• Aucun résultat trouvé

Les juridictions administratives luxembourgeoises

Le contentieux de l’asile et le rôle du juge au Luxembourg

1. Les juridictions administratives luxembourgeoises

1.1 Présentation

Les juridictions administratives luxembourgeoises ont été créées par la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif2. Par rapport au système ayant existé auparavant – à savoir le comité du contentieux du Conseil d’Etat – cette réforme présente les caractéristiques suivantes :

− institution de juridictions administratives composées de magistrats professionnels3 pleinement indépendants et étrangers au processus législatif et au pouvoir exécutif, le Conseil d’Etat étant institutionnellement rattaché au pouvoir exécutif tout en ayant une fonction législative ;

− institution du double degré de juridiction en matière administrative et fiscale ; − introduction d'un recours à l'encontre des actes administratifs à caractère

réglementaire.

1

La présente contribution reprend en partie une conférence tenue par l’auteur le 2 octobre 2008 dans le cadre du colloque « Transfrontalité et transnationalité en Europe : Les statuts de l’étranger dans la grande région », organisé par l’Institut Droit et Economie des Dynamiques en Europe de l’Université Paul Verlaine de Metz. Les positions ou commentaires exprimés n’engagent que l’auteur de cet article et non son institution de rattachement.

2

Mémorial A n° 79 du 19 novembre 1996, pp. 2262 s.

3

Le tribunal administratif (TA) comprend depuis janvier 2009 10 juges répartis entre trois chambres généralistes siégeant à 3 juges ; la Cour administrative (CA) comporte 5 magistrats siégeant à tour de

1.2 Compétence

Si le juge administratif est depuis la loi modifiée du 3 avril 19964 portant création, premièrement, d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, et deuxièmement, d’un régime de protection temporaire, depuis remplacée par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection5, le juge naturel des questions d’asile, il n’est pas, contrairement à la solution retenue dans différents pays limitrophes6, un juge spécialisé en cette matière.

Il convient en effet de rappeler que les juridictions administratives luxembourgeoises sont des juridictions généralistes, en ce sens qu’elles ont compétence pour toutes les décisions administratives individuelles et réglementaires relevant de matières aussi diverses que la protection de l’environnement, l’urbanisme, l’agriculture, la chasse, les impôts directs, la protection des données, la fonction publique, les marchés publics – la liste ne fait que s’allonger – et bien entendu le droit des étrangers et de l’immigration, en ce compris celui de l’asile, dans toutes sa complexité technique et humaine.

Le tribunal administratif peut être saisi, selon les matières, par la voie de deux recours différents, à savoir, d’une part, le recours en annulation, et d’autre part, le recours en réformation7.

Le recours en annulation est le recours de droit commun en matière de contentieux administratif et connaît cinq causes d’ouverture : l’incompétence qui peut consister dans le fait que l’auteur de la décision a exercé des fonctions attribuées à une autre autorité, ou s’il s’est déclaré incompétent alors qu’il l’était, ou encore s’il s’est laissé guider par des considérations relevant de la compétence d’une autre autorité ; la violation de la loi, qui concerne toutes les décisions, qui, directement ou indirectement, auraient méconnu ou mal appliqué une règle de droit applicable dans le cas d’espèce ; l’excès de pouvoir, qui se rapproche de la violation de la loi, et qui concerne la violation de règles non écrites, mais généralement admises comme devant constituer les principes généraux du droit ; le détournement de pouvoir qui vise, d’une part,

4

Loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile, Mémorial A, n° 30 du 07 mai 1996, pp. 1026 s.

5

Mémorial A n° 78 du 09 mai 2006, pp. 1402 s.

6

Ainsi, en France, le statut de réfugié et la protection subsidiaire sont accordés par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile (depuis 2007, anciennement Commission des recours des réfugiés) ; en Belgique, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) examine le contenu de la demande et décide d’octroyer ou de refuser le statut de réfugié ou de protection subsidiaire sous le contrôle depuis 2007 du Conseil du contentieux des étrangers (CCE) devant lequel le demandeur d’asile peut introduire un recours contre une décision défavorable ; si en Allemagne, le contentieux de l’asile relève des juridictions administratives de droit commun, celles-ci connaissant cependant une spécialisation interne poussée entre les différentes chambres, voire même entre les différents magistrats.

7

Article 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : « (1) Le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif ».

l’utilisation d’une compétence dans un but autre que celui pour lequel elle est conférée, et, d’autre part, le détournement de procédure ; et enfin la violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, qui vise l’inobservation de formes substantielles établies pour protéger le requérant.

L’issue d’un tel recours consiste, le cas échéant, en l’annulation de la décision attaquée : l’affaire est alors renvoyée devant l’autorité qui avait pris la décision, et qui doit donc statuer à nouveau. Si cette dernière reste inactive, le requérant peut demander au juge de nommer un commissaire spécial.

Le contentieux de la réformation se différencie du contentieux de l’annulation par les éléments suivants : ce n’est pas un recours de droit ; il faut qu’il soit expressément prévu par un texte légal. C’est un recours au fond, dans lequel le juge apprécie lui-même entièrement les circonstances de fait ; par ailleurs, en prenant sa décision, le juge ne renvoie pas l’affaire devant l’administration mais s’y substitue lui-même.

La Cour administrative dans un arrêt récent8 définit la compétence du juge administratif en matière de réformation comme la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative, en contrôlant non seulement la légalité de la décision de l’administration, mais également des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et ce, indépendamment de toute cause d’annulation.

En d’autres termes, le juge de la réformation peut être appelé à statuer sur des éléments de fait et de droit que l’administration n’a pas connus et à prendre une nouvelle décision, et ce même si la décision attaquée est à tous autres égard légale.

