Section 2. à la perspective stratégique
2.2. Les réponses stratégiques des acteurs
Plusieurs approches permettent d’appréhender l’éventail stratégique dont disposent les acteurs pour faire face à ces risques. Les approches par les ressources (Pfeffer & Salancik, 1978) ou par les capacités dynamiques (Teece et al, 1997) permettent d’expliquer comment
l’organisation, en déployant, développant et combinant ses ressources parvient à conserver son avantage concurrentiel lorsque l’environnement est perturbé (Subbanarasimha, 2001 ;
Pettus et al, 2010). Ainsi, Bagley (2008) montre comment la capacité d’une équipe dirigeante à travailler conjointement avec les autorités publiques peut transformer les contraintes règlementaires en opportunités stratégiques. Dans la théorie néo-institutionnelle d’autre part (Meyer & Rowan, 1977 ; Fligstein, 1996 ; Greenwood et al, 2002), les institutions publiques et privées participent à la construction du champ organisationnel par interactions réciproques.
Dans cette perspective, l’environnement règlementaire est en partie déterminé par les
réponses stratégiques des acteurs aux pressions institutionnelles (Oliver, 1991). Au regard de
cette variété d’approches théoriques, il semble nécessaire d’intégrer à l’analyse les multiples
dimensions de la stratégie : sur le marché, pour structurer les marchés et hors des marchés (Baron, 1995 et 1996 ; Dumez & Jeunemaître, 2005).
D’abord, les stratégies sur le marché traditionnellement étudiées peuvent être menées afin de
conquérir des parts de marché via l’innovation technologique, la différenciation de l’offre (Delmas et al, 2007), la segmentation de la demande, les stratégies prix/quantité agressives ou la mise en place de politiques commerciales plus adaptées (Miles & Snow, 1978). En interne,
l’entreprise peut également développer des stratégies de domination par les coûts dans la
poursuite d’un avantage comparatif. Plus généralement, on peut citer les six leviers d’action identifiés par Ferrier (2001) : le prix, le marketing, les nouveaux produits, les capacités, les services et les signaux.
43 Ensuite, les entreprises peuvent mettre en place des stratégies de définition ou de structuration
de marché, cherchant à maintenir ou modifier les frontières géographiques ou économiques
des marchés (Dumez & Jeunemaître, 2004a et 2005). Dans cette optique, la notion de
frontière d’un marché peut s’appréhender en termes de produits, de besoins des clients ou de
zones géographiques (Curran & Goodfellow, 1990). Les stratégies de définition de marché peuvent alors prendre la forme de stratégies de (dé)verrouillage ou de combinaison de
marché, de diversification, de ventes liées, d’internationalisation, de fusion/acquisition ou encore de formation d’alliances internationales (Dumez & Jeunemaître, 2004a et 2005). Elles peuvent également viser à modifier les structures de marché par des stratégies d’intégration
verticale (Delmas & Tokat, 2005). Plus généralement, Roy (2004) propose deux intentions stratégiques générales qui sont la stabilisation des structures de marché ou leur perturbation. Par exemple, Bonardi (2004) étudie les stratégies asymétriques des anciens monopoles dans les IR. Il montre comment ces derniers développent des stratégies défensives de verrouillage de leur marché combinées à des stratégies agressives d’internationalisation par la conquête de
marchés étrangers (Bonardi, 2004). L’auteur montre alors dans quelle mesure la dimension
politique et le poids des gouvernements dans les relations internationales peuvent contraindre ces stratégies.
Enfin, les stratégies des firmes dans l’environnement non marché ou hors marché sont plus
rarement étudiées (Baron, 1995 et 1996 ; Bonardi, 1999 et 2004 ; Bonardi et al., 2006 ; Dumez & Jeunemaître, 2005). David Baron (1996) soutient que, de même que les entreprises
s’affrontent sur les marchés, elles s’affrontent dans l’environnement non-marché (Baron,
1999). L’auteur définit ces stratégies comme “a mapping from the exogenous characteristics
of a strategic situation to the set of possible nonmarket actions, such as coalition building,
lobbying, and information provision.” (Baron, 1999, p. 7). Elles visent à créer de la valeur
pour les entreprises en influençant l’environnement non-marché : « one purpose of a
nonmarket strategy is to shape the firm's market environment, as when a firm lobbies in support of legislation to lower trade barriers » (Baron, 1995, p. 48). Ces stratégies prennent
donc la forme de lobbying auprès des pouvoirs publics, de stratégies politiques visant à
améliorer la réputation d’une entreprise ou à détériorer celle d’un concurrent, ou encore à
saisir les autorités de surveillance des marchés et poursuivre un concurrent en justice. Elles
peuvent être prédatrices (au détriment d’un concurrent) ou prendre des formes plus
coopératrices visant à augmenter le potentiel de croissance global d’un secteur ou d’une industrie. Dans ce dernier cas, une forme de stratégie non-marché peut consister à former des
44 alliances ou associations afin de représenter les intérêts communs des entreprises dans les négociations politiques.
Dans le but d’intégrer ces trois dimensions de la stratégie dans un même outil d’analyse,
Dumez et Jeunemaître (2005) proposent le modèle des séquences stratégiques multidimensionnelles (SSM). Ce modèle présente l’avantage de fournir un cadre intégrateur
permettant d’analyser successivement dans le temps et simultanément dans les trois
dimensions de la stratégie, les actions et réactions des firmes :
« L’étude séparée des trois ne permet pas de bien comprendre la démarche
stratégique des entreprises ; en revanche, l’étude de la manière dont les entreprises concurrentes développent dans le temps des stratégies successives et simultanées sur ces trois dimensions constitue un point de focalisation possible de la recherche permettant de prendre en compte, en plus des stratégies elles-mêmes, les phénomènes de structuration des marchés et la régulation. » (Dumez &
Jeunemaître, 2005, p. 33).
Baron soutient que l’intégration de ces stratégies procure des performances supérieures (Baron, 1995). L’articulation cohérente de la stratégie dans ces trois dimensions confère à
l’entreprise les moyens de faire face aux risques consécutifs à la restructuration des IR. De plus, face aux évolutions réglementaires, le temps de l’action stratégique est décisif. Les
entreprises sont par exemple amenées à adopter des stratégies politiques de pionnier ou de suiveur (Demil, 1998), selon qu’elles agissent en amont de la nouvelle réglementation, ou en réaction à elle. Ainsi, la discontinuité et l’intensité des risques caractérisés par nos hypothèses de recherche nous conduisent à développer une approche dynamique de la stratégie « en situation ».