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5.3 Effets perceptifs vs moteurs de la dominance oculaire

5.3.2 Article 3 : Conclusions & Perspectives

L’objectif de l’Article 3 était d’une part de clarifier la nature perceptive et/ou motrice de l’avan- tage de l’hémichamp controlatéral à l’œil dominant, et d’autre part d’identifier si la dominance ocu- laire permettait des saccades plus précises vers cet hémichamp en raison d’un rehaussement plus important de la cible et/ou d’une inhibition plus efficace des positions non visées. Les résultats sug- gèrent que la relation œil dominant – V1 ipsilatéral engendre en premier lieu un avantageperceptif dans l’hémichamp controlatéral. Il semblerait que cet avantage ne soit pas restreint à la position visée, mais qu’il concerne également des positions non visées de l’hémichamp visuel. Les partici- pants ayant une forte dominance oculaire devraient ainsi inhiber plus fortement les positions non visées comparés aux participants ayant une faible dominance oculaire, ce afin de sélectionner effi- cacement la cible saccadique. Bien que ces résultats semblent intéressants, il faut toutefois souligner qu’ils reposent majoritairement sur des effets à la limite du seuil de significativité (p<.10), obtenus sur un nombre réduit de participants. Ils méritent donc d’être confirmés en testant un échantillon plus large.

De manière intéressante, ces résultats posent question à la lumière de ceux de l’Article 1. En effet, si l’avantage perceptif de l’hémichamp controlatéral à l’œil dominant englobait d’autres posi- tions de l’hémichamp, lors d’un paradigme d’effet global le distracteur devrait alors être mieux traité dans cet hémichamp, et son effet sur l’amplitude des saccades devrait être exacerbé. Chez les parti- cipants ayant une forte dominance oculaire, la précision des saccades devrait alors être réduite, et non améliorée, dans cet hémichamp comparé à l’hémichamp ipsilatéral à leur œil dominant. Notons cependant que dans l’Article 1, la cible et le distracteur étaient tous deux présentés sur l’axe hori- zontal et la position du distracteur était maintenue constante à travers les essais (à 3° d’excentricité). Dans l’Article 3, la DT et les distracteurs étaient au contraire présentés à une même excentricité (sur un cercle imaginaire de 5.8° de rayon), mais la position de la DT et des distracteurs différait à chaque essai. La tâche des participants requérait alors de porter attention aux différentes positions de l’hémichamp, tandis que dans l’Article 1 la position du distracteur à ignorer était prédictible. Il se pourrait que dans l’Article 1 la dominance oculaire ait permis une inhibition du stimulus non per- tinent pour la tâche facilement prédictible, tandis que dans l’Article 3 l’impossibilité de prédire la position de la DT a engendré un traitement global des différentes positions de l’hémichamp contro- latéral à l’œil dominant, afin d’améliorer les performances des participants. La zone de l’hémichamp sur laquelle la dominance oculaire influence les performances perceptives et motrices dépendrait alors de la tâche, selon un principe d’économie : lorsque l’inhibition d’une position donnée suffit à améliorer la tâche, elle rend plus efficace l’inhibition des distracteurs, tandis qu’en cas d’une tâche non prédictible elle permet le rehaussement de toutes les positions de l’hémichamp auxquelles la cible peut apparaitre.

Cette hypothèse mérite cependant d’être testée dans de futures études. Ces dernières pourraient par exemple utiliser un paradigme d’effet global qui n’agirait non pas sur l’amplitude des saccades mais sur leur direction. Pour cela, la cible et le distracteur seraient présentés à une même excen- tricité, sur un cercle imaginaire autour du centre de l’écran. L’effet global engendrerait alors des saccades vers la position intermédiaire entre la cible et le distracteur. A travers les essais, la cible

5.3. Effets perceptifsvs. moteurs de la dominance oculaire et le distracteur seraient présentés à différentes positions, de sorte que ni la position de la cible ni celle du distracteur ne soit prédictible. D’après le raisonnement énoncé précédemment, les partici- pants ayant une forte dominance oculaire devraient alors porter attention à l’ensemble des positions potentielles de la cible, et la relation œil dominant – V1 ipsilatéral engendrerait alors un rehausse- ment de l’ensemble des positions de l’hémichamp controlatéral. Ils devraient ainsi montrer un effet global plus important dans l’hémichamp controlatéral que dans l’hémichamp ipsilatéral à leur œil dominant (i.e., des résultats inverses à ceux obtenus dans l’Article 1). Dans l’hémichamp controla- téral à l’œil dominant, l’effet global devrait d’ailleurs être plus important pour les participants ayant une forte dominance oculaire, pour qui les positions de la cible comme celles du distracteur sont rehaussées, que pour ceux dont la dominance oculaire est faible.

