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Dérégulation et choix stratégiques : entre concurrence et coopération

Ce second chapitre du développement de la thèse s’appuie sur un article co-écrit avec Paul

Chiambaretto du Centre de Recherche en Gestion de l’École polytechnique. Il traite des effets

de la dérégulation industrielle sur les relations de coopération et de concurrence entre anciens monopoles. Il montre, au travers de l’étude de l’évolution des alliances ferroviaires internationales, comment les entreprises actives sur les IR en cours de dérégulation sont amenées à restructurer leurs marchés via la réévaluation de leurs relations coopératives et

concurrentielles. L’article insiste sur la nécessité de tenir compte, au cours de cette

réévaluation, des actions stratégiques des partenaires et concurrents sur l’ensemble des

marchés interconnectés et non pas uniquement sur le marché de l’alliance considérée. Ainsi, en s’appuyant sur les notions d’effets de portefeuilles d’alliances (Lavie, 2007 ; Wassmer,

2010) et de concurrence multipoints (Bernheim & Whinston, 1990 ; Dumez & Jeunemaître, 2009a), l’article développe un outil d’analyse qualitative des alliances qui tient compte à la fois des dimensions traditionnelles de la stratégie – le marché, les structures de marché et

l’environnement non-marché (Baron, 1995 ; Dumez & Jeunemaître, 2005) – mais aussi des effets de portefeuilles d’alliances, dès lors qu’il existe plusieurs points de contact entre les

partenaires. Baptisé « Séquences Stratégiques Multidimensionnelles appliquées aux Alliances » (SSMA), l’outil permet d’analyser les stratégies de coopération et de concurrence entre firmes en parallèle des phénomènes de structuration de marché et de régulation.

L’article a été présenté en conférences (AIMS 2013 et ATLAS-AFMI 2013) et fait

actuellement l’objet d’une évaluation pour publication dans la revue Management

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Dérégulation et restructuration des relations inter-firmes : les

Séquences Stratégiques Multidimensionnelles appliquées aux

Alliances ferroviaires européennes

Benjamin Lehiany

PhD candidate, CRG-Ecole Polytechnique, 828 boulevard des Maréchaux, 91762 Palaiseau Cedex. Benjamin.lehiany@polytechnique.edu (corresponding author).

Paul Chiambaretto

PhD candidate, CRG-Ecole Polytechnique, 828 boulevard des Maréchaux, 91762 Palaiseau Cedex.

RESUME: Afin d’étudier les phénomènes de restructuration des relations inter-firmes dans le

cadre d’une dérégulation sectorielle, l’article développe un outil d’analyse qualitative des stratégies d’alliance : les séquences stratégiques multidimensionnelles appliquées aux

alliances (SSMA). En plus des trois dimensions traditionnelles de la stratégie – sur le marché, sur les structures de marché et non-marché – l’outil incorpore les effets de portefeuilles

d’alliances à l’analyse des dynamiques concurrentielles et coopératives. L’analyse s’appuie

sur une étude de cas multiple conduite sur quatre alliances ferroviaires européennes (Alleo, Artesia, Eurostar et Thalys) au cours du processus de libéralisation du transport international

de passagers en Europe. L’étude montre la nécessité de tenir compte à la fois des dimensions

traditionnelles de la stratégie mais aussi des effets de portefeuilles d’alliances dès lors qu’il existe plusieurs points de contact entre partenaires. Nous discutons alors les apports des

SSMA dans la compréhension des phénomènes d’alliances stratégiques et de leur évolution.

