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2.2 Asymétries du système visuo-moteur

2.2.2 Asymétrie centripète-centrifuge

L’ANT n’est pas la seule asymétrie ayant été décrite dans le système visuo-moteur. Il existe également des asymétries au niveau des forces s’exerçant sur les muscles extra-oculaires lors de l’exécution d’une saccade (Koene & Erkelens,2002). Les connexions entre le générateur de saccades horizontales (FRPP) et les muscles extra-oculaires indiquent que les paires de muscles antagonistes sont organisées en « pousser-tirer » (Van Gisbergen et al.,1981;Fuchs et al.,1985;Robinson,1989; Moschovakis & Highstein,1994;Ling et al.,2007). Ainsi, lorsque l’œil est dévié dans l’orbite et qu’il doit réaliser une saccade afin de retourner vers le centre de l’orbite (saccade ditecentripète), des forces élastiques passives « poussent » l’œil vers sa position centrale (Robinson,1981). A l’inverse, lorsque l’œil doit réaliser une saccade l’éloignant de la position orbitale centrale (saccade ditecentrifuge), des forces actives bien plus importantes vont devoir être déployées afin de « tirer » l’œil dans la direction souhaitée (Koene & Erkelens,2002). Ces contraintes mécaniques différentes vont engendrer des différences entre les paramètres des saccades centripètes et des saccades centrifuges (asymétries centripète-centrifuge, ACC). Comme l’ANT, l’ACC semble se manifester principalement sur le pic de vitesse des saccades, qui est plus élevé pour les saccades centripètes que pour les saccades centrifuges (Frost & Pöppel,1976;Abel et al.,1979;Jürgens et al.,1981;Inchingolo et al.,1987;Collewijn et al., 1988; Pelisson & Prablanc, 1988; Camors et al., 2016). Son observation sur les autres paramètres semble cependant plus incertaine. Certaines études ont montré une ACC sur la latence des saccades (Krebs et al., 2010, 2012) alors que d’autres n’en montrent pas (Collewijn et al., 1988; Pelisson & Prablanc,1988;Camors et al.,2016). De plus, mis à part une étude (Kapoula & Robinson,1986), il semble y avoir un consensus pour une absence d’ACC sur l’amplitude des saccades (Collewijn et al., 1988;Pelisson & Prablanc,1988;Camors et al.,2016). Enfin, plusieurs études témoignent d’une ACC sur la durée des saccades, plus longue pour les saccades centrifuges que pour les saccades centripètes (Collewijn et al.,1988;Pelisson & Prablanc,1988; Camors et al.,2016). Cependant, cette asymétrie serait due à une phase de décélération plus longue pour les saccades centrifuges que pour les saccades centripètes (Collewijn et al.,1988;Pelisson & Prablanc,1988). L’ACC sur la durée reflèterait donc en réalité une ACC sur le profil de vitesse des saccades.

Au delà des contraintes mécaniques différentes s’exerçant au niveau des muscles extra-oculaires, d’autres explications neurophysiologiques impliquant des structures corticales et sous-corticales ont été proposées pour l’ACC. En effet, les saccades centripètes semblent guidées par une commande neuronale plus intense (Jürgens et al.,1981), qui pourrait être liée à des différences d’activation dans le CS (Krebs et al.,2010;Paré & Munoz, 2001) et dans les régions pariéto-occipitales (Krebs et al., 2012). En IRMf, l’activité du CS est en effet plus faible avant l’exécution de saccades centripètes qu’avant l’exécution de saccades centrifuges (Krebs et al.,2010). Plus tard, les mêmes auteurs (Krebs et al.,2012) ont montré en EEG la présence d’une onde négative 160 ms avant le départ de la saccade dans les régions pariéto-occipitales controlatérales à la direction de la saccade. Cette onde avait une durée plus courte et était de plus faible amplitude avant les saccades centripètes qu’avant les saccades centrifuges. Pour les auteurs, l’activité neuronale plus faible dans le CS (Krebs et al.,2010) et dans les régions pariéto-occipitales (Krebs et al.,2012) reflèterait un besoin moindre de guidage attentionnel pour les saccades centripètes comparées aux saccades centrifuges. Cette idée est cohérente avec le

Chapitre 2. Asymétries perceptives et motrices

Figure 2.2 – Le droit-devant. Le droit- devant (illustré par une ligne pointillée rouge) correspond à la direction médiane de la tête et du corps. La fovéa (illustrée par une ligne pointillée blanche) correspond quant à elle à la direction du regard. Dans les situations (a) et (d), le stimulus visuel est présenté droit-devant, alors que ce n’est pas le cas dans les situations (b) et (c). Dans les quatre situations, le stimulus visuel et le droit-devant sont placés en périphérie et non en fovéa. Figure tirée de Durand et al. (2012, p.4).

