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Etude de jurisprudence du Tribunal Administratif du Grand-Duché de Luxembourg en matière de protection internationale

1. Résumé synoptique

1.1 Introduction

La présente étude de jurisprudence du Tribunal administratif (« tribunal ») a été souhaitée par l‘UNHCR dans le cadre de sa tâche de surveillance de l’application de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés1 (Convention de 1951). Elle a pour objectif d’approfondir la mise en œuvre, par cette instance, de la protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg et a été réalisée après la transposition par la loi du 5 mai 20062 de la directive européenne 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts3 (« directive qualification »).

1.2 Jugements en matière de protection internationale

131 jugements pris entre le 15 septembre 2007 et le 15 mars 2008, ont été examinés. La compétence du tribunal et la motivation de ses jugements ont été les principaux objets de ce travail.

1.2.1 Motivation des jugements

La motivation des jugements n’est pas toujours adéquate : les motifs sont parfois stéréotypés, ce qui peut donner l’impression que le dossier n’a pas été examiné de manière approfondie. C’est notamment le cas lorsque les jugements évoquent le raisonnement relatif aux agents de persécution non étatiques. Parfois, il est aussi fait référence à une jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2006 et qui n’y est plus conforme.

Recommandation

Dans l’énoncé du jugement, les raisons de refus ou d’octroi de la protection internationale devraient être clairement énoncées, par référence aux critères de la loi, et mis en lien avec la situation individuelle du demandeur.

1

Assemblée générale des Nations Unies, Convention relative au statut des réfugiés, Genève, 28 juillet 1951, Recueil des Traités des Nations Unies, n° 2545, vol. 189, pp. 137 s.

2

Loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, Mémorial A n° 78 du 9 mai 2006, pp. 1402 s.

3

1.2.2 Aspects relatifs à l’interprétation des notions donnant lieu à l’octroi de la

protection internationale

1.2.2.1 Définition du réfugié selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés

Dans le cadre de la détermination du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, l’analyse juridique n’est pas toujours claire. L’examen de certains éléments est souvent « contaminé » par d’autres, menant ainsi à des raisonnements peu intelligibles. Une analyse séparée de chaque élément constitutif de la définition fait souvent défaut.

Dans le cadre de l’examen de la crainte fondée de persécution, le tribunal évoque les notions de risque réel, individualisé, concret et de crainte justifiée. Il requiert parfois une haute probabilité de persécution dans un proche avenir. Ceci va au-delà du libellé de l’article 1 de la Convention de 1951. De plus, les jugements étudiés ne tiennent pas toujours compte de la situation personnelle du demandeur ni de ses expériences passées ou de celles d’autres personnes ayant un lien pertinent avec le requérant. La situation dans le pays d’origine du demandeur n’est, de plus, pas toujours suffisamment prise en compte avant d’aboutir à une conclusion relative au besoin de protection internationale.

En interprétant la notion de persécution, le tribunal ne semble pas toujours tenir compte de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, qui reprend des exemples de ce qu’il faut entendre par « actes de persécution ». Il s’ensuit une interprétation restrictive de la notion de « persécution », définie par le tribunal comme un acte d’une exceptionnelle gravité et qui ne peut être un acte isolé. Le tribunal conclut régulièrement à l’existence d’un crime de droit commun plutôt qu’à une persécution. La qualification de la persécution est également régulièrement influencée par celle de l’agent de persécution non étatique.

La loi du 5 mai 2006 et la directive qualification établissent clairement que la persécution peut émaner d’acteurs non étatiques, si l’Etat ou les partis ou organisations qui les contrôlent ne peuvent ou ne veulent accorder une protection contre la persécution ou les atteintes graves. Or, pour qualifier un agent de persécution non étatique d’acteur de persécution, le tribunal exige souvent la démonstration que le demandeur ait recherché en vain une protection auprès des autorités. Il est aussi fait référence à la responsabilité de l’absence de protection. Ce raisonnement mêle différentes notions constitutives de la définition de réfugié, soit la source de la persécution et la disponibilité d’une protection par l’Etat. Elle met également l’accent sur la qualification de l’agent non étatique comme acteur de persécution ou d’atteintes graves. Pourtant, dans le cadre de la protection internationale, c’est l’absence de

protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. Il n’est pas non plus nécessaire de prouver la responsabilité d’un acteur étatique ou non étatique dans l’absence de protection.