Mots clés : alliances, portefeuille d’alliances, séquences stratégiques, libéralisation, industrie

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Section 1. Introduction

Les stratégies d’alliances entre firmes, concurrentes ou non, sont des formes de coopérations

omniprésentes dans le paysage économique mondial. Elles émergent selon plusieurs logiques, telles que la mise en commun de ressources (Dyer & Singh, 1998 ; Gulati, 1998), la

réalisation d’économies d’échelle ou d’envergure (Hennart, 1988 ; Kogut, 1988) ou la volonté d’accéder à de nouveaux marchés (Yoshino & Ragan, 1995 ; Contractor & Lorange, 2002 ;

Prévot & Meschi, 2006 ; Meschi, 2009). Plus précisément, les firmes peuvent avoir recours à

la stratégie d’alliance pour contourner des barrières légales protégeant certains secteurs ou

activités (Dussauge & Garrette, 1999). Ici, la contrainte légale est vue comme un facteur

explicatif du recours aux stratégies d’alliances, exogène et fixe dans le temps. Or, comme

nous le verrons, les vagues de dérégulation, i.e. l’ouverture à la concurrence de secteurs

d’activité historiquement monopolistiques, font s’effondrer ces barrières légales et affectent

les relations de coopération entre les entreprises. L’effondrement des barrières légales

transforme alors l’alliance « contrainte » en une alliance stratégique, c’est-à-dire choisie parmi d’autres alternatives (Garcia-Canal et al., 2002). En effet, si l’alliance n’est plus une

condition nécessaire à la pénétration de nouveaux marchés, les partenaires peuvent juger

profitable de faire cavalier seul et de dissoudre l’alliance.

Du point de vue de la structuration des relations inter-firmes, l’étude de l’évolution d’une alliance est alors indissociable de l’environnement concurrentiel, technologique, culturel et réglementaire des partenaires (Madhavan et al., 1998 ; Meschi, 2005). Ces derniers adoptent des stratégies de réponses au changement (Oliver, 1991 ; Koka et al., 2006), dans le but

restructurer leur réseau d’alliances (Madhavan et al.,1998 ; Lavie & Singh, 2011) et d’améliorer leur performance individuelle (Kogut, 1989 ; Koka & Prescott, 2008 ; Lavie,

2007). En parallèle, les stratégies d’entreprises dans l’environnement non-marché – constitué

de l’ensemble des forces sociales, politiques et légales qui influencent le jeu de la concurrence

(Baron, 1995, 1996) – peuvent à leur tour être menées dans le but de favoriser l’alliance. Dans cette perspective, la règlementation devient un outil stratégique à la disposition des partenaires, source d’avantage concurrentiel pour l’alliance (Dumez & Jeunemaître, 2005). Il

est donc nécessaire d’adopter une vision dynamique et multidimensionnelle de l’ensemble de

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En outre, plusieurs études ont récemment souligné l’importance que peuvent jouer les « effets de portefeuille d’alliances » dans l’évolution des relations inter-organisationnelles (Lavie,

2007 ; Wassmer, 2010). En effet, lorsque plusieurs entreprises se retrouvent partenaires dans

différentes alliances, diverses formes d’externalités positives ou négatives (les effets de

portefeuilles), peuvent émerger (Eisenhardt & Schoonhoven, 1996 ; Parise & Casher, 2003 ; Wassmer & Dussauge, 2011, 2012). Dans une perspective proche de la concurrence multipoints (Bernheim & Whinston, 1990 ; Dumez & Jeunemaître, 2009a), il est en effet

possible d’envisager des situations dans lesquelles différentes entreprises multiplient les points de contact, amplifiant ainsi les effets de dépendance et d’otage mutuel (Pisano et al.,

1998). De ce fait, les actions stratégiques d’un partenaire au sein d’une alliance auront à la fois des répercussions sur l’alliance focale, mais aussi sur l’ensemble des autres alliances (Heider, 1958 ; Vonortas, 2000 ; Madhavan et al., 2004). Dès lors, l’étude de l’évolution des alliances nécessite la prise en compte des interactions entre alliances interconnectées.

L’objectif de cette recherche est alors d’analyser l’évolution des alliances internationales dans le cadre d’une libéralisation sectorielle. Plus précisément, elle s’attèle à montrer que si l’évolution du cadre réglementaire implique une réévaluation de la coopération entre firmes

(Kogut, 1989 ; Dickson & Weaver, 1997 ; Madhavan et al., 1998), celle-ci doit tenir compte

des phénomènes de régulation et de redéfinition de marché sur l’ensemble des espaces

comprenant des points de contact entre ces firmes.

