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Section 1. De l’approche traditionnelle des IR

1.2. Implications : la gouvernance des IR

1.2.2. Le regulatory design

Le regulatory design porte sur la conception des mécanismes et des institutions de régulation (Glachant, 2008). De façon générale, la régulation peut s’interpréter comme une réponse aux imperfections de marché et aux problèmes générés par leur jeu spontané (Dumez & Jeunemaître, 1999). Chaque marché ayant ses propres défaillances et imperfections, l’activité de régulation peut prendre différentes formes et cibler différents problèmes selon les secteurs, les industries, les pays etc. Elle peut se faire par la réglementation de type « command and

control » ou au contraire prendre des formes incitatives (mécanismes économiques, réputation

etc.). Dumez et Jeunemaître (1999 et 2004b) montrent que le développement d’une forme particulière de régulation est le résultat de l’équilibre entre trois forces : le politique,

l’économique et l’innovation technologique. Ainsi, les formes de régulation évoluent avec ces

trois forces. La régulation des monopoles verticalement intégrés et généralement publics a longtemps consisté à déterminer la tarification optimale sous contrainte d’équilibre budgétaire (Boiteux, 1956). Le modèle traditionnel, « cost-plus », est basé sur l’idée que le prix de vente pratiqué par le monopole public doit s’ajuster au coût unitaire de production afin de maintenir une rente constante, calculée pour rentabiliser les investissements en infrastructure (voir la figure 4 ci-dessous).

Figure 4. Tarification de type « cost-plus »

Ce modèle présente plusieurs inconvénients de nature informationnelle, incitative et administrative. D’abord, si le régulateur est indépendant du monopole, ce dernier bénéficie

d’une asymétrie d’information qui peut l’inciter à ne pas révéler ses véritables coûts unitaires.

Si le régulateur et le monopole sont la même entité (l’Etat), l’information réelle sur le coût reste difficile à obtenir. Ensuite, ce mode de régulation est contre-incitatif en ce sens qu’il ne

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favorise ni la réduction des coûts par le monopole régulé, ni l’innovation technologique, et

pousse au surinvestissement. Enfin, le poids bureaucratique de ce mode de régulation ne facilite pas sa mise en place. Ces inconvénients ont favorisé le développement d’une régulation de type « price-cap ».

Dans le modèle de régulation incitative « price-cap » ou « prix-plafond », mis en place au milieu des années 1980 au Royaume-Unis, le prix de revente pratiqué par le monopole est fixé par la formule RPI-X (Retail Price Index – efficiency factor) (Dumez & Jeunemaître, 2004b). La fixation du tarif par la règle RPI-X s’accompagne d’une réévaluation pour une période donnée (généralement cinq ans). Le monopole est alors incité à réduire ces coûts afin de bénéficier du profit résiduel, comme le montre la figure ci-dessous.

Figure 5. Tarification de type « price-cap »

Évitant les principaux inconvénients du modèle « cost-plus », la tarification « price-cap »

s’est rapidement répandue comme le modèle de référence. Ensuite, et c’est le cas de nos jours

dans la majorité des pays développés, les IR peuvent suivre la voie de la dérégulation. La dérégulation apparaît dès lors comme un regulatory design alternatif (Glachant, 2008). Un processus de dérégulation, souvent qualifié de dérèglementation, ne se traduit pas comme on pourrait le croire par la suppression pure et simple des cadres de régulation préexistants, mais plutôt par leur transformation. On peut résumer le contenu de ces transformation en trois

principes clés, dont les modalités de mise en œuvre peuvent varier d’une industrie ou d’un pays à l’autre (Dumez & Jeunemaître, 2004b ; Cateura, 2009) :

33 - la désintégration verticale ou « unbundling », qui consiste à séparer la couche

d’infrastructure de celle des services, historiquement intégrées au sein de monopoles ;

- l’ouverture à la concurrence, qui se traduit par la suppression des barrières légales empêchant l’entrée de nouveaux concurrents ;

- la régulation économique, qui consiste à séparer sur le plan institutionnel l’activité de régulation de la sphère politico-administrative.

Au niveau de la régulation économique, plusieurs modèles sont envisageables. Dumez et Jeunemaître distinguent quatre modèles de régulation économique (Dumez & Jeunemaître, 2004b) :

(1) la régulation « par coups de projecteurs » (sunshine regulation), la plus légère, considère que la fixation des prix est affaire d’entreprise. Elle consiste à mettre en place une commission aux pouvoirs réduits, dont le mandat se limite à émettre des recommandations et à publier des analyses, rapports et avis pour réguler par la réputation.

(2) la régulation « par l’autodiscipline » consiste à mettre en place une instance composée des

membres de l’industrie considérée, un « multi-stakeholder board » (Barker et al., 1997), aux

pouvoirs relativement restreints qui s’autorégule.

(3) la régulation transversale « main légère » (light-handed regulation), représente le mode de régulation des IR le moins intrusif dans lequel aucune institution n’est mise en place pour un secteur particulier, les activités économiques étant soumises aux dispositions générales du droit de la concurrence.

(4) la régulation sectorielle, choisie en Europe, consiste à développer des institutions de

régulation indépendantes et spécialisées par secteur d’activité (non-stakeholder board, Barker

et al., 1997). Ces régulateurs sont mis en place dans le but de séparer le politique (minimiser

l’intervention de l’Etat…) de l’économique (…sur les marchés), tout en veillant sur le

fonctionnement des activités économiques et commerciales (Vasconcelos, 2005). Ils définissent les cadres de régulation – i.e. règles techniques, économiques et légales - d’un

secteur en particulier, et ainsi les marges de manœuvre des entreprises actives sur ce secteur.

34 (régulation du monopole d’infrastructure, délivrance des licences d’exploitation etc.) et les dimensions plus générales du droit de la concurrence.

Ainsi, en partant des caractéristiques particulières des IR, principalement liées à la composante « infrastructure » du réseau, la théorie économique préconise des modes de gouvernance industrielle particuliers. D’abord, les industries de réseaux sont caractérisées par des architectures de marché complexes, qui articulent trois couches d’activités (Curien, 2000), avec des éléments de monopole naturel et des segments concurrentiels, nécessitant la mise en

place de mécanismes de coordination et d’interopérabilité entre les couches. Comme nous l’avons vu, plusieurs options sont possibles (open access ou common carrier, gestionnaire d’infrastructure « lourd » ou « léger », mécanismes de marché, enchères, contrats etc.),

desquelles découlent différents comportements stratégiques possibles (Economides, 1996).

D’autre part, les industries de réseaux, du fait de leurs caractéristiques économiques et de leur

rôle dans la société, sont très dépendantes de la régulation. Ici encore, plusieurs options sont possibles : la régulation par la réglementation ou par les incitations économiques, la

régulation sectorielle etc. Ces formes de régulation, mises en place pour pallier à l’incapacité du marché de s’autoréguler (Hogan, 2002 ; Glachant, 2008), déterminent les marges de manœuvre techniques, économiques et légales des acteurs.

Nous verrons au cours du développement de la thèse que ces caractéristiques ne peuvent être

ignorées lorsqu’il est question d’analyser la stratégie des firmes dans les IR. Elles nous

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