• Aucun résultat trouvé

Section 2. Le protocole de recherche

2.1. Le choix des terrains

Si le projet de recherche portait initialement sur les industries de réseaux en Europe, et plus

spécifiquement sur l’étude comparative du processus d’intégration de l’infrastructure dans les secteurs de l’énergie et du transport, plusieurs éléments permettent de justifier ces choix.

Aussi, les contours du terrain et la sélection des cas particuliers se sont précisés tout au long de la recherche. Nous présentons ci-dessous les éléments qui ont guidés ces choix.

2.1.1. L’opportunisme méthodique

La démarche de recherche présentée plus haut laisse au chercheur la possibilité d’ajuster les

modalités de son investigation en cours de route, notamment en fonction des contraintes et opportunités imposées par le terrain (Dubois & Gadde, 2002). Elle laisse une place à la surprise (Dumez, 2013a) ou à la sérendipité caractéristique de toute recherche exploratoire visant à étudier des faits singuliers. Elle est également guidée par les opportunités d’accès au

matériau, de sorte qu’il soit envisageable de saisir les opportunités qui se présentent tout en respectant une méthode rigoureuse. C’est ce que Jacques Girin appelle l’opportunisme

méthodique (Girin, 1989). En rupture avec l’idée de plan d’observation préétabli et

systématiquement respecté, l’auteur fait référence au « vent favorable » qui oriente le

chercheur vers des destinations parfois imprévues. Dubois & Gadde (2002) parlent quant à eux d’un processus de recherche non linéaire soumis à un « effet de sentier » (path

dependency), acceptant ainsi une certaine part de contingence et d’opportunisme dans les

95 Dans notre cas, le sujet de recherche est directement lié aux industries de réseaux

européennes. Il s’inscrit dans la continuité de ma spécialisation en Master 2 et de mon mémoire de recherche sur l’ouverture à la concurrence du marché du détail de l’énergie19

. Dans la foulée, j’ai souhaité réaliser mon projet de recherche de Doctorat en partie sur le

secteur de l’énergie. Le soutien financier d’EDF-Energy facilita alors l’accès à des projets relatifs à l’infrastructure électrique (voir le chapitre 3 de la partie 2). Ensuite, les travaux sur le secteur du transport aérien réalisés par l’équipe de recherche que je rejoignais (Dumez &

Jeunemaître, 2001 et 2010) constituaient une ressource à partir de laquelle une analyse multisectorielle était rendue possible. L’appui d’Eurocontrol facilita également l’accès aux

données relatives au secteur du transport aérien. Enfin, dans le cadre d’un accord entre le Centre de Recherche en Gestion de l’École polytechnique, la Fondation de l’X et la société

Cereza Conseil, j’ai pu réaliser une observation participante de 100 jours chez Réseau Ferré

de France (RFF), le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire français, en tant que « consultant

Cereza » (voir l’encadré « Projet Pacific »). Cette opportunité a donc permis d’enrichir

l’analyse multisectorielle par l’inclusion du secteur ferroviaire européen. L’opportunisme

méthodique est donc à la foi une cause et une conséquence du caractère abductif de la

recherche, puisque de nouvelles opportunités sont provoquées par l’enquête qui est menée d’une part, et la saisie de ces opportunités apporte du nouveau matériau qui doit à son tour être analysé dans une nouvelle étape de l’enquête d’autre part. Nous verrons que cet

opportunisme a dû néanmoins respecter une cohérence de « sériation » du matériau (Dumez & Rigaud, 2008). Ainsi, les terrains d’étude se sont progressivement précisés et les cas particuliers ont été sélectionnés au cours du parcours doctoral, selon un principe de cohérence

avec l’objectif de recherche et d’opportunités d’accès au matériau. Au sein des secteurs de l’électricité, du transport aérien et ferroviaire, plusieurs cas particuliers ont donc été choisis.

2.1.1. L’analyse multisectorielle et les études de cas

De manière générale, les IR sont des industries au fonctionnement complexe qui ne cessent

d’évoluer et de susciter l’attention des chercheurs en économie, en sociologie ou en sciences

politiques. De manière assez surprenante, les sciences de gestion et le management

19J’ai réalisé une partie de mon cursus universitaire à l’Ecole d’Economie de Toulouse, en Master 1 et Master 2

(recherche), dans la branche Economie des Marchés et des Organisations (EMO), avec une spécialisation en économie des réseaux et en politique de la concurrence. Mon mémoire de Master, réalisé sous la direction du Pr.

96 stratégique, à quelques exception près, semblent moins portées sur elles (Cateura, 2009).

Cette tendance commence toutefois à s’inverser du fait de l’ouverture à la concurrence qui

élargit le champ des possibles stratégiques des firmes, et donc les comportements à étudier.

Ainsi, comme l’a souligné Bonardi (2004), la stratégie des anciens monopoles devient un

thème de recherche à part entière, que ce soit au regard des enjeux empiriques ou des implications managériales et théoriques. La période de restructuration que connaissent les IR

offre de ce point de vue un formidable laboratoire d’expérience pour l’étude de

comportements stratégiques dans des environnements turbulents.

