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5  CONCLUSION 151 

5.1   Résumé de la recherche 152

Ce mémoire posait comme hypothèse que la conservation expose des enjeux à la fois sociaux et techniques qui teintent la manière d’intervenir sur le milieu bâti existant. À cet égard, l’architecte britannique Aylen Orbasli (2008) soulignait que la conservation constituait une manifestation de l’histoire, des techniques, des matériaux et du contexte culturel2. C’est une communion qui incorpore la science, les arts, la manière de vivre, les façons de faire et le développement durable, le tout en lien avec l’époque, l’histoire des techniques et l’histoire des matériaux3.

Suivant la pensée d’Orbasli, la sauvegarde du patrimoine bâti n’est pas assurée par la sauvegarde seule de l’image d’un bâtiment – sa façade – ou de son volume. Une sauvegarde plus cohérente doit aussi prendre en considération les systèmes constructifs, notamment la structure et l’enveloppe, leurs matériaux et leur technique de pose, mais aussi le contexte dans lequel ils ont été pensés.

Le premier chapitre a approfondi cette notion de contexte comme partie prenante du processus de conservation en proposant une série de valeurs pouvant être attribuées à un édifice et aux contraintes d’ordres technique et climatique. Cette synthèse permet de mieux comprendre ce que les assemblages représentent, mais aussi comment ils évoluent et comment leur performance en est affectée.

Cette première étape a été faite à partir d’ouvrages traitant de la conservation et confirme notre hypothèse à l’effet que plusieurs facteurs sociaux participent à la définition, à l’évolution et au comportement de l’enveloppe. Compte tenu du fait que les

1 Le terme « guide » est utilisé dans ce mémoire pour les ouvrages dont les objectifs intègrent des

recommandations techniques ou des lignes directrices menant à une prise de décision.

2 Au-delà des aspects physiques et visuels, le contexte comprend l’interaction avec l’environnement naturel,

les pratiques sociales ou spirituelles passées ou actuelles, les coutumes, le savoir traditionnel, l’usage, les activités et d’autres formes ou expressions tenant du patrimoine culturel immatériel qui ont créé et façonnent l’espace ainsi que les milieux culturel, social et économique actuel et dynamique (ICOMOS, 2005).

3 De nombreux évènements sont soulignés dans ce mémoire comme ayant un impact sur l’évolution de

l’enveloppe : l’industrialisation des procédés de fabrication, la normalisation, le calcul aux états limites, les guerres, les entre-guerres et les après-guerres, les conquêtes, la dépression, la postérité, etc.

textes consultés, à caractère plus théorique, traitaient peu des considérations techniques et de leurs incidences sur la façon de réhabiliter, une deuxième recherche documentaire s’est imposée par l’étude de guides techniques1.

Cette étape, présentée au chapitre deux, devait aussi permettre de vérifier dans quelle mesure, à l’inverse de la première recherche documentaire, les facteurs sociaux étaient ici pris en compte dans le cadre de l’analyse technique, du diagnostic et de la réhabilitation des édifices. Elle a mis en évidence un clivage profond entre les discours tenus, d’une part, dans les ouvrages de conservation, qui justifient un cadre d’analyse –

le pourquoi conserver – et ceux, d’autre part, à propension plus technique, qui proposent

un cadre d’action – le comment conserver2. Ce clivage révèle l’absence de multidisciplinarité dans le processus de conservation3 alors que les théoriciens sont absents du milieu de la pratique architecturale et que les chercheurs se concentrent surtout dans les milieux académiques et d’administration publique:

- Les théoriciens traitent de valeurs, un peu de contraintes et pas de performance; - Les praticiens abordent un peu les valeurs, surtout les contraintes et peu la

performance;

- Les chercheurs semblent traiter très peu de valeurs et peu des contraintes, mais surtout de performance.

En confrontant le théorique à la pratique de la conservation, la recherche documentaire montre la nécessité d’employer une approche multidisciplinaire et globale de conservation intégrant valeurs et contraintes dans l’analyse de la performance de l’enveloppe du bâtiment.

Afin de mieux comprendre comment le processus tient compte ou non, à ce jour, d’une telle approche globale, une trentaine de guide techniques récents furent analysés. Cet examen, proposé au chapitre trois, montre que les guides sont des outils indispensables qui renferment des informations techniques fondamentales. Mais les guides sont aussi des outils de pédagogie, de diffusion et de propagande qui dictent des approches

1 Vingt-neuf (29) monographies ou collections, totalisant quarante-neuf (49) guides ont été sélectionnés

pour fins d’analyse.