Une autre manière d’examiner si la dominance oculaire influence plutôt les performances per- ceptives ou motrices serait d’utiliser un protocole de double-saut de la cible (McLaughlin,1967) afin d’induire le phénomène d’adaptation saccadique (voir Pélisson et al., 2010, pour revue). Ce proto- cole consiste à déplacer la cible visuelle pendant la saccade afin d’induire une erreur de visée. Après plusieurs essais, les participants « s’adaptent » et corrigent l’erreur de visée en réalisant une sac- cade directement sur la position finale de la cible, après le saut intra-saccadique. Ainsi, la réalisation d’une double-tâche de saccades et discrimination visuelle après adaptation saccadique permettrait de dissocier la cible du programme moteur de la cible attentionnelle, et d’examiner la cible pré- férentiellement rehaussée par la dominance oculaire. La cible à discriminer serait alors présentée pendant la latence des saccades, avant le saut intra-saccadique. La position de la cible à discriminer étant pédictible, avant adaptation la relation entre l’œil dominant et le V1 ipsilatéral devrait engen- drer de meilleures performances perceptives dans l’hémichamp controlatéral que dans l’hémichamp ipsilatéral à l’œil dominant pour les participants ayant une forte dominance oculaire. Cependant, après adaptation le programme moteur étant directement dirigé vers la position finale de la cible, la dissociation entre la cible du programme moteur et la cible attentionnelle serait en place. Cela permettrait d’examiner si la dominance oculaire rehausse en priorité la cible motrice afin de réaliser une saccade précise, ou la cible attentionnelle afin d’obtenir les meilleures performances perceptives possibles. De moins bonnes performances de discrimination dans l’hémichamp controlatéral à l’œil dominant après comparé à avant adaptation irait en faveur de l’hypothèse motrice. A l’inverse, des performances toujours meilleures dans l’hémichamp controlatéral plutôt qu’ipsilatéral à l’œil domi- nant, avant comme après adaptation, irait en faveur de l’hypothèse perceptive. Notons cependant que l’étude en électroencéphalographie deCollins et al.(2010) a montré qu’après adaptation sacca- dique, l’attention visuelle était portée à la fois à la position initiale (avant le saut intra-saccadique) et à la position finale (après le saut intra-saccadique) de la cible visuelle. Ensemble, les résultats de l’Article 3 et ceux obtenus parCollins et al.(2010) encouragent à étudier les effets de la dominance oculaire et de son intensité lors d’un protocole induisant l’adaptation saccadique. Il est par exemple possible que seuls les participants ayant une faible dominance oculaire montreraient un partage de l’attention sur les positions initiale et finale de la cible.

Chapitre 6

Quantifier la dominance oculaire

Sommaire

6.1 Présentation des articles 4 et 5 . . . 153 6.2 Les asymétries des saccades et leurs liens. . . 155

6.2.1 Article 4 : « Recentering bias for temporal saccades only : Evidence from binocular recordings of eye movements » . . . 155 6.2.2 Article 4 : Conclusions & Perspectives . . . 172 6.3 Quantifier la dominance oculaire grâce aux asymétries des saccades . . . . 173

6.3.1 Article 5 : « Quantifying eye dominance strength – New insights into the neurophysiological bases of saccadic asymmetries » . . . 175 6.3.2 Article 5 : Conclusions & Perspectives . . . 187

6.1

Présentation des articles 4 et 5

Références des articles présentés

• Article 4 (page155) : Tagu, J., Doré-Mazars, K., Vergne, J., Lemoine-Lardennois, C., & Vergilino- Perez, D. (2018). Recentering bias for temporal saccades only : Evidence from binocular re- cordings of eye movements.Journal of Vision, 18(1) :10, 1–16. doi :10.1167/18.1.10

• Article 5 (page175) : Tagu, J., Doré-Mazars, K., Vergne, J., Lemoine-Lardennois, C., & Vergilino- Perez, D. (2018). Quantifying eye dominance strength – New insights into the neurophysio- logical bases of saccadic asymmetries.Neuropsychologia, 117, 530–540.

doi :10.1016/j.neuropsychologia.2018.07.020

Après avoir contribué à l’identification des rôles de la dominance oculaire dans les liens entre perception et action, cette thèse a pour deuxième objectif d’élaborer une quantification objective et continue de dominance oculaire. En effet, nous avons vu dans la section 3.1du Chapitre 3 de l’introduction que les tests actuels de dominance oculaire (1) ne permettent qu’une mesure binaire, i.e., œil dominant gauche vs. œil dominant droit, et (2) donnent une mesure subjective basée sur la perception du sujet, à laquelle l’expérimentateur n’a pas accès.

