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L’accès au travail et à l’apprentissage des demandeurs d’asile : étude comparative européenne

François MOYSE

La présente contribution est principalement basée sur un travail effectué par le réseau ODYSSEUS, le Réseau académique d’études juridiques sur l’immigration et l’asile en Europe1. Cette étude a été effectuée au profit de la Commission européenne.

Il s’agit en l’occurrence d’une étude globale comparative de 10 directives européennes en matière d’asile, dont celle qui servira de base aux présents développements, à savoir la directive sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile (« directive accueil»).2 Notons d’emblée que c’est l’article 11 de cette directive qui est relatif à l’accès au travail des demandeurs d’asile.

Avant d’analyser les conclusions de ce rapport sur la réalité de l’accès au travail et à l’apprentissage par les demandeurs d’asile en Europe, il est utile de se référer à un autre rapport : celui de la Commission européenne au Conseil européen et au Parlement européen sur l’application de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres.3

Dans son rapport, la Commission observe qu’« en raison de la flexibilité considérable

que permet l'article 11, aucun problème majeur n'a été constaté dans le respect des règles sur l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail ».

Selon la Commission, la moitié des États membres n’octroie aux demandeurs d’asile l’accès au marché du travail qu’après un an à compter du dépôt de leur demande d’asile – il s’agit de la durée maximale autorisée par la directive accueil. Neuf États membres autorisent l'accès après l’écoulement de délais plus courts (il est de 9 mois au Luxembourg), et un seul Etat membre, la Lituanie, enfreint cette directive en ne prévoyant absolument pas cette possibilité.

Cependant, de manière latente, on voit tout de même apparaître certains problèmes puisqu’une majorité de pays exigent des demandeurs d'asile qu'ils sollicitent un permis de travail, restreignent l'accès au marché du travail à certains secteurs de l'économie et limitent la durée du temps de travail autorisé et ce, parfois de manière très restrictive.

1

L’auteur en est membre.

2

Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, JO L 31 du 6 février 2003, p. 18.

D’où la conclusion plus nuancée de la Commission européenne selon laquelle « les

restrictions supplémentaires imposées aux demandeurs d'asile qui ont déjà eu accès au marché du travail, telles que la nécessité d'un permis de travail, pourraient considérablement entraver cet accès dans la pratique ».

Le rapport du Réseau ODYSSEUS permet de présenter plus en détail les problèmes juridiques et pratiques que soulève l’application de la directive accueil. Six questions sont ainsi posées, dont nous esquisserons les réponses ci-dessous.

1. La durée de la période durant laquelle les demandeurs d’asile n’ont pas accès au marché du travail

Deux tendances se dessinent dans les Etats membres de l’Union européenne (EU) : − la moitié des Etats suit le principe ancré dans la directive accueil en n’autorisant

pas les demandeurs d’asile à accéder au marché du travail avant l’écoulement d’un délai d’un an (notamment la République Tchèque, l’Estonie, l’Allemagne, la France, la Lettonie, Malte, la Slovaquie, la Slovénie ou le Royaume-Uni). − neuf Etats ont adopté des dispositions plus favorables en la matière, en

autorisant un accès au marché du travail plus rapide :

- Accès immédiat en Grèce ;

- Après 20 jours maximum au Portugal ;

- 3 mois en Autriche et en Finlande ;

- 4 mois en Suède ;

- 6 mois en Italie, en Espagne et aux Pays-Bas (avec un accès limité cependant à 12 semaines par année durant la procédure) ;

- 9 mois au Luxembourg.

En Belgique, le problème est que le ministre fédéral en charge des conditions d’accueil n’a pas compétence pour l’emploi, qui relève d’un autre ministre fédéral.

Seule la Lituanie viole la directive accueil et son article 11 en n’autorisant pas les demandeurs d’asile à travailler, même si la procédure dure plus d’une année.

2. L’obtention d’un permis de travail : une exigence dans certains pays

Presque deux-tiers des Etats membres exigent des demandeurs d’asile qu’ils possèdent un permis de travail (la liste comprend notamment : l’Autriche, la Belgique, l’Estonie, l’Allemagne, la Hongrie, la Lettonie, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, la

Slovénie, la Suède, l’Espagne, le Luxembourg, la France et le Royaume-Uni, où une autorisation du Home Office est requise).

L’exigence d’un permis de travail soulève plusieurs questions et notamment celle des délais nécessaires pour l’obtention dudit permis. D’autre part, les permis peuvent prévoir certaines obligations pour les demandeurs d’asile ; ils peuvent également limiter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail en excluant certains emplois ou en ayant une durée de validité limitée. Les limitations relatives à l’accès au marché du travail diffèrent selon la réalité nationale. Ainsi en Allemagne, le permis de travail peut être restreint à un certain type d’activités ou à certaines heures de travail.

Une minorité d’Etats membres de l’UE ne conditionnent pas l’accès au marché du travail à la possession d’un permis de travail (le Portugal, la Finlande, l’Italie et Chypre).

3. Les conditions d’accès des demandeurs d’asile au marché du travail après la période initiale (règles relatives au temps de travail ou au type de travail ou de professions autorisées)

Outre l’exigence d’un permis de travail, d’autres conditions peuvent être imposées qui limitent l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, conformément aux dispositions de l’article 11, paragraphe 2 de la directive accueil :

− Le travail par des demandeurs d’asile est limité à 12 semaines par an aux Pays-Bas.