À cette fin, nous avons recours à une méthodologie qualitative d’étude de cas multiple,

justifiée par la volonté d’identifier et d’expliquer des relations plus que de mesurer des

corrélations. Nous choisissons donc quatre alliances du secteur ferroviaire européen – Eurostar (SNCF, LCR, SNCB), Thalys (SNCF, Deutsche Bahn, SNCB) et Alleo (SNCF, Deutsche Bahn) et Artesia (SNCF, Trenitalia) – pour analyser leur évolution au cours de ces dernières années, marquées par des vagues de libéralisation successives. Au sein de chaque

cas, l’unité d’analyse (i.e., l’objet sur lequel porte l’investigation, Lehiany, 2012) correspond

à l’ensemble des manœuvres stratégiques de l’alliance focale. Les données collectées alimentent les analyses intra-cas par le recours à la narration analytique (Bates et al., 1998 ; Dumez & Jeunemaître, 2006). Ensuite, nous développons un outil d’analyse qualitative des alliances, qui tient compte à la fois des séquences stratégiques multidimensionnelles (ci-après SSM, Dumez & Jeunemaître, 2005) mais aussi des effets de portefeuilles d’alliances. Cet outil, baptisé « séquences stratégiques multidimensionnelles appliquées aux alliances » (ci-

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quatre dimensions de la stratégie d’alliance – sur le marché, sur les structures de marché, non-

marché et entre alliances – les actions et réactions d’une alliance focale et de ses membres. Dans un second temps, une analyse inter-cas est menée par une analyse multicritères qui

s’appuie sur les recommandations théoriques concernant les facteurs structurels et environnementaux susceptibles d’orienter les choix stratégiques. Deux niveaux d’analyse y

seront articulés : celui de l’alliance, dont les caractéristiques internes seront étudiées, et celui

de l’environnement de l’alliance, caractérisé par les éléments externes à l’alliance.

Les résultats confirment dans un premier temps que l’évolution de la réglementation perturbe

les équilibres coopératifs et concurrentiels au sein du secteur ferroviaire européen. Néanmoins, si certains acteurs ont décidé de rompre la coopération et de concurrencer les

anciens partenaires, d’autres alliances semblent au contraire se renforcer pour affronter la

concurrence. L’analyse multicritères inter-cas produit des résultats qui ne permettent pas

d’expliquer ces différences de trajectoires. Notamment, si l’évolution observée des alliances

Thalys et Alleo semble cohérente avec les recommandations théoriques, celle d’Eurostar et Artesia semble au contraire les contredire. Or, la prise en compte des effets de portefeuilles

dans les SSMA permet d’expliquer ces contradictions. En effet, du fait des multiples points de

contact entre les opérateurs ferroviaires, les SSMA ont mis en évidence des phénomènes « d’otages mutuels » (Pisano et al., 1998), de « triade déséquilibrée » (Heider, 1958 ; Madhavan et al., 2004), de « ressources-réseaux » (Eisenhardt & Schoonhoven, 1996 ; Lavie, 2007 ; Parise & Casher, 2003) ou encore d’effets d’appartenance (Wassmer & Dussauge, 2012), qui ont influencé les décisions stratégiques des partenaires dans l’ensemble des alliances étudiées. Ainsi, l’article enrichit l’étude qualitative des portefeuilles d’alliances, dont les rares contributions sont centrées sur le portefeuille dans sa globalité comme unité

d’analyse et non pas sur une alliance particulière (Hoffmann, 2007 ; Lavie & Singh, 2011 ;

Rindova et al., 2012). Il contribue également à la meilleure compréhension des phénomènes

de restructuration des relations concurrentielles et coopératives lorsque l’environnement est

perturbé.

Nous discutons dans une première partie les éléments théoriques qui justifient le recours aux

SSMA. Ensuite, une seconde partie permettra de détailler l’approche méthodologique qui a

été adoptée, ainsi que les éléments du contexte empirique spécifiques au secteur ferroviaire.

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Thalys. Enfin, nous discutons l’apport de notre étude au regard de la littérature et de nos

résultats empiriques.

Section 2. Cadre théorique : alliances, séquences stratégiques et effets