2 La bibliographie confirme cet état : seulement 15 % des ouvrages (7 sur 56) portent à la fois sur la théorie

et la pratique de conservation.

3 Ce manque de transdisciplinarité est manifeste dans les contrats et les travaux de réhabilitation octroyés

dans le domaine de la réhabilitation des bâtiments, alors que les appels d’offres montrent une commande fragmentée selon le champ de connaissance et favorisant le travail en vase clos.

distinctes de conservation. Leur structure se base essentiellement sur la façon dont leurs approches respectives se concrétisent en projet. Ces approches sont développées à travers de grands thèmes, résumés au chapitre quatre : considérations fondamentales tels que le contexte général et les différents types de conservation, systèmes et matériaux, méthodes d’investigations et enfin recommandations sous forme de lignes directrices ou descriptives de travaux. Une comparaison des différents thèmes traités dans les guides techniques est présentée au chapitre cinq, qui confirme des différences importantes entre les approches selon les auteurs et leurs provenance, mais aussi entre la définition même et le traitement subordonné à l’enveloppe : matériaux, systèmes, états et performance se confondent, rendant ainsi tout exercice de comparaison des grandes approches de conservation bien spéculatif, loin des conditions physiques effectives.

Sauf pour de rares exceptions1, de l’ensemble des guides techniques consultés, les enjeux sociaux ne sont que partiellement traités2. Ainsi, le contexte d’édification et les valeurs conférées au bâtiment, éléments prépondérants dans la première recherche documentaire, sont écartés des études techniques. On se limite plus souvent qu’autrement à des modes de représentation exécutoires – le résultat à construire - sans aucune considération sociale. On réfère certes à des faits, à quelques histoires, mais sur des chemins parallèles, sans en considérer l’impact. Cette approche dialectique a un impact évident sur les recommandations, qui n’aborderont la sauvegarde du patrimoine bâti et la façon d’y arriver que sous des aspects élémentaires et rationnels et en conformité avec la ligne éditoriale de l’ouvrage3. De tels types de recommandations sont répandus, et la conséquence de leurs usages peut parfois mettre en péril le processus même de conservation recherché4.

L’ensemble de la recherche documentaire confirme que des considérations d’ordre social s’ajoutent aux aspects techniques et aux contraintes climatiques pour bien comprendre la performance d’une enveloppe. Elle confirme aussi qu’il n’y a actuellement

1 Giebeler et al. (2012) et Agence Qualité Construction (2015).

2 Les enjeux sociaux traités auront trait entre autres à l’historique et à la provenance des matériaux, aux

façons de faire et aux considérations régionales.

3 Notamment dans les ouvrages émanant du gouvernement du Canada (Parcs Canada, SCHL) dont l’action

ciblée (santé, préservation ciblée) teinte les approches de conservation.

4 Toute la question de réisolation des murs de maçonnerie massive et les recherches pour comprendre leur

fonctionnement en fonction de leur logique constructive et leur usage est un exemple où des démarches incomplètes, faute de budget, sont toujours latentes, que ce soit celles du CNRC au tournant des années 1980 ou de la SCHL depuis 15 ans.

pas d’approche globale qui tienne compte de l’ensemble des paramètres dans les guides techniques disponibles au Québec.

Du modèle théorique des influences et des impacts qui devraient être considérés dans le processus d’analyse globale, il ne reste, en fait, au bilan de l’étude des guides techniques, que les facteurs techniques et le climat qui sont considérés. C’est là l’approche véhiculée dans les guides. La performance devient ainsi, pour sa part, subordonnée aux seules propriétés intrinsèques des matériaux1, la plupart du temps selon une représentation instantanée de leur état physique2. Au mieux, la représentation sera accolée au matériau réel d’origine, au pire, à des modèles théoriques sans aucun lien avec ce qui est érigé en réalité.

En fait, le discours théorique, intégrant le contexte, les valeurs et les contraintes, est absent de la technique. Et la technique, amputée de ces considérations fondamentales, ne parvient à expliquer ni comment une enveloppe évolue ni même comment elle pourra se comporter. L’enveloppe est en crise d’identité. Face à ce constat, on doit néanmoins considérer que la compilation des informations contenues respectivement dans chaque ouvrage permet de dégager, au cumulatif, les enjeux qui devraient être considérés dans le processus de conservation et qui nous permettent de comprendre ce qu’est, de fait, l’enveloppe.

5.2 Retour sur les objectifs de recherche : l’enveloppe et sa performance