Chapitre 6. Quantifier la dominance oculaire

Vergilino-Perez et al.(2012a) ont montré que les asymétries présentées par le système saccadique pouvaient être utilisées comme indicateurs de l’intensité de la dominance oculaire. Notamment, ils ont mis en évidence que les participants montrant une asymétrie naso-temporale (ANT) sur les pics de vitesse de leurs saccades présentaient une dominance oculairefaible, tandis que ceux montrant des pics de vitesse plus élevés vers l’hémichamp ipsilatéral à leur œil dominant pour les deux yeux présentaient une dominance oculaireforte. Les Articles 1, 2 et 3 présentés dans le Chapitre5ont montré que l’intensité de la dominance oculaire telle qu’estimée par cette méthode avait des consé- quences sur les capacités peceptives et oculomotrices. Cependant, bien que l’estimation proposée parVergilino-Perez et al.(2012a) soit une avancée considérable vers une quantification continue de la dominance oculaire, elle reste catégorielle dans le sens où elle ne répartit les participants qu’en quatre groupes (dominance oculaire forte gauche, forte droite, faible gauche ou faible droite). Par ailleurs, le lien entre les asymétries des saccades et la dominance oculaire reste obscur, tant sur le plan neurophysiologique que comportemental.

Dans lesArticles 4 et 5, nous avons cherché à mieux comprendre le lien entre les asymétries saccadiques et la dominance oculaire, et à quantifier finement cette dernière sur un continuum, de l’absence de dominance oculaire à la dominance oculaire très marquée. Ce continuum est établi dans l’Article 5, sur la base de l’étude de plusieurs asymétries saccadiques. Notre raisonnement était le suivant : si l’ANT permet une estimation de l’intensité de la dominance oculaire, il n’est pas exclu que d’autres asymétries saccadiques (telles que l’asymétrie centripète-centrifuge, ACC) la permettent également. Ainsi, étudier la dominance oculaire en lien avec plusieurs asymétries saccadiques pour- rait amener à une quantification fine de la dominance oculaire. Cependant, avant d’étudier les liens entre asymétries saccadiques et dominance oculaire, il nous fallait dans un premier temps identifier les liens existant déjà entre ces asymétries. Dans l’Article 4, nous avons ainsi étudié simultanément l’ANT et l’ACC afin d’examiner leurs liens potentiels. Pour cela, les participants devaient réaliser des saccades horizontales vers la gauche et vers la droite depuis cinq positions de départ différentes, afin d’engendrer des saccades centripètes et centrifuges. Les mouvements des deux yeux étaient enregis- trés simultanément, permettant d’étudier également l’ANT. Ainsi au total, quatre types de saccades étaient étudiés : des saccades centripètes-temporales, centripètes-nasales, centrifuges-temporales et centrifuges-nasales. Les résultats de l’Article 4 montrent que l’ANT sur le pic de vitesse des sac- cades est présente pour les saccades centripètes comme pour les saccades centrifuges, mais que l’ACC n’est présente que sur les pics de vitesse des saccades temporales, et non nasales. Ce résultat montre un lien étroit entre ces deux asymétries saccadiques, et suggère qu’elles partagent des bases neurophysiologiques communes. Ce lien entre ANT et ACC renforce l’idée que d’autres asymétries que l’ANT pourraient être utilisées comme indicateurs de l’intensité de la dominance oculaire. Et en effet, en utilisant la même procédure expérimentale que celle de l’Article 4, nous avons montré dans l’Article 5 que l’étude simultanée des asymétries naso-temporale et centripète-centrifuge permet- tait une quantification en continuum de la dominance oculaire, et l’attribution à chaque participant d’un pourcentage de dominance oculaire compris entre -100% (absence de dominance oculaire) et +100% (dominance oculaire très marquée). Cette étude a par ailleurs permis de mieux comprendre les liens entre les différentes asymétries saccadiques et la dominance oculaire.