiAzémar, 2003, pp. 17-31). Aujourd’hui, la proportion d’individus droitiers est de 90% (Bourassa et al.,1996), soit la même qu’il y a 100 000 ans. Cela suggère que l’utilisation du langage et de l’écriture n’est pas le seul facteur à l’origine de cette latéralité. De plus, l’étude longitudinale deHepper et al.(1991,2005) montre que les fœtus humains de quinze semaines ont déjà une préférence droite pour la succion du pouce, et que cette préférence est conservée à l’âge de 10-12 ans (les soixante enfants qui mon- traient une préférence droitein utero sont tous restés droitiers, et parmi les quinze qui montraient une préférence gauchein utero, seulement cinq sont devenus droitiers). La préférence de l’Homme pour la main droite semble donc établie bien avant l’acquisition du langage.

Notons cependant que dans les études actuelles les individus ne sont plus simplement regroupés en deux groupes selon la main avec laquelle ils écrivent. Elles utilisent des questionnaires de latéralité (pour revue, voirFagard,2004, pp. 18-28) afin de placer les individus sur un continuum de latéralité manuelle, de 100% gaucher à 100% droitier. Le score obtenu à ces questionnaires semble lié au degré de latéralisation des fonctions langagières et spatiales dans le cerveau (Binder et al.,1996; Hervé et al.,2013; Mellet et al., 2014), et impacte par conséquent les asymétries perceptives et motrices présentées précédemment telles que la pseudonégligence (Zago et al.,2016,2017;Ochando & Zago, 2018). Bien que la préférence de l’Homme pour la main droite soit apparue bien avant l’acquisition

Chapitre 2. Asymétries perceptives et motrices

du langage et de l’écriture, le score de latéralité manuelle semble ainsi lié au degré de latéralisation hémisphérique. Notons cependant que beaucoup de facteurs génétiques et environnementaux par- ticipent à l’établissement de la latéralité manuelle, et que les mécanismes exacts amenant 90% des Hommes à être droitiers ne sont encore aujourd’hui pas tous identifiés (Ghirlanda & Vallortigara, 2004;Sainburg,2014).

Bien que ce soit celle pour laquelle la littérature est la plus riche, la préférence manuelle n’est pas la seule latéralité présentée par l’Homme. Nous avons également des préférences podale et oculaire qui, comme la latéralité manuelle, impactent nos performances perceptives et motrices. Les études d’Elias (Elias & Bryden,1998;Elias et al.,1998) suggèrent par exemple que la préférence podale serait un meilleur prédicteur de la latéralisation hémisphérique du langage et du traitement des émotions que la latéralité manuelle. Un lien a d’ailleurs été proposé entre les préférences manuelle et podale (Peters & Durding, 1979; Augustyn & Peters, 1986), les droitiers étant plus rapides pour taper du pied droit que du pied gauche. Toutefois, notons que dans ces études les individus gauchers ne sem- blaient pas montrer de liens entre leurs latéralités manuelle et podale. Une indépendance de ces deux latéralités est au contraire proposée parChapman et al.(1987), qui suggèrent que la meilleure façon de prédire le degré de latéralisation cérébrale d’un individu est d’analyser ses latéralités manuelle et podale comme deux indicateurs complémentaires.

Comme nous le verrons dans le Chapitre3et dans les cinq études présentées dans cette thèse, la dominance oculaire peut elle aussi impacter nos capacités perceptives et motrices. Un lien a égale- ment été proposé entre la dominance oculaire et la latéralité manuelle (Dane & Gümüstekin,2002). Pourtant, la méta-analyse réalisée parBourassa et al.(1996) sur plus de 54 000 individus montre que s’ils existent, les liens entre la latéralité manuelle et la dominance oculaire sont très faibles. Notons d’ailleurs que de nombreuses études s’accordent sur une absence de liens entre latéralité manuelle et dominance oculaire (Coren & Kaplan,1973;Porac & Coren,1975;McManus et al.,1999;Pointer, 2001; Mapp et al.,2003). De manière intéressante toutefois, les participants gauchers ayant un œil dominant droit semblent présenter un avantage certain dans les duels sportifs à haute incertitude spatio-temporelle et sont par exemple très représentés sur les podiums d’escrime aux Jeux Olym- piques (Azémar et al.,2008). L’œil dominant étant en majeure partie lié à l’hémisphère qui lui est ipsilatéral (Erdogan et al.,2002;Shima et al.,2010, voir Chapitre3) et la main dominante étant initia- lement gérée par l’hémisphère controlatéral,Azémar et al. (2008) proposent que les individus gau- chers avec un œil dominant droit fassent l’économie d’un temps de transfert inter-hémisphérique en activant principalement leur hémisphère droit. Chez les sportifs de haut niveau, ces quelques millise- condes d’économie suffisent pour accéder au podium. Cette hypothèse a été confirmée par l’étude en IRMf dePetit et al.(2015) montrant que le réseau de l’attention visuo-spatiale était particulièrement latéralisé à droite chez les gauchers ayant un œil dominant droit par rapport aux autres individus, leur permettant d’utiliser principalement leur hémisphère droit pour les traitements visuo-spatiaux (voir aussiChaumillon et al.,2018).

D’autres études enfin proposent que les trois préférences latérales soient liées, et représentent un même facteur de latéralisation parfois appelé sidedness1 (Coren, 1993; Tran et al., 2014; Tran