Comme nous l’avons vu, le processus d’intégration des IR en Europe concerne sept industries

(Pelkmans & Luchetta, 2013). Au sein de ces industries, les critères de sélection retenus portent essentiellement sur les composantes « infrastructure » et « environnement non- marché », de sorte que la recherche se soit focalisée sur une analyse multisectorielle électricité / air / rail. Nous avons volontairement exclu du champ de la recherche l’industrie des télécommunications car cette dernière comporte une forte composante technologique (Héritier, 2002) qui aurait ajouté un niveau de complexité indésirable à l’analyse. En effet, le progrès technique dans les moyens de communication a remis en question les éléments de

monopole naturel de l’infrastructure, tels que la non duplicabilité, attribuant un caractère singulier à cette industrie. L’approche multisectorielle nous a semblée essentielle afin d’éviter

les biais inhérents aux spécificités des industries retenues quant à leur dynamique

d’intégration (Schmidt, 1996). Néanmoins, nous avons retenu différentes approches selon

chaque sous-question à traiter dans les articles.

Tableau 3. Les études de cas de la thèse

Articles Secteurs Études de cas Approches

Article 1 Electricité / transport aérien

Le marché unique de

l’électricité (IEM) et le ciel

unique européen (SES)

Analyse longitudinale

comparative (Ragin & Becker, 1992 ; Schmidt, 1996). Article 2 Transport ferroviaire Les alliances Alleo, Artesia,

Eurostar et Thalys

Smal-N case-study (Abbott, 2001). Logique de réplication (Yin, 2008).

Article 3 Electricité Le projet « câble » d’EDF- Energy

Etude de cas unique (Yin, 2012)

97

Dans le premier article, l’étude longitudinale présente une comparaison qualitative de la

dynamique réglementaire d’intégration des secteurs de l’électricité et du transport aérien (Ragin et Becker, 1992). Le choix des cas d’étude (IEM et SES), doit être orienter par les différences et similitudes des cas (Yin, 2008) de sorte qu’ils puissent faire émerger des résultats cohérents ou contradictoires. D’une part, les projets SES et IEM sont comparables de

par leur nature d’IR européenne en cours de restructuration. D’autre part, ils sont traditionnellement considérés comme opposés sur le plan de la dynamique d’intégration, le

SES étant considéré comme un cas exemplaire de délégation de pouvoirs au niveau supranational (Dolores & Stone Sweet, 1998) alors que l’IEM est au contraire vu comme un

cas d’inter-gouvernementalisme (Schmidt, 1996). Ainsi, l’étude comparative de ces cas

contrastés nous permettra d’identifier le dénominateur commun de l’intégration dans les IR.

Nous pensons que les résultats pourront être généralisés à d’autres industries de réseaux de

services publics tels que les télécommunications ou les chemins de fer en évitant la question de la spécificité du secteur (Schmidt, 1996).

Dans le second article, nous avons décidé de procéder à l’aide d’une étude de cas multiple, qui ne relève pas d’une logique de répétition (au sens du « sampling »), mais au contraire

d’une logique de réplication (Yin, 2008). L’objectif n’est donc pas de constituer un échantillon représentatif, mais au contraire d’utiliser les études de cas multiples afin d’identifier des relations. Yin (2008, p. 54) explique ainsi : « Chaque cas doit être

soigneusement sélectionné afin qu’il prédise soit (a) des résultats similaires (une réplication littérale), soit (b) des résultats contrastés (une réplication théorique)20». À partir de ces cas, nous pouvons alors utiliser des méthodes de comparaison pour mettre en place une analyse inter-cas. S’inspirant de la logique des Small-N case study (étude d’un petit nombre de cas, Abbott, 2001), notre travail consiste à s’appuyer sur les analyses intra et inter-cas pour identifier les relations entre les facteurs susceptibles d’influencer l’évolution des relations inter-firmes. Le choix du terrain du secteur ferroviaire nous semblait alors pertinent selon plusieurs critères : (1) la présence de nombreuses alliances, (2) avec de multiples points de contact entre les partenaires, (3) dans un environnement non-marché en pleine évolution. Les

quatre cas d’alliance qui ont été sélectionnés au sein de ce secteur sont : Alleo (SNCF-DB),

Artesia (SNCF-Trenitalia), Eurostar (SNCF-LCR-SNCB) et Thalys (SNCF-SNCB-DB).

20“Each case must be carefully selected so that it either (a) predicts similar results (a literal replication) or (b)

98 Dans le troisième article, le recours à l’étude de cas unique nous a semblé pertinent pour

permettre l’analyse en profondeur d’un terrain complexe tel que celui d’un secteur en pleine

évolution (Abbott, 2004 ; Yin, 2008). Elle présente l’avantage de mettre en scène l’ensemble des éléments du contexte (mécanismes, acteurs, discours, points de vue etc.) dans lequel

s’inscrit l’action (Dumez, 2013a). Ainsi, nous avons choisi d’étudier le cas d’un projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Angleterre, entrepris en 2007 par EDF-

Energy, filiale privée d’EDF et acteur dominant du marché britannique. Ce choix se justifie par les dimensions stratégique et institutionnelle du projet, caractérisé comme nous le verrons par d’importantes sources d’incertitudes liées à la phase de restructuration que connaît le

secteur de l’électricité depuis plus de vingt ans. De ce fait, le secteur de l’énergie était propice à l’étude des risques liés à la régulation et des stratégies de réponses des acteurs (Schwark,

2011 ; Bonardi, 2004 ; Bonardi et al., 2006 ; Cateura, 2009).