− En France, l’emploi occupé doit être temporaire.

− À Chypre, malgré l’absence de restriction légale, en pratique les demandeurs d’asile ne peuvent travailler que dans le secteur de l’agriculture.

− en Autriche, les demandeurs d’asile n’ont accès qu’aux emplois saisonniers dont le cumul ne peut excéder 6 mois sur une année.

− Au Royaume-Uni l’accès à des activités commerciales ou indépendantes est en général prohibé.

Le rapport souligne que si ces limitations ne sont pas, en tant que telles, contraires à la directive accueil, elles posent cependant de façon évidente la question de la cohérence de la politique commune en matière d’asile. Ces disparités menacent l’harmonisation du système, car elles incitent les demandeurs d’asile à recourir au travail au noir.

4. Règles de priorité entre les demandeurs d’asile d’une part, et les nationaux, citoyens de l’UE de l’EEE et nationaux de pays tiers résidents légalement d’autre part

L’accès au marché du travail est susceptible d’être restreint, en vertu de l’article 11, paragraphe 4 de la directive accueil, en donnant la priorité à d’autres catégories de travailleurs.

L’ordre de priorité diffère d’un Etat à un autre :

− soit les citoyens de l’UE ou de l’Espace Economique Européen (EEE), ainsi que les ressortissants des pays tiers résidant légalement sont prioritaires sur les demandeurs d’asile (notamment en Autriche, à Chypre, au Luxembourg et en Grèce) ;

− soit les demandeurs d’asile sont placés sur un pied d’égalité avec les nationaux des pays tiers qui y résident légalement, mais viennent après les citoyens de l’UE et de l’EEE (Estonie, Hongrie, Pologne) ;

− en République Tchèque uniquement, les demandeurs d’asile ont priorité par rapport aux ressortissants des pays tiers y résidant légalement.

D’autres pays, notamment les Pays-Bas, la Finlande, la France, l’Italie, la Lettonie, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et l’Espagne, n’ont pas recours à cette pratique.

5. L’accès des demandeurs d’asile à la formation professionnelle

C’est l’article 12 de la directive accueil qui prévoit l’accès à la formation professionnelle. Cet accès est traité de manière très différente dans les Etats membres de l’UE, selon s’il est lié ou non à l’exercice d’un emploi.

Le paragraphe 1er de l’article 12 laisse la possibilité au Etats d’accorder aux demandeurs d’asile l’accès à une formation professionnelle quand bien même ces derniers n’auraient pas accès au marché du travail. Presque la moitié des pays (dont la Belgique, la Finlande, l’Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Slovaquie et l’Espagne) l’ont ainsi permis. Au Luxembourg, cet accès est limité à certains types de formation professionnelle, souligne le rapport.

En ce qui concerne la formation professionnelle liée à un emploi, seule la Slovénie ne permet pas aux demandeurs d’asile un tel accès.

6. Synthèse: l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile est plus facile grâce à la directive

La directive accueil n’a eu aucun impact dans 7 Etats membres, où les dispositions nationales antérieures atteignaient déjà le standard de ladite directive en la matière.

Elle a eu un impact positif pour les demandeurs d’asile dans 11 Etats membres, par trois mécanismes :

− certains pays ont dû prévoir un accès plus rapide au marché du travail pour les demandeurs d’asile, notamment la Hongrie ou le Portugal ;

− abolition de l’interdiction de travailler, notamment au Luxembourg, en Italie, en France, en Slovaquie, en Pologne, en Estonie ou en Lettonie ;

− Au Royaume-Uni, l’accès au marché du travail est devenu un droit, alors qu’auparavant cette possibilité relevait d’une décision discrétionnaire du Home

Office.

Par contre, la directive accueil a eu un impact négatif dans deux Etats membres, soit en restreignant l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail (en Autriche), soit en introduisant des ambigüités dans la législation nationale, de sorte à produire une pratique administrative incertaine (à Chypre).

Globalement toutefois, l’impact de la directive accueil reste largement positif.

Après cette conclusion, il faut noter finalement qu’une proposition de directive relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États est proposée à l’adoption des Etats membres. Il s’agit d’une directive de refonte de la matière.4

La Commission européenne y propose de faciliter l’accès au marché du travail par deux mesures en particulier.

En premier lieu, la proposition prévoit que les demandeurs d’asile auront accès à l’emploi six mois au plus tard après le dépôt d’une demande de protection internationale. Ce délai sera donc raccourci par rapport à celui de la directive actuelle.

En second lieu, l’article 15 de la proposition de directive est destiné à empêcher l’imposition de conditions d’accès au marché du travail au niveau national trop limitatives, notamment en abrogeant la priorité des citoyens européens et des nationaux quant à l’accès au marché du travail.

En effet, l’abaissement de la durée maximum pendant laquelle les demandeurs d’asile ne peuvent travailler est une bonne chose en soi mais constituerait une mesure insuffisante. La proposition de directive en question tente donc d’aller plus loin pour faciliter davantage encore cet accès au marché du travail des demandeurs d’asile.

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