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Etude de jurisprudence du Tribunal Administratif du Grand-Duché de Luxembourg en matière de protection internationale

4. Aspects relatifs à l’interprétation des notions donnant lieu à l’octroi de la protection internationale

4.1 Définition du réfugié selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés

4.1.6 Alternative de fuite interne

4.1.6.1 Notion

Si la crainte d’être persécuté ou le risque d’atteintes graves invoqué par le demandeur sont limités à une partie du pays dont ils ont la nationalité ou, le cas échéant la résidence habituelle, la question de l’existence pour cette personne d’une possibilité de se rendre dans une autre partie du pays pour y bénéficier d’une protection de l’Etat peut parfois se poser. Ce concept est connu sous le nom d’alternative ou possibilité de fuite ou de réinstallation interne ou encore de protection interne et est parfois utilisé pour refuser une protection lorsqu’il est considéré qu’une personne peut bénéficier d’une protection dans une autre partie du pays considéré.

4.1.6.2 Législation

La loi du 5 mai 2006 a transposé l’article 8 de la directive qualification et offre la possibilité au Ministre d’appliquer le concept d’alternative de fuite interne en son article 30. La loi prévoit un examen de cette alternative au regard des conditions générales prévalant dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur (article 30 (2)). Elle n’est pas en désaccord avec la position de l’UNHCR à l’égard de l’alternative de fuite interne à l’exception du paragraphe 3 de l’article 30 qui prévoit que la protection interne telle que décrite dans le paragraphe 1 s’applique nonobstant des obstacles techniques au retour vers le pays d’origine. Ce paragraphe s’écarte de la position de l’UNHCR et de la jurisprudence de la CEDH131. En effet, un élément essentiel dans le cadre d’une protection interne est que l’endroit identifié soit sûr, accessible tant légalement qu’en pratique. L’UNHCR considère dès lors que l’article 30 (3) ne devrait pas être appliqué s’il avait pour effet de refuser la protection à des personnes qui n’ont de facto pas d’alternative de fuite interne132. Outre les aspects pratiques, il est de plus intéressant de noter que la CEDH a, dans un arrêt récent, estimé que la personne doit pouvoir voyager jusqu’à la zone proposée, entrer sur le territoire et y rester133.

130

UNHCR, Principes Directeurs sur la protection internationale : « L’appartenance à un certain groupe social », op.cit., point 22.

131

Arrêt de la CEDH, précité, Salah Sheekh v. Pays-Bas, précité.

132

UNHCR, Asylum in the European Union, a study on the implementation of the Qualification Directive,

op.cit., p. 56.

133

4.1.6.3 Jurisprudence et observations de l’UNHCR

a) Constat

L’alternative de fuite interne, si elle est parfois évoquée dans le cadre de l’examen de la demande de protection, est rarement l’argument principal invoqué à l’appui d’un refus de protection134.

Parmi les jugements étudiés, une seule décision positive reconnaît l’impossibilité d’une alternative de fuite interne dans le chef du demandeur : « Enfin, en ce qui concerne une possibilité de fuite interne, il convient de relever qu’il ressort du rapport d’Amnesty International mentionné ci-avant que les violences à caractère politique sont commises sur tout le territoire du Nigeria aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau des Etats, de sorte que le demandeur n’est aucunement assuré d’être protégé contre des persécutions dans d’autres régions de son pays. C’est dès lors à tort que le ministre a estimé que le demandeur disposait d’une alternative de protection interne »135.

Cependant, de manière générale, le tribunal s’appuie sur une jurisprudence de 2001136 pour analyser la possibilité de fuite interne et finalement refuser l’octroi de la protection internationale aussi sur cette base. Dans ce jugement non modifié suite à la mise en œuvre de la loi du 5 mai 2006, le tribunal a statué qu’un ressortissant d’origine ethnique albanaise, originaire de Mitrovica, qui craint les persécutions de la part de la majorité serbe, peut s’installer dans une autre partie du Kosovo où les personnes d’origine ethnique albanaise sont majoritaires : « Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il est toujours difficile pour un membre de la communauté albanaise du Kosovo, originaire de la région de Mitrovica, de s’y réinstaller, le demandeur ne précise pas, au-delà de son affirmation générale quant à des persécutions dans plusieurs autres régions du Kosovo, des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo à majorité albanaise et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine »137.