La différence entre ces deux sortes de recours ne s’attache donc pas seulement aux pouvoirs de contrôle du juge, mais aussi à l’époque du contrôle opéré par le juge : il s’agit, malheureusement, d’une différence qui échappe encore à bon nombre de plaideurs.

Un tel contrôle implique par ailleurs une intervention active du juge dans l’activité de l’administration ; dès lors le juge administratif dispose d’une certaine latitude et d’un certain pouvoir « inquisitorial » dans le respect du principe du contradictoire : ainsi, dans l’intérêt de l’instruction de l’affaire, le président du tribunal ou de la Cour peuvent ordonner d’office la production de mémoires supplémentaires ; le président du tribunal peut encore abréger les délais par ordonnance non susceptible d’appel, les parties ayant été entendues ; enfin, le juge est libre de fixer les mesures d’instruction qu’il

8

détermine, sous condition de respecter en tout état de cause le principe du contradictoire ; le tribunal ne peut cependant pas statuer sur un moyen soulevé d’office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations.

La procédure9 est écrite10 et la représentation par voie d’avocat est obligatoire11, sauf pour l’Etat qui peut être représenté par un délégué du Gouvernement : les demandeurs ne sont pas convoqués à l’audience mais peuvent s’y rendre pour y assister a priori passivement – ils ne sont en tant que tels théoriquement pas habilités à prendre la parole, détail qui revêt une importance particulière en droit des étrangers, et plus particulièrement en matière d’asile.

Cette représentation obligatoire par avocat s’explique par la technicité du droit administratif12 et par le caractère formaliste de cette procédure : le juge n’est pas saisi d’une « affaire » ou d’un « dossier » que l’on vient librement débattre devant lui, mais d’une décision administrative, individuelle ou à caractère réglementaire qui lui est déférée par une requête, acte de procédure qui délimite la demande de la partie et ses moyens. La requête délimite ainsi – sauf moyens d’ordre public – le débat devant le juge et l’analyse que celui-ci sera appelée à mener.

La procédure prévoit encore sous peine de forclusion des délais pour le dépôt des mémoires des différentes parties : c’est ainsi que le mémoire en réponse du défendeur – en la matière du droit de l’asile l’Etat – doit être déposé dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive, le demandeur disposant ensuite d’un mois pour répliquer et le défendeur13 d’un mois supplémentaire pour dupliquer.

Le recours n’a pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le président du tribunal ou par le juge qui le remplace ; le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance ; par ailleurs, du point de vue formel, la demande en sursis à exécution doit être présentée

9

Matière régie par la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, Mémorial A n° 98 du 26 juillet 1999, pp. 1892 s.

10

Exception faite des demandes en sursis à exécution ou en instauration de mesures de sauvegarde où la procédure est orale : articles 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

11

Sauf en matière fiscale.

12

L’exclusion du droit fiscal de cette obligation constitue indéniablement un paradoxe mais s’explique par le lobbying des experts-comptables.

13

par une requête distincte du recours tendant à l’annulation ou à la réformation de la décision déférée.

Quant à l’appel, celui-ci doit être interjeté, sous peine de forclusion, dans un délai de quarante jours, non susceptible d’augmentation en raison de la distance, à partir du jour de la notification du jugement par la voie du greffe de la juridiction de première instance.

Tant le délai que l’instance d’appel ont un effet suspensif en ce sens qu’il est sursis à l’exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions attaquées en attendant que la Cour administrative ait rendu un arrêt définitif.

Si le juge administratif est ainsi le juge naturel de l’asile, il n’en est en revanche pas nécessairement le juge exclusif.

En effet, conformément à l’article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils relèvent de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire. A

contrario, les juridictions administratives ne sont, en principe, pas compétentes pour

connaître de questions relevant de droits civils ou de droits subjectifs : le juge administratif luxembourgeois est le juge des actes administratifs, mais il n’est pas le juge de l’Administration.

Cette distinction que l’on retrouve également en droit belge a donné naissance en Belgique à une jurisprudence étoffée14 dans laquelle le juge des référés judiciaire s’est déclaré compétent pour connaître, au provisoire et compte tenu de l’urgence, notamment lorsque le demandeur attend une décision, de questions relevant de l’asile, et plus particulièrement lorsque des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des Droits de l’Homme15 sont en jeu tels que les principes édictés par l’article 3 de cette Convention – interdiction des traitements inhumains et dégradants – dans les cas médicaux ou pour les apatrides, ou encore l’article 8 – respect de la vie privée et la vie familiale – pour le respect des aspects liés à la vie familiale de la personne que l’État a le projet d’éloigner, ou encore l’article 13 – droit à un accès au juge – qui est évoqué pour demander la garantie d’un recours effectif, notamment pour demander un permis de séjour provisoire dans l’attente de la décision du Conseil d’État.

14

Voir à ce sujet : Saroléa Sylvie, Le contentieux des droits des étrangers devant le juge judiciaire, http://jbverviers.blogspot.com/2006/12/actualit-du-droit-des-trangers-le.html

15

Plus généralement, il est encore admis que le juge des référés judiciaire est compétent lorsque l’action administrative qu’il s’agit d’arrêter ne constitue pas l’exécution d’une décision administrative, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas de décision, ou en constitue une mauvaise exécution16.

Si aucune décision n’a à notre connaissance été rendue à ce jour en ce sens en droit luxembourgeois, il s’agit néanmoins d’une possibilité directement transposable en droit luxembourgeois qui offre – au-delà de discussions théoriques juridiques fort intéressantes – potentiellement des solutions intéressantes pour certains cas exceptionnels – en l’absence de tout acte explicite ou implicite de l’Administration revêtant le caractère objectif d’une décision – où les voies de recours du contentieux administratif demeureraient inefficaces.

Documents relatifs