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Section 3. Méthodologie et contexte empirique

3.1. Méthodologie de la recherche

Malgré les avancées considérables dans la compréhension des phénomènes d’alliance,

certaines thématiques récurrentes continuent de faire l’objet de nombreuses recherches en management, comme l’analyse des échecs des alliances (Kale & Singh, 2009 ; Lunnan & Haugland, 2008 ; Meschi, 2003) et de leur instabilité (Das & Teng, 2000 ; Greve et al., 2013 ; Makino et al., 2007), la compréhension des critères de sélection des partenaires (Hagedoorn & Frankort, 2008 ; Shah & Swaminathan, 2008), l’étude des mécanismes de gouvernance (Gulati, 1998 ; Reuer & Ariño, 2007) ou encore l’analyse des facteurs de performance (Christoffersen, 2013).

Pour étudier ces problématiques, les méthodologies employées sont variées et font appel à divers outils d’analyse. Si de nombreuses contributions peuvent être qualifiées de « quantitatives » (c’est-à-dire faisant appel aux techniques statistiques et économétriques), plusieurs approches peuvent être mobilisées, telles que l’analyse des réseaux sociaux (Min & Mitsuhashi, 2012 ; Saglietto, 2009), la simulation (Axelrod, 2007 ; Cartier, 2006), l’analyse quali-quantitative (Leischnig et al., à par.) ou encore l’expérimentation (Arend, 2009). Pour autant, dès les premiers travaux sur les alliances, la démarche qualitative a montré son intérêt (Parkhe, 1993). Wacheux (1993, p. 114) précise ainsi que « le domaine des alliances est un

champ de recherche ou les incertitudes théoriques sont fortes (malgré une littérature abondante) et la connaissance de pratiques effectives des firmes est faible. Par conséquent, les méthodes qualitatives sont appropriées pour alimenter la connaissance du champ en concepts, propositions et hypothèses ». Certaines problématiques relatives aux phénomènes

d’alliances nécessitent en effet le recours à des études exploratoires, de nature qualitative, afin d’identifier les mécanismes sous-jacents et leurs relations, avant de les mesurer

quantitativement. Ainsi, les travaux récents d’Hoffmann (2007), d’Ozcan et Eisenhardt (2009) ou encore de Lavie & Singh (2011) étudient les évolutions des alliances au moyen d’études de

156 cas longitudinales. Ces approches qualitatives permettent alors d’étudier les alliances à travers plusieurs dimensions.

L’objectif de cette contribution n’étant pas de quantifier l’impact d’une libéralisation sur l’évolution des alliances, mais plutôt d’analyser l’articulation entre ces phénomènes, nous avons choisi d’avoir recours à une méthodologie qualitative d’étude de cas. Il s’agit en effet

de la méthode la plus adaptée dans le cadre de recherches exploratoires cherchant à mettre en évidence des relations (Dumez, 2011 ; Yin, 2008). L’approche qualitative offre généralement

une vision plus large des phénomènes, en partie grâce à l’utilisation de sources de nature

diverse (observations directes, entretiens, archives, livres,…). Plus précisément, nous avons

décidé de procéder à l’aide d’une étude de cas multiple, qui ne relève pas d’une logique de

répétition (au sens du « sampling »), mais au contraire d’une logique de réplication (Yin, 2008). L’objectif n’est donc pas de constituer un échantillon représentatif, mais au contraire

d’utiliser les études de cas multiple pour émettre des hypothèses. Yin (2008, p. 54) explique

ainsi : « Chaque cas doit être soigneusement sélectionné afin qu’il prédise soit (a) des résultats similaires (une réplication littérale), soit (b) des résultats contrastés (une réplication théorique)34». À partir de ces cas, nous pouvons alors utiliser des méthodes de comparaison pour mettre en place une analyse inter-cas. S’inspirant de la logique des Small-N case study (étude d’un petit nombre de cas, Abbott, 2001), notre travail consiste à s’appuyer sur les analyses intra et inter-cas pour identifier les relations entre les facteurs susceptibles

d’influencer l’évolution des relations inter-firmes.

Le choix du terrain doit tenir compte de certains critères pour assurer l’opérationnalisation et l’articulation des concepts mobilisés. Nous avons donc choisi un secteur caractérisé par (1) la

présence de nombreuses alliances, (2) avec de multiples points de contact entre les partenaires, (3) dans un environnement légal changeant, comme une libéralisation. Le secteur

ferroviaire européen répond parfaitement à l’ensemble de ces critères. Les quatre cas d’alliance qui ont été sélectionnés au sein de ce secteur sont : Alleo (SNCF-DB), Artesia

(SNCF-Trenitalia), Eurostar (SNCF-LCR-SNCB) et Thalys (SNCF-SNCB-DB). Pour obtenir des données sur chaque alliance, plusieurs sources ont été recoupées. Nous avons tout d’abord réalisé une série de 14 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 90 minutes avec des responsables de trois des quatre alliances en question (l’alliance Artesia était déjà dissoute au

34“Each case must be carefully selected so that it either (a) predicts similar results (a literal replication) or (b)

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moment de la recherche) ainsi qu’avec des membres de la direction du développement

international et de la stratégie au sein de la SNCF. Pour assurer une pluralité de points de vue,

d’autres acteurs, à d’autres niveaux ont été interviewés : partenaires, concurrents, institutions

(Commission Européenne), gestionnaire d’infrastructures (Réseau Ferré de France, RFF), ainsi que des spécialistes du secteur. À cette série d’entretiens s’ajoute une observation participante de 100 jours réalisée chez RFF sur la période 2011-2012, avec un accès aux documents internes et à de nombreux représentants de RFF et de la SNCF. L’observation a principalement a consisté à travailler conjointement avec RFF et la SNCF sur la définition de

systèmes d’information capables de gérer les circulations ferroviaires dans un contexte d’ouverture à la concurrence, nous permettant ainsi de réaliser un travail d’enquête de terrain

« en situation » (Chanlat, 2005). Pour s’assurer de la validité de nos données, nous avons procédé par triangulation en multipliant les sources secondaires. Nous avons pour cela recensé et analysé les articles de presse concernant ces alliances dans les quotidiens nationaux

(Le Monde, Le Figaro,…) et les quotidiens économiques (Les Echos, La Tribune). Ces faits étant recoupés par l’étude de rapports d’activités des entreprises concernées, des sources juridiques (Journal Officiel de l’UE, rapports de la Commission Européenne, du Sénat etc.) et

des livres spécialisés sur le sujet. L’ensemble des données recueillies a permis de construire les chronologies de l’évolution des alliances, d’abord présentées par la narration analytique (Bates et al., 1998 ; Boudès, 2004 ; Dumez & Jeunemaître, 2006), puis retranscrites dans les SSMA. D’un point de vue opérationnel, nous construisons nos SSMA en utilisant à chaque fois les manœuvres stratégiques d’une alliance « focale » comme unité d’analyse.

Avant de passer à l’étude empirique des alliances sélectionnées, il convient de préciser

quelques éléments de contexte spécifiques au secteur du transport ferroviaire européen et à ses principaux acteurs.