Dans ses décisions, le tribunal semble exiger que les persécutions s’étendent à l’intégralité du territoire. Par ailleurs, il n’identifie pas toujours une région spécifique par rapport à laquelle l’alternative de fuite interne devrait être évaluée : « Pour le surplus,

134

Dans 14 jugements de la période passée en revue, l’alternative de fuite interne est évoquée principalement pour les demandeurs originaires du Nigéria, de Guinée et de la RDC.

135

TA, 9 octobre 2007, n° 23282, Nigeria, statut de réfugié.

136

TA, 10 janvier 2001, n° 12240, Pasicrisie luxembourgeoise, bulletin de jurisprudence administrative, 1er janvier 97 – 31 décembre 2005.

137

Voir aussi par exemple, TA, 23 novembre 2007, n° 23246, Serbie, rejet. Il est à noter que l’UNHCR recommandait de ne pas appliquer l’alternative de fuite interne aux minorités ethniques à risque en ce inclus des Albanais en situation minoritaire : voir UNHCR, Position on the continued international

le demandeur ne saurait être suivi lorsqu’il allègue sommairement qu’une fuite interne lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine au vu de l’étendue du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié »138.

En outre, le tribunal ne semble pas finaliser l’évaluation de la crainte de persécution dans la zone d’origine avant de procéder à l’examen de l’alternative de fuite interne : « A cela s’ajoute qu’il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une fuite interne aurait été impossible au demandeur, étant donné que les risques par lui allégués se limitent essentiellement à son village d’origine, de sorte qu’il peut être raisonnablement estimé que Monsieur [...] pouvait s’installer dans une autre partie de la Guinée et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale »139.

De plus, il ne ressort pas de la motivation des jugements que le tribunal ait fait l’examen préalable de l’accessibilité légale, pratique et sûre de la zone identifiée comme étant une alternative de fuite interne, et ce parfois malgré les efforts du demandeur pour réfuter cette possibilité en raison de son inaccessibilité : « Il s’ensuit que le demandeur pourrait échapper à ces persécutions en s’établissant dans une autre partie de son pays d’origine et en mettant ainsi à profit une possibilité de fuite interne. Cette conclusion n’est pas ébranlée par les affirmations non autrement circonstanciées et précisées du demandeur quant à l’impossibilité de rejoindre la ville de Korogho, où se trouvent pourtant sa femme et son enfant, et au risque d’être considéré comme traître dans les territoires tenus par les rebelles et comme rebelle ou collaborateur dans la zone sous contrôle des forces gouvernementales »140. Il ne résulte pas non plus de la motivation des jugements, que la situation personnelle des demandeurs a été prise en compte ou examinée.

138

TA, 10 janvier 2001, n° 12240, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées ; TA, 4 décembre 2007, n° 23371, Nigéria, rejet ; TA, 2 novembre 2007, n° 23291, Nigeria, rejet ; TA, 18 octobre 2007, n° 22766, Guinée, rejet.

139

TA, 25 janvier 2008, n° 23250, Guinée, rejet.

140

Quelques-uns des jugements relèvent finalement que le défaut du demandeur d’établir l’absence de possibilité de fuite interne est pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié. Ainsi, la charge de la preuve repose sur le demandeur. Tous les jugements évoquant une alternative de fuite interne mettent l’accent sur la nécessité pour le demandeur d’établir qu’il ne peut disposer d’une protection ailleurs dans le pays. Ainsi, par exemple, dans le cas d’un demandeur d’asile guinéen, le tribunal se prononce comme suit : « Or, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie de la Guinée, pour échapper ainsi à l’emprise de son chef de quartier et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne»141.

b) Observations de l’UNHCR

Face aux diverses interprétations par les Etats du concept d’alternative de fuite interne et dans une tentative de donner une guidance aux personnes en charge de la détermination du statut de réfugié, l’UNHCR a développé des lignes directrices en 2003142.

Celles-ci rappellent qu’en droit international, il n’est pas exigé des personnes menacées qu’elles épuisent toutes les possibilités de recours dont elles disposent dans leur propre pays avant de demander l’asile. Le concept de fuite ou de réinstallation interne ne doit donc pas être invoqué de telle sorte qu’il porte atteinte à l’un des principes cardinaux de la protection des droits de l’homme qui sous-tendent le régime de protection internationale, notamment le droit de quitter son propre pays, le droit de chercher asile et la protection contre le refoulement.

