• Aucun résultat trouvé

Section 2. L’intégration des industries de réseaux en Europe

2.1. Le Ciel Unique Européen

Dans le cas du contrôle aérien, la liberté de mouvement par-delà les frontières nationales mobilise deux dimensions principales (Dumez & Jeunemaître, 2001 et 2010) : une dimension

physique d’une part, qui correspond à la gestion du trafic aérien (Air Traffic Management) et

qui concerne les vols et leurs caractéristiques, l’échange d’informations entre les pilotes et les contrôleurs aériens sur la trajectoire de l’avion, la structuration de l’espace aérien et des couloirs ; et une dimension économique d’autre part, qui fait référence aux coûts et aux régimes de tarification des services, au statut public ou privé des fournisseurs de services, contrôleurs aériens, aéroports etc. La gestion du trafic aérien assure la sécurité des vols selon trois activités particulières (Dumez & Jeunemaître, 2001) : le contrôle aérien (Air Traffic

Control), qui consiste à maintenir une séparation suffisante entre les avions afin d’éviter les

collisions, la gestion des flux du trafic aérien (Air Traffic Flow Management) qui régule les

flux d’avions et gère la congestion, et la gestion de l’espace aérien (Airspace Management)

qui vise à optimiser la structure des couloirs aériens, chaque pays État étant souverain sur son espace aérien national. La notion d’infrastructure n’est pas évidente dans le transport aérien.

Elle se compose d’une dimension intangible, les couloirs aériens, ainsi que des balises et des

radars qui renseignent sur la position des avions, des systèmes de navigation, de surveillance du ciel et de communication, des tours de contrôle etc.

64

L’origine de l’intégration du ciel européen remonte à la fin des années 1950. À l’époque, l’augmentation du trafic aérien poussa les compagnies aériennes à mettre en place des règles

communes visant à contrôler le trafic aérien par la régulation de la vitesse à laquelle les avions franchissent les frontières nationales (Dumez & Jeunemaître, 2001). Les principaux États européens de l’époque, la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ont alors créé Eurocontrol afin de déléguer la gestion du trafic aérien européen à un niveau supranational (Mendes de Leon, 2007). L’initiative fut cependant limitée à la

création d’un centre de contrôle régional couvrant la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne. Aucun progrès dans la voie de l’intégration n’apparut ensuite sur la période

1960 – 1980, les systèmes de contrôle de la circulation aérienne étant administrés par les États. Les compagnies aériennes payaient des droits de passages aux États selon la distance parcourue au sein de leur espace aérien respectif.

Ce n’est que vers la fin des années 1980, avec la forte croissance du trafic imputable à la

libéralisation du transport aérien, que la gestion du trafic aérien fut mise à l’agenda de

l’intégration européenne. En effet, l’augmentation du trafic se traduisit rapidement par des

problèmes de gestion des flux, de goulots d’étranglement et par l’accumulation de retards

importants sur les temps de trajet, de sorte qu’en 1986, 12% des vols intra-européens aient été

retardés de plus de 15 minutes, 25% en 1989 (Dolores & Stone Sweet, 1998). À l’époque, la Commission des Communautés européennes publia une première communication sur les problèmes de capacité du système (« Air Traffic System Capacity Problems », Communication 88/577/Final), insistant notamment sur l’incompatibilité des mécanismes de gestion du trafic entre les États Membre et sur le manque de coordination au niveau européen. En réponse, plusieurs initiatives ont vu le jour dans les années 1990. Les pouvoirs

d’Eurocontrol furent étendus, en particulier par la création en 1992 de la CFMU (Central Flow Management Unit), qui gère sous la tutelle d’Eurocontrol l’ensemble des flux d’avions

en Europe. En outre, en 1998, deux commissions indépendantes virent le jour, la Commission de régulation de la sécurité (Safety Regulation Commission, SRC) et la Commission d’examen des performances (Performance Review Commission, PRC). La PRC commença à publier des rapports identifiant les goulots d’étranglement et l’accumulation des retards, insistant sur la nécessité de fixer des objectifs de performance. En parallèle, les États s’engagèrent à la fin des années 1990 dans la privatisation (ou la corporatisation) de leurs fournisseurs de service nationaux (Air National Services Providers, ANSPs) en charge du contrôle aérien. Ces derniers se regroupèrent alors au sein d’une association privée, la Civil Air Navigation

65

Services Organisation (CANSO), dans le but de développer leurs propres objectifs de

performance. Les compagnies aériennes se rassemblèrent quant à elles au sein de l’AEA (Association of European Airlines).