Pour ce qui est des acteurs de protection, dans certains jugements, le tribunal a considéré que, contrairement à la position de l’UNHCR en la matière, des organisations internationales voire la famille pouvaient constituer des acteurs de protection. Toutefois, leur capacité effective de protection n’est pas évaluée.

En ce qui concerne l’établissement du lien causal entre la persécution et les motifs énumérés dans la Convention de 1951 (race, religion, nationalité, opinion politique, appartenance à un certain groupe social), le tribunal constate souvent l’absence de ce lien, en soulignant dans maints cas le caractère privé des faits, sans que cela ne soit davantage développé. C’est surtout le cas quand il s’agit d’interpréter la notion de groupe social.

Lors de la détermination de la présence d’une alternative de fuite interne, la motivation des jugements est souvent peu étayée. Le tribunal ne se penche que rarement sur l’évaluation de la pertinence de l’alternative envisagée ainsi que sur son accessibilité pratique, légale et sûre pour le demandeur.

Recommandation

Dans le cadre de la détermination du statut de réfugié, l’UNHCR prône une analyse juridique plus complète, comprenant un examen séparé des différents éléments de la définition du réfugié. Une telle motivation permettrait une meilleure compréhension de la décision. De plus, une référence claire aux critères de la loi contribuerait à une interprétation plus harmonieuse de la définition du réfugié et de la protection subsidiaire.

Il est également recommandé d’établir une argumentation qui soit plus en lien avec la situation individuelle du demandeur et la situation effective dans le pays d’origine et d’améliorer la prise en considération des causes de persécution, en particulier de celle liée à la religion et au groupe social, en ce inclus le genre.

Enfin, il conviendrait de revoir les critères d’évaluation d’une crainte fondée ainsi que l’approche adoptée vis-à-vis des acteurs de protection.

1.2.2.2 Protection subsidiaire ou complémentaire

Lorsque le demandeur ne peut être reconnu comme réfugié, la loi du 5 mai 2006 prévoit qu’il convient d’examiner s’il peut se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire. Toutefois, il ressort des décisions une certaine hésitation dans le chef du

tribunal à interpréter la notion d’atteintes graves servant de base à la protection subsidiaire. La jurisprudence du tribunal a ainsi tendance à mettre l’accent sur les aspects procéduraux plutôt que sur les aspects de fond de la protection subsidiaire.

Le tribunal souhaite parfois, outre des moyens spécifiques, d’autres éléments que ceux exposés dans le cadre de la demande d’asile sur base de la Convention de 1951.

Lorsque des moyens spécifiques sont invoqués relativement à l’interprétation de la notion d’atteintes graves au sens de l’article 37, sous c), de la loi du 5 mai 2006, le tribunal exige un degré excessif d’individualisation du risque, susceptible de rendre la protection subsidiaire illusoire. Les exigences du tribunal en matière d’individualisation du risque soulèvent d’ailleurs, dans ces cas, la question de l’applicabilité de la Convention de 1951.

En effet, si le tribunal reconnaît la primauté de la Convention de 1951 sur la protection subsidiaire, cette dernière est parfois accordée dans des cas qui semblent plutôt relever de la Convention de 1951.

Recommandation

L’UNHCR encourage le tribunal à davantage motiver son interprétation des notions relatives à la protection subsidiaire. Dans le cadre de l’examen de ce besoin de protection, il recommande, même en l’absence d’éléments supplémentaires à ceux exposés dans sa demande d’asile sur base de la Convention de 195l l’examen de tous les éléments fournis par le demandeur. Il est également recommandé également au tribunal d’interpréter la protection subsidiaire de façon souple afin de lui donner un effet utile au Grand-Duché de Luxembourg, tout en octroyant par ailleurs le statut de réfugié à ceux qui en remplissent les conditions.