La Convention de 1951 n’exige pas que la crainte de persécution s’étende à l’ensemble du territoire du pays d’origine du réfugié. Le concept d’alternative de fuite interne n’est pas un principe du droit des réfugiés pas plus qu’il ne constitue un élément d’appréciation indépendant dans le processus de détermination du statut de réfugié. Un réfugié est, au sens de la Convention, une personne qui satisfait aux critères inscrits à l’article 1, section A, paragraphe 2, de la Convention de 1951. Ces critères doivent être interprétés dans un esprit libéral et humanitaire, conformément à leur signification communément acceptée et au regard de l’objet et du but de la Convention de 1951. Toutefois, lorsque les Etats souhaitent utiliser le concept d’alternative de fuite interne, ils doivent le faire selon des critères bien définis.

141

TA, 18 octobre 2007, n° 22766, Guinée, rejet

142

UNHCR, Principes Directeurs sur la protection internationale : La possibilité de fuite ou de

Ainsi, avant d’envisager toute possibilité de fuite interne, il y a lieu de procéder à une évaluation complète de la crainte de persécution dans la région d’origine. Ensuite, en cas d’examen du concept de fuite interne, il incombera à l’examinateur d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour la personne concernée. Une fois cette zone identifiée, l’examinateur devra procéder à l’examen de la protection disponible contre la persécution et examiner le caractère pertinent et raisonnable de l’alternative proposée en fonction du profil de la personne concernée143. Si l’Etat est l’agent de persécution redouté, l’alternative de fuite interne n’est pas pertinente. Il en est de même si la région envisagée n’est pas accessible légalement ou en pratique. Il s’agit également de s’interroger sur le fait de savoir si considérant la situation prévalant dans le pays concerné, le demandeur peut mener une vie relativement normale sans devoir faire face à de trop grandes difficultés.

Il convient de relever quelques observations particulières quant aux aspects de la jurisprudence relevés supra :

En premier lieu, il est utile de rappeler que la Convention de 1951 n’exige pas, pas plus qu’elle ne le suggère, que la crainte de persécution s’étende à l’ensemble du territoire du pays d’origine du réfugié. L’application du concept d’alternative de fuite interne est facultative. Lorsque toutefois des Etats souhaitent appliquer le concept de fuite interne, il s'applique à une région donnée du pays où il n’existe pas de risque d’une crainte fondée de persécution. En outre, il faut que le demandeur puisse s’y installer pour y mener une vie normale. Par conséquent, si l’alternative de fuite interne est envisagée dans le processus de détermination du statut de réfugié, il est nécessaire d’identifier une région particulière et donner au demandeur une possibilité réelle de se prononcer sur cette proposition144. En ce sens, il aurait été opportun de tenir compte des éléments soulevés par le demandeur lorsqu’il conteste la possibilité d’une alternative de fuite interne en Côte d’Ivoire (voir le cas susmentionné : 4.1.6.3, p. 83). De tels arguments, liés à sa crainte d’être considéré comme un rebelle et en raison de son appartenance ethnique appellent pourtant à un approfondissement de l’analyse.

En deuxième lieu, l’UNHCR estime que la détermination d’une crainte de persécution dans la région d’origine est un préalable à la question d’une éventuelle fuite interne145. En effet, le fait que la crainte de persécution ne soit pas établie dans la région d’origine avant d’examiner une alternative de fuite interne a pour conséquence que la protection

143

Ibid., points 9-12.

144

Ibid., op.cit., point 6.

145

internationale est refusée au demandeur après un examen superficiel et insuffisant de la demande146.

En troisième lieu, le tribunal ne semble pas examiner la pertinence de l’alternative de fuite interne étant donné que ni l’accessibilité légale ou pratique de l’alternative de fuite interne proposée ni même la protection de la personne dans la zone identifiée ne semblent étudiées au regard de la situation personnelle du demandeur. Ce dernier point est non seulement contraire aux recommandations de l’UNHCR en la matière mais n’est pas conforme à l’article 30 (2) de la loi du 5 mai 2006. De l’avis de l’UNHCR, la motivation utilisée dans le cadre de l’application de ce concept n’est en effet pas suffisante au sens la loi.

Finalement, l’application de l’alternative de fuite interne ne pouvant générer un alourdissement de la charge de la preuve pour les demandeurs de protection, c’est à l’examinateur de prouver l’existence d’une telle alternative pour le demandeur de protection internationale : il lui revient de faire l’exercice de la pertinence de l’alternative de fuite interne au regard de la situation du demandeur et du caractère raisonnable de l’alternative envisagée147 (voir aussi infra la section 5.2).

4.2 Protection subsidiaire ou complémentaire

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