En 1999, avec la constante augmentation du trafic aérien (voir la figure ci-dessous) le Conseil des ministres demanda à la Commission européenne de prendre de nouvelles initiatives sur le plan réglementaire. Loyola de Palacio, alors commissaire en charge des transports et vice- président de la Commission européenne décida d’entamer la création d’un « ciel unique européen » (Single European Sky, COM 1999/614/final).

Figure 13. Le trafic aérien de 1995 à 2011

Source : Eurostat

Dans la foulée en décembre 2001, la Commission présenta au Parlement européen et au Conseil une proposition initiale sur l’organisation et l’utilisation de l’espace aérien. La communication contenait notamment la proposition d’une reconfiguration du ciel en en « blocs d’espaces aériens fonctionnels » (Functional Airspace Blocks, FABs) sans frontières nationales et basés sur l’intensité des flux (Dumez & Jeunemaître, 2010, voir la figure ci- dessous).

66

Figure 14. La restructuration de l’espace aérien en FABs

Après cinq années de négociations et de procédures de codécision au niveau institutionnel, le premier paquet de réformes, le « Ciel Unique 1 » fut adopté en mars 2004 par le Parlement et le Conseil. Le paquet peut se résumer en quatre points :

(1) le règlement CE 549/2004, qui instaure les autorités nationales de régulation (National

Supervisory Authorities, NSAs), d’un comité du Ciel unique (Single Sky Committee) pour

assister la Commission européenne et d’un organisme de consultation de l’industrie (Industry

Consultation Body, ICB) ;

(2) le règlement CE 550/2004, qui instaure un régime unifié de redevances aériennes ;

(3) le règlement CE 551/2004, qui restructure l’espace aérien en FABs.

(4) le règlement CE 552/2004, relatif à l’interopérabilité des systèmes de contrôle et de

navigation.

Cette réforme fut toutefois transposée à minima par les États Membres. Les premiers développements sur les FABs se sont notamment traduit par le rapprochement des petits pays à leur grand voisin sans réelle restructuration de l’espace aérien et de sa gestion : le Royaume-

67

Uni et l’Irlande, la France et la Suisse, l’Espagne et le Portugal, l’Allemagne et le Benelux,

etc. Néanmoins, la création d’une licence européenne du contrôle aérien en 2005 alla dans le

sens de l’intégration. En mars 2007, la Commission publia un « rapport de mi-parcours »

(mid-term report, Com 2007/101/final), pointant du doigt la persistante fragmentation de

l’espace aérien et la divergence des règles et des procédures d’exploitation nationales, ainsi que la faible productivité du système et de ses effets néfastes sur l’environnement. La

Commission annonça alors qu’un second paquet de réformes se profilait.

Après un an d’évaluations et de rapports, la Commission proposa en 2008 le second paquet au

Parlement et au Conseil (Com 2008/389/2). La communication rappela les lacunes de la situation en cours et appela à redoubler d’effort, notamment en termes d’objectifs de performance contraignants, de renforcement d’une gestion européenne de l’espace aérien en insistant sur le coût environnemental de la fragmentation (estimé entre 7 et 12% des émissions totales de CO2 par an). En juillet 2010, le Parlement et le Conseil adoptèrent le second paquet « SES 2 » (règlement CE/1191/2010) contenant plusieurs volets qui visent à :

(1) restructurer le régime unifié de redevances aériennes ;

(2) créer un organe d’évaluation de la performance en charge de définir des objectifs

contraignants ;

(3) créer un Directorate Manager Network qui élargit les pouvoirs de la CFMU au sein

d’Eurocontrol ;

(4) nommer un coordinateur européen des FABs pour accélérer la structuration du ciel unique.

Lors d’une conférence sur les avancées du ciel unique européen qui s’est tenue à Limassol en

octobre 2012, le commissaire européen en charge des transports Sim Kallas présenta les résultats médiocres des réformes dans un communiqué intitulé « The Single European Sky :

10 years and still not delivering ». Notamment, l’Europe élargie compte encore aujourd’hui

37 fournisseurs de services nationaux, 60 centres de contrôle sur un espace aérien européen fragmenté, d’importants retards sur les temps de trajet et des goulots d’étranglements persistants. La prochaine étape est prévue pour 2014 avec processus de consultation visant à élaborer le troisième paquet SES 3 déjà en cours.

68