postulat deDurand et al. (2010) selon lequel les saccades centripètes seraient avantagées car elles ramèneraient les yeux vers le « droit-devant »,i.e., la direction vers laquelle est orienté le reste du corps (voir la Figure 2.2pour une illustration). Le droit-devant représenterait en effet la direction « par défaut » du regard, permettant d’aligner les référentiels oculo-centré et égo-centré (Tatler, 2007; Kardamakis & Moschovakis,2009;Durand et al.,2010). Ainsi, le besoin moindre de guidage attentionnel pour les saccades centripètes que pour les saccades centrifuges (Krebs et al.,2010,2012) pourrait s’expliquer par ce ré-alignement des différents référentiels visuo-spatiaux. V1 est d’ailleurs la première structure corticale codant les saccades dans un référentiel égo-centré (Rieger et al.,2008). Afin d’étudier les bases corticales de l’avantage du droit-devant,Durand et al.(2010) ont réalisé chez le singe des enregistrements unitaires des neurones de V1 répondant à l’orientation des stimuli. Après avoir localisé le champ récepteur du neurone testé, ils ont enregistré son activité en testant différents endroits du champ visuel, plus ou moins proches du droit-devant. Pour cela, ils deman- daient au singe de bouger les yeux entre chaque enregistrement. Leurs résultats montrent qu’au fur et à mesure que le champ récepteur s’approche du droit devant, l’activité du neurone augmente, suggérant un avantage au sein même de V1 pour le droit-devant comparé aux autres directions de l’espace (voir aussi Przybyszewski et al., 2014). L’avantage du droit devant dans V1 a ensuite été confirmé chez l’Homme (Strappini et al.,2015). Au niveau comportemental, il semble engendrer un avantage perceptif pour le traitement des objets présentés droit-devant, et ce même lorsqu’aucune saccade n’est exécutée. Dans l’étude de Durand et al. (2012), des participants devaient indiquer le plus rapidement possible l’apparition d’un stimulus de type gabor dans l’environnement visuel en appuyant sur la barre espace d’un clavier. Comme indiqué dans la Figure 2.2, l’écran de stimula- tion était orienté de sorte que le gabor apparaisse selon les essais droit-devant (Figures2.2a et2.2d) ou dans une autre direction (Figures2.2b et2.2c). De manière importante, les participants fixaient une croix présentée au centre de l’écran durant la totalité de l’expérience, de sorte que la cible à

2.2. Asymétries du système visuo-moteur

détecter et le droit-devant étaient toujours présentés en périphérie, et jamais en fovéa. Les résultats montrent que les stimuli présentés droit-devant sont détectés plus rapidement que les stimuli pré- sentés dans une autre direction. En plus du fait que le droit-devant serait la direction « par défaut » du système visuel et ré-alignerait les différents référentiels visuo-spatiaux, Durand et al. (2010, 2012) proposent que l’avantage du droit-devant dans V1 aurait une explication évolutionniste : il permettrait de porter rapidement attention aux objets situés droit-devant, qui pourraient constituer de potentiels obstacles pour le déplacement ou la fuite (voir aussiCamors et al.,2016).

En conclusion, l’ACC comportementale observée sur les paramètres saccadiques pourrait prove- nir d’asymétries du système visuo-moteur situées au niveau des muscles extra-oculaires, du collicu- lus supérieur et de V1. Notons par ailleurs que comme l’ANT, l’ACC saccadique semble surtout obser- vée sur le pic de vitesse des saccades. Cette restriction pourrait là aussi être expliquée par la sensibi- lité plus prononcée des autres paramètres saccadiques aux influences cognitives (Pierrot-Deseilligny et al.,1995;Sommer & Wurtz,2000;Leigh & Zee,2006). Le pic de vitesse des saccades semble en tout cas être le paramètre saccadique permettant l’observation la plus systématique des asymétries du système visuo-moteur. Dans l’Article 4 (page155), nous verrons que l’ANT et l’ACC observées sur le pic de vitesse des saccades interagissent et ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, suggérant qu’elles partagent des bases neurophysiologiques communes. De plus, dans l’Article 5 (page175) nous verrons que ces deux asymétries sont modulées par la dominance oculaire, cette dernière ayant elle aussi des corrélats neurophysiologiques dans V1 (voir la section3.2.3du Chapitre3). Dans ces études, nous proposons ainsi que V1 soit une structure clé pour l’expression des asymétries sacca- diques.