1.2.3 Aspects procéduraux

1.2.3.1 Etendue de la compétence du tribunal administratif

Dans le cadre de sa compétence de réformation des décisions du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration (MAEI) en matière de protection internationale, le tribunal limite, dans les jugements étudiés, son examen aux moyens soumis par les parties à la cause. Il n’approfondit néanmoins pas, de sa propre initiative, d’autres éléments qui pourraient être pertinents. Dans le cadre de l’examen du besoin de protection subsidiaire, il exige des moyens spécifiques pour examiner si le demandeur peut bénéficier de la protection subsidiaire. Faute de tels moyens, le tribunal ne se prononce pas sur ce point. Se pose surtout la question de la participation active du tribunal à l’évaluation de la demande de protection internationale. De plus, l’absence

d’instruction dans le chef du tribunal peut constituer un obstacle à un examen adéquat de la demande de protection, dans le cas où les éléments du dossier seraient inexacts et/ou incomplets.

Recommandation

Une analyse globale de la demande de protection internationale et, le cas échéant, un examen d’office des aspects pertinents qui ne seraient pas soulevés par les demandeurs de protection internationale est souhaitable de la part des instances de détermination de la protection internationale. Il est également recommandé que ces mêmes instances disposent, en matière de protection internationale, d’une possibilité d’instruction afin de garantir un examen adéquat de chaque demande.

Considérant la relative incompatibilité observée entre la procédure existant actuellement et un examen totalement satisfaisant des demandes de protection internationale par le tribunal administratif, l’UNHCR recommande qu’une réflexion soit menée en vue d’évaluer la manière selon laquelle le système actuel pourrait être aménagé afin de rencontrer les objectifs de protection internationale recherchés.

1.2.3.2 Etablissement des faits, charge de la preuve et crédibilité

Il ressort de l’examen des jugements qu’une charge excessive repose sur le demandeur. En effet, le tribunal considère que la charge de la preuve repose principalement sur ce dernier. Ainsi, dans chaque jugement qui aboutit à une décision négative, le tribunal considère que le demandeur « reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 ».

Or, en matière de protection internationale, les principes relatifs à la charge de la preuve sont différents de ceux appliqués dans les autres matières civiles relevant de la compétence du tribunal et il est communément accepté que celle-ci repose à la fois sur le demandeur et sur l’examinateur.

Recommandation

En raison de la particularité de la matière, l’UNHCR recommande une plus grande participation du tribunal dans l’évaluation de la crainte fondée de persécution. Un pouvoir d’instruction accru du tribunal permettrait également une participation plus importante de celui-ci dans la détermination conjointe du besoin de protection internationale.

Afin de remédier à la charge apparemment excessive pesant sur le demandeur en matière de preuve, l’UNHCR recommande que ces éléments fassent également partie de la réflexion proposée supra (voir sous 1.2.3.1).

L’évaluation de la crédibilité telle qu’interprétée par le tribunal est assez équilibrée et procède d’une mise en balance entre les éléments positifs et négatifs en vue d’aboutir à une conclusion relative à l’ensemble de la crédibilité. Elle est rarement l’élément principal dans le cadre d’un refus de protection internationale, néanmoins, les motivations des jugements ne contiennent pas toujours de conclusion relative à l’analyse de crédibilité avant que ne soit entamée l’analyse légale.

Recommandation

L’UNHCR recommande de mener l’examen de la crédibilité de manière distincte de l’analyse légale ce qui permet d’éviter une mauvaise compréhension de la décision finale, pouvant manquer de clarté ou de précision sur l’aspect de la demande qui est réellement remis en question.

1.3 Conclusion

La présente analyse a mis en lumière deux principaux domaines susceptibles d’amélioration : celui relatif à l’interprétation des notions menant à l’octroi de la protection internationale et celui relatif aux aspects procéduraux qui ont un impact considérable sur la détermination du besoin de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg. Or, si sur un certain nombre de points, les juridictions administratives peuvent améliorer leur pratique et ainsi rejoindre les recommandations de l’UNHCR, sur d’autres et notamment sur certains aspects procéduraux, une amélioration ne dépend pas de leur seul pouvoir. L’implication d’autres acteurs dans une réflexion globale est nécessaire, notamment au niveau politique, gouvernemental et législatif. Il serait également souhaitable que le rôle et la formation des avocats en fasse partie.

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